« Je me sens si seule. Si seule dans ce labo rempli d’inventions diverses et variées, dont je me sens fière et que je déteste en même temps, car les mois que j’ai passés dessus sont autant de mois qui ne reviendront pas, autant de mois perdus pour mes rêves de famille, d’enfants, d’amour...Je regarde machinalement ma montre. 2h34 du matin. La lumière de cette pièce doit être la dernière dans tout le complexe. Les autres dorment. Pas moi. Je ne dors plus depuis des semaines, trop effrayée par les cauchemars qui pourraient en résulter. Et puis, je n’ai pas le temps. Il faut que je trouve une solution. Une solution pour le ramener et lui ôter ces saloperies de la tête. Ces saloperies qui ont sauvé la Terre mais qui l’ont condamné...
La souffrance m’accompagne, chaque jour, chaque seconde. Une douleur profonde, lancinante, physique même, qui ne me lâche jamais et qui prend différents visages. Celui de Janet, celui de mon père que j’ai de plus en plus peur de ne jamais revoir, et le sien...
Jack. »
Elle enfouit sa tête dans ses mains, sentant son cœur se briser encore un peu plus à ce prénom qu’elle s’interdisait d’évoquer.
« - Jack, Jack... »
Un murmure désespéré. Aussi vain que le combat qu’elle mène pour empêcher ses larmes de couler. Elle a tant besoin de lui. De sa présence, de ses mains, de son sourire...S’il était encore là, probablement qu’il viendrait la sortir de son maudit labo, même de force, arguant qu’il est son supérieur et qu’il doit veiller à la santé de son équipe. Si Janet était encore là, elle viendrait user de son autorité de médecin pour l’obliger à se reposer. Mais il n’y a personne...
« Je sais que j’ai tort de voir les choses ainsi, je sais que je ne suis pas si seule. Je sais que le général, Teal’c et Daniel souffrent autant de moi de cette situation. Mais le général n’est plus au SGC et il se débat avec les ordres du gouvernement pour obtenir des délais ; Daniel travaille comme un forcené à ses traductions, à la recherche de n’importe quel indice qui pourrait nous aider à trouver la cité des Anciens. Il fait pareil que moi, au fond. Moi, j’avoue que je n’y crois plus. Et puis, finalement, à voir ce que ‘l’avant-poste’nous a apporté – un bloc de glace ! On est censés dire merci ? – j’aime autant trouver la solution par moi-même ! De toute façon, les Asgards ne répondent plus, les Tok’râ nous ont laissé tomber – Oh, papa, où es-tu ? – et les Jaffas...N’en parlons pas, ils ont déjà assez de mal comme ça à maintenir la cohésion au sein de leur seule communauté. Le problème est que le temps passe et que je ne trouve rien. Rien. Rien ! »
Et elle souffre terriblement de cet échec. Elle, la grande Samantha Carter, censée avoir toujours les solutions, elle n’y arrive plus...Mais pourquoi faut-il que ce soit aujourd’hui ? Pourquoi maintenant, alors qu’il a tant besoin d’elle ?! Furieuse, désespérée, ivre de douleur et de chagrin, elle envoie valser le clavier avec lequel elle tentait de mettre au point un remède, puis l’ordinateur suit le même chemin. Elle frappe, détruit, se fait plus de mal à elle qu’aux machines, mais qu’importe ? Elle sait qu’elle ne trouvera pas.
« J’ai tout essayé, tout ! Il n’y a rien que je puisse faire. Je suis condamnée à le regarder dans cette prison glacée, et à descendre pour cela dans cette salle ‘congélateur’ du niveau -28. A rester seule à jamais. Aucun homme ne peut prendre sa place pour moi, et ce serait injuste pour cette personne qui ne serait qu’un remplaçant, un pâle substitut. C’est pour ça que j’ai rompu avec Pete en rentrant ici. Je crois qu’il était soulagé, qu’il avait compris qu’il y avait quelqu’un d’autre en voyant ce que je souffrais, et que le temps que je passais à mon travail, même s’il en connaissait la nécessité, lui posait un problème. Je l’ai vu s’éloigner de moi, sans rien éprouver d’autre qu’un vague regret, un peu d’affection et de tristesse parce qu’il avait cru en notre relation. Moi...Je crois que je me suis contentée de faire semblant. »
Elle s’est laissée tomber au milieu du laboratoire, dans un des seuls coins à n’être pas jonché de morceaux de verre, de feuilles et d’objets détruits de toutes sortes. Il lui faudra des semaines pour tout remettre en ordre. Enfin, pour peu qu’elle éprouve la moindre envie de le faire, et ce n’est pas le cas. Ainsi recroquevillée sur le sol en position fœtale, secouée de sanglots, elle n’a plus rien de la brillante militaire, de la femme souriante ou de la scientifique si douée. Et elle s’en fiche bien. En cet instant, elle donnerait tout ce qu’elle a pour pouvoir respirer encore une fois son odeur ou entendre une de ses blagues...Elle donnerait n’importe quoi. Mais ça ne suffit pas.
