Il était une fois quatre explorateurs qui arpentaient la galaxie…
© Eudoxie
SG1, saisons 9-10
écrit sous réserve des droits des propriétaires de SG,
en réponse au concours de janvier 2007 : commencez un récit par « il était une fois »
« ‘‘Il était une fois’’ ? »
« Oui, mon Général. »
« Dites-moi Colonel, vous me passerez cette expression un peu cavalière que vous mettrez sur le compte de mon inénarrable incompétence en matière d’humour, mais… vous vous foutez de moi ? »
« Non mon Général ».
« ‘‘Non mon Général’’. ‘‘Il était une fois’’, et ‘‘Non mon Général’’. Vous ne trouvez pas qu’il y a comme un hic, là ? Une incohérence fondamentale ? »
« J’ai fait ce que vous m’aviez demandé, mon Général. J’ai rédigé ce… ce… »
« Ce... ? » l’invita-t-il à poursuivre, comme si son petit geste incitatif de la main pouvait l’aider à trouver ce *** de mot qui refusait de sortir.
Un silence. Deux petites secondes, qui peuvent parfois sembler très longues.
« Ce… Enfin… Ce… rapport destiné au grand public » conclut difficilement le Colonel Carter.
Le Général Landry se leva pesamment, fit le tour de son bureau d’un pas lent, et se planta face à sa subordonnée. La jeune femme se figea, une moue crispée sur les lèvres.
« Vous avez bien lu le même mémo que moi, n’est-ce pas Colonel ? » murmura-t-il d’une voix doucereuse, se penchant vers elle.
« Euh… Oui, je crois que oui, mon Général » balbutia-t-elle.
« Vraiment ? »
« Euh… Si vous faites référence à celui nous demandant de remanier un précédent rapport de mission en vue d’une diffusion dans le grand public sous forme d’un récit épique afin de voir l’impact que pourrait avoir la divulgation de l’existence de la Porte au monde, alors oui, mon Général, c’est le même » dévida-t-elle sans respirer, d’une voix peu assurée.
Le Commandant en chef du SGC serra un peu plus les poings, ce qui ne présageait rien de bon.
« C’est ça. Et vous savez de qui il émanait, bien sûr ? »
« Oui, mon Général. Du Chef de cabinet du Président, mon Général. »
« Bien, Colonel, bien. Et vous savez de quel Président il s’agit, n’est-ce pas ? »
Carter le dévisagea, quelque peu intriguée pour le ton professoral qu’il adoptait, en contradiction totale avec son attitude. Car pour tout dire, Landry semblait faire un effort considérable sur lui-même pour ne pas ‘‘péter les plombs’’. Et même si les confidences de Carolyn Lam sur les fureurs que pouvait avoir son très respectable papa étaient minimalistes (pour ne pas dire inexistantes, les confidences, pas les fureurs), Sam était suffisamment bien placée pour savoir qu’un officier (qu’il soit le père, le petit ami ou, le cas échéant, l’incarnation d’un Nirvana inatteignable) pouvait avoir des colères retentissantes. L’orage grondait indéniablement.
« Oui, mon Général. Je sais de quel Président il s’agit » répondit-elle vaillamment.
« Vous savez, c’est ce type qui habite une grande maison au fond d’une grande allée. Une baraque immense avec un bureau mal fagoté dans lequel il n’y a pas de coin ! »
« Le bureau ovale de la Maison Blanche » traduisit Sam, non sans impertinence.
Il est parfois des moments dans la vie, où la parole dépasse la pensée. Ou plus exactement, où les lèvres laissent filtrer des pensées qui n’auraient jamais dû être formulées à haute voix. Des moments où l’on s’entend parler tout en se demandant pourquoi, mais pourquoi on est en train de dire une telle énormité. Le genre de choses qui se produit quand, tête en l’air, vous vous excusez auprès de votre voisine enceinte jusqu’aux dents que vous venez de percuter violemment, et que vous la gratifiez d’un magnifique « Ah désolée, je ne vous avais pas vue, mais je ne verrais pas une vache dans un couloir, vous savez ». Genre, la gaffe, quoi. Le-truc-à-ne-pas-dire-et-qu’on-sait-qu’on-ne-doit-pas-dire-mais-qu’on-dit-quand-même-sans-savoir-pourquoi-on-le-dit-ni-même-pourquoi-on-l’a-pensé (quoique le plus souvent on le dit, justement, parce qu’on n’a pas pensé d’abord).
Bref.
Ce genre de ‘‘léger’’ dérapage verbal, cette broutille sans conséquence s’agissant de votre voisine dont vous ignorez le nom de toute façon et qui finira bien par se dévexer un jour, c’est exactement ce qui venait d’arriver à Sam. Sauf que ce n’était pas avec l’insipide voisine préparturiente, mais avec son supérieur direct. Un supérieur direct de surcroît irrité (bel euphémisme, en fait il frôlait l’apoplexie). Et effectivement, la réaction d’ébullition qu’elle soupçonnait chez l’honorable Major-Général Hank Landry connut une accélération tout à fait remarquable.
