Le colonel Carter inspira un bon coup.
« Allez, Sam. Tu sais qu’il le faut, sinon tu vas devenir folle... »
Elle s’apprêta à frapper à la porte du bureau du Général O’Neill, mais s’interrompit à nouveau. Elle ferma les yeux. Mais comment allait-elle pouvoir lui présenter ça ?
« Ca voulait dire quoi, « je ne serais pas là » ? Pourriez-vous être plus clair ? »
Ben voyons... Bon, il serait toujours temps de voir à l’intérieur.
Elle toqua enfin à la porte. Silence. Walter choisit ce moment pour passer dans le couloir et l’informer que le général n’était pas dans son bureau.
« - ...Mais vous pouvez l’attendre à l’intérieur. »
Elle le remercia, puis entra après une légère hésitation et referma derrière elle.
Elle remit pour la vingtième fois une mèche de cheveux imaginaire derrière son oreille, puis serra nerveusement ses mains l’une contre l’autre pour les empêcher de trembler.
Dix minutes qu’elle l’attendait. C’était l’enfer.
Elle n’avait rien à faire là. Elle était à présent fiancée à un homme adorable qui tenait plus que tout à faire son bonheur. Pourquoi diable éprouvait-elle ce besoin lancinant de connaître les sentiments de son supérieur à ce sujet ?
Non, pas de son supérieur. De Jack O’Neill. De l’homme que, envers et contre tout, elle continuait d’aimer désespérément.
Soupir. Mèche.
Bon sang ! Il n’était donc jamais dans son bureau ou quoi ? Du calme, Sam. Reste calme surtout. Elle se leva et fit le tour de la pièce. Evidemment, celle-ci n’étant pas immense, ce fut vite fait. Machinalement, elle jeta un coup d’œil aux divers fichiers et formulaires qui jonchaient le bureau. Elle sourit involontairement, comprenant ce qu’il avait fui. Elle feuilleta les documents près du célèbre téléphone rouge.
Une feuille l’arrêta.
Au moment même où elle la vit, elle eut conscience d’avoir violé son intimité. Mais c’était trop tard. Elle sentit les battements de son cœur s’accélérer dangereusement. Sur un bout de papier couvert de gribouillis, visiblement dessinés au cours d’une conversation téléphonique, son prénom s’étalait au centre, joliment calligraphié.
Samantha.
Elle tira vivement sur la feuille pour la sortir de la pile. Et écarquilla les yeux tandis que sa respiration devenait anarchique. Il n’y avait pas que son prénom. Ou plutôt, il n’était pas inscrit qu’une seule fois.
Samantha. Sam. Lieutenant Colonel Samantha Carter. Carter. Colonel Carter. Sam. Sam Carter...
Et ainsi de suite sur toute une page, ornée de fleurs, d’aliens stylisés et autres petits détails auxquels elle ne prêta pas la moindre intention. Son regard s’attardait sans cesse sur les mots, comme si elle cherchait à se convaincre de la réalité de ce qu’elle tenait à la main, et du fait que ça avait bien été écrit par qui elle pensait que ça avait été écrit. Elle se rassasiait de cette preuve tangible – la première depuis des années – de la réciprocité de ses sentiments. Ainsi, il pensait encore à elle... Il tenait encore à elle « plus qu’il n’était censé le faire ».
Inconsciente d’avoir les larmes au yeux, elle laissa un sourire lumineux se former sur ses lèvres. Elle savait qu’il était parfaitement stupide et irrationnel de réagir comme ça pour ce qui n’était, finalement, rien d’autre qu’un morceau de papier. Mais elle était absolument incapable de s’en empêcher. Jack O’Neill lui avait toujours fait cet effet.
C’était très beau.
Jamais elle n’aurait pensé que son général eût un tel talent pour la calligraphie. Aux lettres harmonieuses s’enroulaient des feuilles et des lianes qui semblaient émerger du décor dessiné autour.
