L’herbe haute des fourrés cachait volontairement les corps allongés des deux hommes. L’un d’eux, étendu sur le dos, plongea machinalement sa main dans le bac de bière tandis que l’autre, allongé sur le ventre, réajustait professionnellement l’angle de ses jumelles de manière à ce que les lentilles optiques puissent faire apparaître une ombre humaine derrière le vasistas.
Jack O’Neill.
C’était Jack O’Neill derrière le vasistas. La dernière fois qu’ils l’avaient vu, c’était hier exactement, au Sgc où il leur avait annoncé, avec l’accord d’Hammond bien entendu, son départ en week-end. Pour ‘régler certaines choses’ avait il avoué naturellement en esquivant le regard de chacun.
Le sol de la salle de briefing devait être sacrement intéressant à ce moment là.
Et c’est tout simplement que chacun des membres de Sg1 évitèrent de venir le voir dans ses quartiers avant son départ. Peut être moins désormais, puisque Daniel et Teal’c venait de prendre pour campement le fond du jardin de Jack, vaste prairie où un coup de défrichage aurait bien été nécessaire.
Daniel fit jouer le fond de sa bouteille de bière sur son ventre et ouvrit les yeux sur le temps morne et sec de cette saison d’été qu’ils se trimballaient depuis la sortie du parking. Et peut être que Sam l’avait avec elle …Elle aussi était sortie du parking ce matin, et plus tôt qu’eux.
Oui, mais encore fallait il qu’elle arrive à destination, c’est à dire chez Jack.
‘Toutes les routes mènent à Jack’ murmura le jeune homme en reposant maladroitement la bouteille manifestement vide de bière à coté des deux autres et du paquet de doughnuts fraîchement acheté. Il proposa une bière à Teal’c qui refusa gentiment l’offre et passa du coté ventre pour voir arriver, en plissant des yeux, une tache noire avec plusieurs reflets lumineux.
Thor peut être ?
« C’est une voiture, Daniel Jackson. »
« Ah… merci Teal’c.» Répondit l’archéologue en réajustant ses lunettes de son index.
La voiture noire aperçue se gara près du chemin en gravillon et ralentit jusqu’à s’immobiliser devant la maison. Il n’en sortit personne pendant les quinze voir trente minutes qui suivirent.
« C’est enfin elle ? » Souffla Daniel à Teal’c qui faisait tourner de ses doigts le viseur des jumelles précautionneusement.
« En effet. »
Daniel leva les yeux au ciel en faisant mine de s’écrier ‘alléluia’, puis, ayant fait tomber les herbes qui obstruaient sa vision, les poussa violement à plat avec sa main. Aussi excité qu’un lapin de six semaines, il trouva alors un grand intérêt à regarder scrupuleusement la maison de son ami. Soit, le même intérêt qui les avait poussé à venir en 5ème vitesse juste après avoir remarqué le départ précité et douteux de leur amie.
Sam venait de débarquer timidement dans la propriété d’O’Neill et fit enfin prendre l’air à ses jambes hors de sa voiture. Elle brossa de sa main l’avant et l’arrière de sa jupe tout en admirant avec crainte la façade. Un air de ‘Mais qu’est-ce que je viens faire là’ s’afficha sur son visage déjà paniqué alors que ses pieds l’emmenaient malgré elle face à la porte d’entrée et que ses mains poussèrent la porte de sa voiture.
« Alors ? » Questionna Daniel excité.
« Il lui ouvre. » Affirma Teal’c d’une voix monotone.
« Et ? »
« Ils discutent sur le pas de l’entrée. » Murmura discrètement Teal’c et poursuivit «Il la laisse entrer. »
« C’est tout ? » S’inquiéta le jeune homme à un étonnant rictus sur le visage.