« Et vous croyez que vous pouvez lui raconter des contes pour enfants, au Président ??? » hurla-t-il, faisant reculer la jeune femme (toujours prudente) d’un bon pas – la commode dans son dos la privant d’un second pas qui, pourtant, eut été tout à fait salutaire en les circonstances présentes.
Elle se racla la gorge, cherchant une contenance qu’elle était loin d’avoir. Elle pouvait compter sur Walter pour ne surtout pas venir la délivrer à cet instant, le sergent étant certes efficace, mais également homme prudent. Il n’irait certainement pas s’aventurer dans un tel guêpier. D’ailleurs, aucun être normalement constitué n’aurait voulu être dans ce bureau avec eux en cet instant. Vu les hurlements, les cinq étages du dessus et du dessous devaient être au courant qu’il était préférable, pour la survie immédiate de tous, d’éviter le secteur ‘‘BHL’’ (Bureau Hank Landry, rien de philosophique là-dedans, mais plus attirant que le peu classieux BJON, plus stable que l’éphémère BEW, sans parler du BGH dont le nom rappelait irrésistiblement une drogue aux effets néfastes pour la mémoire, chose qui avait parfois bien manqué à l’ancien chef de SG-1 lors de ses multiples frasques).
Mais revenons à nos moutons. Avec les cris qui jaillissaient dudit bureau susnommé, aucun risque que qui que ce soit ne vienne au secours du malheureux destinataire desdits cris précédemment évoqués (la fatigue aidant, Sam admettait sans conteste la persistance de séquelles dues aux nombreux rapports administratifs lus et relus). Et évidemment, paf, ça tombait sur elle, ce genre de colères. A croire que...
…
Sam n’eut pas davantage l’occasion de s’appesantir sur sa malchance et/ou la veulerie de ses camarades de galère : elle dut constater que le Général s’était à nouveau rapproché d’elle. Il est vrai qu’avec la rapidité tout à fait remarquable de ses p’tites cellules grises, comme dirait un détective français belge bien connu, ses pensées fulgurantes n’avaient pas duré plus longtemps que le battement d’aile d’un moucheron asthmatique.
« Je vous écoute, Colonel ! » lui cracha-t-il, tendu à l’extrême.
Elle déglutit (gagner une seconde, ça peut toujours être utile, surtout dans ce genre de tête-à-tête tout à fait enrichissant).
« Et bien voilà, mon Général, vous allez rire… » commença-t-elle.
Œil noir à gauche. Mauvais début.
« Enfin vous allez comprendre… » se corrigea-t-elle.
Œil toujours noir à gauche ; sourire très, très, vraiment très crispé à droite.
« Le Chef de cabinet du Président voulait un rapport de mission, le récit d’événements qui nous sont réellement arrivés durant une exploration offworld, mais quelque chose d’un peu retravaillé de façon à ce que ça ne fasse tout de même pas trop ce que c’est. Histoire de pouvoir le diffuser et voir les réactions sans que personne, à ce stade, ne puisse deviner que c’était une véritable mission. »
« Vous avez donc lu le mémo » en déduisit Landry, sans pour autant reculer.
Nouveau sourire très très crispé à droite. C’était pas gagné, lui faire avaler le ‘‘il était une fois’’…
« Alors voilà… On s’est dit qu’il fallait présenter les choses sous un autre jour, et, euh… Enfin étant donné que la série X-Wormhole existe déjà et n’a pas soulevé de polémique – la preuve, son bide monumental dès la fin de la première saison – j’ai suggéré qu’on présente le rapport de notre mission sur P3X-459 sous un jour différent ».
« Très différent, je vous l’accorde ! » gronda Landry.
« Et bien en fait écrire un scénario de série, c’était franchement nul, mon Général. Personne ne pouvait accrocher dessus, pas alors qu’à côté il existait des trucs comme StarWars, StarTrek ou…
« …ou Star machin, je m’en fous, Colonel ! Je vous juste savoir ce que c’est que ça ! » s’écria-t-il, agitant une trentaine de pages imprimées et reliées sous le nez de la jeune femme.