Les lettres de son prénom se déroulaient sur la feuille comme une évidence.
Elle fronça soudain les sourcils. En bas de la page, parmi les fioritures, il y avait une inscription plus petite, un peu dissimulée. Elle se pencha dessus.
Son cœur s’arrêta.
...
Elle se laissa tomber dans le fauteuil. Comme dans un état second. Ce n’était pas possible. Elle devait rêver. Elle rêvait forcément. Ce n’était pas possible. Il n’avait pas écrit cela.
Elle regarda encore une fois. Se pinça. ‘Samantha O’Neill’ n’avait pas bougé. Ecrit noir sur blanc.
Elle relâcha enfin sa respiration. Bon d’accord, on était dans le monde réel. Mais il devait y avoir une explication rationnelle. Forcément. Forcément...
« Ah oui ? » lui souffla une insidieuse petite voix. « Cherche bien...Et appelle-moi le jour où tu trouveras... »
Son cœur continuait de battre follement, refusant d’obéir à toute injonction. Sam ferma les yeux, tenta de mettre un peu d’ordre dans ses pensées.
Lorsqu’elle les rouvrit, elle était parfaitement calme. A quoi bon refuser l’évidence ?
Elle n’avait plus besoin d’attendre son général. Elle était venue chercher une réponse. Et elle l’avait. Même si ce n’était pas ce qu’elle avait attendu...
Elle hésita une seconde avant de reposer la feuille là où elle l’avait trouvée. Elle aurait aimé la conserver, ou en avoir au moins une copie. Mais ç’aurait été compter sans la perspicacité du général O’Neill.
Sam sourit doucement avant de quitter le bureau. Non, finalement, elle n’avait pas besoin de preuve matérielle. Elle avait de quoi lutter contre n’importe quelle peur, n’importe quel doute, n’importe quelle solitude.
Trois petits mots. Rien pour certains. Tellement pour elle.
Mme Samantha O’Neill.
Trois petits mots auxquels rien, jamais, ne pourrait se mesurer. Et surtout pas quelque chose comme Mme Samantha Shanahan...
Elle referma la porte derrière elle et repartit vers ses quartiers.
Au détour d’un couloir, elle se retrouva nez à nez avec lui.
« - Ah, Carter. Walter m’a dit que vous m’attendiez...
- Finalement c’est bon, mon général, j’ai trouvé ce que je cherchais. »
Elle lui adressa un sourire rayonnant, avant de continuer son chemin.
Ebloui pendant un court instant, le général O’Neill sentit une douce chaleur se déverser en lui. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas eu droit à un tel sourire. Tout en retournant vers son devoir – qui, à cet instant et pour son malheur, se matérialisait sous la forme de piles et de piles de dossiers – il chercha mentalement ce qui lui avait paru différent chez elle.
Car il y avait quelque chose de différent, il en était sûr.
Ce fut en traversant la salle de contrôle qu’il trouva. Il s’arrêta brutalement, s’attirant des regards surpris de part et d’autres.
Sa bague de fiançailles.
Elle n’avait plus sa bague de fiançailles.
Elle lui avait fait un léger signe de la main, à laquelle ne brillait plus aucun anneau... Et Carter n’était pas du genre à perdre sa bague ou à la laisser traîner par mégarde.
Jack sentit son cœur s’alléger soudain. Ce n’était peut-être pas très gentil, mais il n’y pouvait rien. Il reprit sa marche d’un pas alerte. Souriant.
Définitivement souriant.
Samantha Carter ferma la porte de son laboratoire et se laissa glisser au sol. Heureuse comme elle ne l’avait pas été depuis des mois.
Elle l’attendrait. Bien sûr qu’elle l’attendrait. Elle ne demandait que ça, elle.
Quelque chose qui lui permette de l’attendre...De se raccrocher à un espoir.
Elle ne demandait que ça.