« Je veux Jack. Je veux Jack. Je veux Jack, je veux Jack, je veux Jack, je veux... »
Pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi ? Elle s’étouffe, sanglote de plus belle, tend la main vers un large morceau de verre tout proche, qui semble bien coupant. Juste ce qu’il lui faut. Elle n’a pas le temps de s’en saisir, la porte du laboratoire s’ouvre. Elle ferme les yeux et compte jusqu’à dix. Faites que ce soit lui. Faites que ce soit lui. La personne entre, s’assoit à côté d’elle, sans bruit. Elle sait alors qui elle va voir et ouvre les yeux. Ces yeux bleus remplis de larmes rencontrent le regard sombre, profond et apaisant, du Jaffa qui combat à leurs côtés depuis maintenant sept ans.
« - Teal’c... »
Elle voit la peine sur son visage d’ordinaire indéchiffrable. Une peine qui n’est pas seulement due à l’absence d’O’Neill mais aussi à l’état dans lequel il vient de la trouver, elle, son amie : les yeux cernés, plus pâle que jamais, les larmes ruisselant sur ses joues.
« - Je n’arrivais pas à dormir » dit-il pour expliquer sa présence.
Elle rit, mais c’est un rire amer, dans lequel s’entendent sa solitude et sa douleur.
« - Moi, ça fait des jours que je ne dors plus.
- Je sais. »
Elle le regarde, surprise. Il l’observe avec attention, et même avec douceur. Ca la touche plus qu’elle ne voudrait. Il explique calmement :
« - Je suis passé devant votre laboratoire de nombreuses fois, ces trois dernières semaines. Et pas seulement en plein jour.
- Vous me surveillez ? »
C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle soit sur la défensive.
« - Je veille sur vous, Samantha, c’est différent. »
Et voilà qu’il l’appelle par son prénom, maintenant...
« - Pourquoi ?
- Parce que c’est ce qu’O’Neill aurait voulu. »
Il penche légèrement la tête sur le côté, comme guettant sa réaction. Elle soupire tout bas, baisse la tête. La franchise de Teal’c a quelque chose de rafraîchissant, de rassurant, au milieu de tous ces gens autour d’elle qui évitent soigneusement de prononcer son nom. Et pourtant, comme ça fait mal...
« - Il n’est pas encore mort. »
Elle le regarde, surprise d’abord, puis malheureuse.
« - Mais presque. Je n’y arrive pas, Teal’c. Je ne trouve pas comment le sortir de là. Je n’ai aucun moyen de savoir si cette foutue ‘bibliothèque’ est toujours dans sa tête...Je ne sers à rien, on ne peut rien faire pour l’aider, et je finis par me demander si ce machin n’est pas un cercueil de glace plus qu’autre chose...‘Dormata’ !...Je vais devenir folle si j’entends encore ce mot.
- Vous ne pouvez pas vous reprocher tout ce qui ne va pas au SGC.
- C’est ce qu’il disait aussi... » Elle esquisse un sourire tremblant. Qui disparaît bien vite. « Mais là...C’est différent. Il n’y a que moi qui puisse l’aider et voilà ce que ça donne ! Comme il serait déçu...
- Vous vous trompez. Vous avez fait tout ce que vous avez pu et je suis sûr qu’O’Neill vous en saurait gré. Mais il ne voudrait pas que vous vous tourmentiez et ressassiez indéfiniment que c’est votre faute. Vous n’êtes pas responsable, Samantha. Il a pris seul cette décision.
- Pour nous sauver tous...
- En effet. O’Neill est un héros » dit-il en insistant sur le présent. « Et un ami extraordinaire qui a confiance en nous. Il a été le premier à croire en moi. Il a en vous une confiance illimitée, mais il ne faut pas que vous considériez cela comme un poids. Je suis sûr qu’il aurait détesté être la cause de votre chagrin et de votre culpabilité. Vous n’avez pas à vous sentir responsable » répète-t-il en relevant d’une main le joli visage vers lui pour la forcer à le regarder en face.
Elle croise son regard et hoche la tête lentement. La conviction de son ami fait son chemin dans son esprit et elle se surprend à vouloir le croire. Elle est si fatiguée de lutter contre elle-même. Et puis, Teal’c ne peut pas avoir totalement tort, n’est-ce pas ? Teal’c, si solide, si ‘profond’ pour reprendre l’expression de Daniel...Teal’c qui parle peu mais qui comprend tout, qui est toujours là quand on a besoin de lui. Elle lui sourit. Puis éclate en sanglots. Son ami l’attire contre lui et l’entoure de ses bras, berçant doucement la petite chose malheureuse et recroquevillée qu’est Samantha Carter à cet instant. La jeune femme se calme peu à peu.
C’est l’instant que choisit Daniel pour faire irruption dans le labo, le souffle court, un tas de feuilles volantes à la main.
« - Je crois que j’ai trouvé !... La Cité perdue...Je suis quasiment sûr de savoir où elle est !! »
Il n’en faut pas plus pour remettre Sam et Teal’c debout. Daniel saisit la main de son amie pour l’entraîner, elle attrape celle du Jaffa et ils se mettent à courir, de toutes leurs jambes, vers les quartiers d’Elizabeth Weir. L’idée ne les effleure même pas qu’à trois heures du matin, les gens ‘normaux’ dorment. Le même espoir brille dans leurs yeux.
« On le sauvera. Qu’importe le temps que ça prendra. On le sauvera, tous les trois, et il verra qu’il avait raison de nous faire confiance...Parce que sans lui, SG-1 ne peut pas être. Prépare-toi, Jack...On arrive !! »
Fin