Le ‘‘ça’’ étant, bien sûr, le fameux rapport de mission sur P3X-459 (très belle mission d’ailleurs : des Jaffas, un Goa’uld, des Asgards, des explosions, franchement top classe)… Euh… Ah, oui. Le ‘‘ça’’ étant, bien sûr, le fameux rapport de mission sur P3X-459 légèrement retravaillé par un officier brillant de l’US Air Force pris en la personne du Lieutenant-Colonel Samantha Carter, et par un éminent docteur en archéologie et philologie, Daniel Jackson, présentement (et comme par hasard) urgemment rappelé et retenu auprès d’une vieille tante dolente. C’est d’ailleurs juste à cet instant, ces deux secondes où elle mesurait toute l’étendue de sa solitude face au Général Landry, que Sam réalisa avec horreur qu’elle avait été ignominieusement bernée, Daniel n’ayant jamais eu de tante, encore moins à Colorado Springs.
« Alors c’est quoi, ça ? » insista lourdement le Général, la surplombant de tout son imposant gabarit.
« Et bien… Un conte pour enfants, mon Général » répondit piteusement la jeune femme.
« Vous vous prenez pour qui ? La fée clochette ???? » hurla-t-il.
Silence. Long, celui-là. Bien pesant, aussi. Sam préféra baisser le nez et se concentrer sur l’état (lamentable, tiens, d’ailleurs) du cirage de ses rangers. Si le Général cédait à la pression et lui en collait une, elle aimait autant ne rien voir venir. Ça lui éviterait d’anticiper et de lui en retourner une aussitôt. Une telle riposte ne pourrait qu’envenimer une situation déjà un tantinet tendue, et abréger sa carrière au sein des forces armées. Elle ferma les yeux, se traitant mentalement d’âne décérébré. On n’était quand même plus en primaire, là, le Général n’allait pas… Elle rouvrit les yeux, se concentrant sur son lacet droit. On n’était plus en primaire mais elle venait de réécrire intégralement un rapport de mission sous forme de conte pour enfants. Tout était permis, désormais.
Mais non. Le SGC ne sombrerait pas dans le burlesque, avec en première page de la gazette interne (et inexistante) de la Base, un titre étalé en gras sur les trois colonnes : ‘‘Quand un Général baffe un Colonel’’.
Car le Général finit par se redresser et reculer d’un pas. N’hésitant pas, dans la foulée il contourna son bureau et se laissa tomber dans son fauteuil, jetant le paquet de feuilles (imprimées et reliées) en travers du plateau.
« Et vous croyez sincèrement que je vais transmettre ça à la Maison Blanche ? » lâcha-t-il, désabusé.
Sam quitta avec regrets son lacet pour relever les yeux vers son estimé supérieur direct qui avait eu le bon goût de maîtriser ses nerfs.
« Après tout ils veulent le récit d’une véritable mission sous une forme qui ne fait pas trop réaliste » répondit-elle d’une voix vacillante. « Mon Général » ajouta-t-elle prudemment.
Landry rattrapa le paquet de feuilles et relut à haute voix la première phrase.
« ‘‘Il était une fois quatre explorateurs qui arpentaient la galaxie, venant en amis à la rencontre de nouveaux peuples…’’ »
Il relaissa tomber les feuillets sur son bureau. Blasé et fataliste.
« C’est clair que le premier qui fait le rapprochement entre ça et le programme d’armements ‘‘Porte des étoiles’’ enfoui au plus profond de cette foutue montagne, je lui tire ma révérence ! » marmonna-t-il.
Sam resta figée, ne sachant si elle devait se réjouir ou au contraire s’alarmer de l’apparent calme soudainement retrouvé du Général. Celui-ci croisa son regard et haussa les sourcils.
« Ça ne fait pas très réaliste, votre affaire, là » nota-t-il.
« Je sais, mon Général. Mais je vous promets que nous n’avons rien ôté du rapport original, tout y est. Le Chef de Cabinet du Président ne pourra absolument rien nous reprocher sur ce point »
Le Général ne répondit pas tout de suite, considérant d’un œil vide les feuillets et calculant le temps qu’avaient pu perdre deux des membres de son équipe phare pour écrire une telle ineptie. A croire qu’ils n’avaient rien de mieux à faire, à la Maison Blanche, que de se lancer dans des études marketing sur la popularité qu’aurait ou non la divulgation du projet Porte des étoiles ! Savaient-ils seulement que les autres bossaient, eux ? Et qu’ils bossaient sérieusement, en plus ?
« Bon » fit-il, haussant des épaules. « Vous pouvez disposer, Colonel. Je vous tiendrai informée ».
« Oui mon Général. Merci, mon Général. »
Elle pivota sans demander son reste, se retenant de bondir vers la sortie. Alors qu’elle avait la main sur la clenche et que la porte s’ouvrait déjà, elle tressaillit en s’attendant rappeler.
« Oui, mon Général ? » dit-elle, raide comme un piquet, se retournant vers lui.
« N’espérez aucun droit d’auteur là-dessus ! » sourit-il, tapotant le paquet de feuilles.
A son tour, elle sourit. Finalement, ça ne s’était pas si mal passé…
Fin…