« En effet. Je rajouterais que Samantha paraissait étrange. »
« Parce que vous avez déjà vu Sam normale, vous ? »
« Non, je l’admets. »
« Sept ans d’attente pour les voir enfin rentrer l’un chez l’autre. Epoustouflant. »
« En effet, il me semble que je n’ai rarement ressenti cette impression de satisfaction. »
Un sourire bizarrement vicieux peignit les visages des deux amis. Daniel proposa pour la deuxième fois une bière mais le regard de Teal’c l’incita à la décapsuler à sa place et mieux : la boire à sa place.
« Je parie 15 dollars américains. » Affirma l’alien en reposant clairement les jumelles dans l’herbe et sortant de son baggie noir un billet de 10 et un autre de 5.
« Teal’c ? » Bafouilla Daniel en sortant brusquement le goulot de sa bouche et en laissant le débit de bière se répandre sur la pelouse.
« Je tente de participer à vos us et coutumes, Daniel Jackson. » repris Teal’c avec entrain.
« Je vois ça et je ne sais pas si je dois m’inquiéter ou me réjouir…En fait, ça me plait bien. Quinze aussi et je rajoute vingt si ça se passe dans (il retroussa sa manche vivement pour laisser apparaître sa montre) les vingt cinq minutes qui suivent. »
Daniel détroussa sa manche tout en s’interrogeant sur le résultat de son influence, réellement désastreux, puis reporta son attention sur la vitre de la maison où l’action principale de la journée prenait place.
« Elle se lève !»Résonna dans ses oreilles la voix caverneuse de Teal’c.
Les deux hommes se déplacèrent vivement chacun à sa manière : Daniel réajustant ses lunettes et se mettant en alerte, Teal’c, plus paisible, ramenant ses jumelles à son visage et cherchant dans son pantalon une quelconque arme alien absente.
« Merde ! Elle compte partir ? »
« Il me semble, oui. Elle parle…elle a l’intention de poser sa bouteille,… elle la pose,… elle réajuste sa jupe,… elle fait un pas en arrière,… encore un…» Murmura Teal’c en intensifiant chacun des gestes de Sam qui comptait déguerpir honteusement.
Un ‘RESTE !’ à deux voix masculines désespérées fut prononcé derrière les fourrés tandis que quelques secondes à peine après, Sam s’installa nerveusement sur le sofa, près de Jack.
« Nom de…On l’a échappé belle ! »Déclara Daniel en se réinstallant dans le calme sur les herbes repliées sous son poids.
« Il semble que ce départ précipité est dû à la précédente compagne d’O’Neill. »
« Sarah !? Sarah est là ?? » S’exclama Daniel estomaqué.
« Non. Mais la photographie de cette femme a interpellé le colonel Carter. Elle a certainement dû le questionner sur leur ancienne relation. » Continua Teal’c avec la même monotonie.
« J’y crois pas… »Lâcha en passant un Daniel qui pensait avoir atteint le fond.
Il vitupéra contre Sam et murmura que ça valait bien une bière en farfouillant dans le bac réfrigéré. Il décapsula rapidement celle-ci, jeta un coup d’œil à son ami installé tout près de lui avant de lui proposer gestuellement la bière.
« Daniel Jackson, quand allez-vous arrêter de me proposer cette boisson alcoolisée aux conséquences désolantes ? »
« … Quand vous en aurez pris une. Bière ? »
Teal’c reprit ses jumelles en main et, sans aucune autre forme de procès, laissa Daniel en plan avec sa bière pleine tenue par le goulot. Un jour, il l’aurait. Le jeune homme s’étendit plus confortablement contre le sol et plissa les yeux sur le couple à travers la vitre comme s’il détenait à l’instant même le pouvoir de déchiffrer leurs paroles en suivant le mouvement de leurs lèvres.
Et manifestement, ça fonctionnait.
Enfin, à moitié.
Le ¼ plutôt…
Le 1/10ème …
Pas grand-chose, tout compte fait.
Transcription momentanée et foireuse du dialogue par le Docteur Daniel Jackson :
« Colonel… »
« Oui ? »
« J’aurais pris le fer.»
« Et le retirer de cet engin ? Vous êtes gonflée.»
Silence.
« Carter, vous êtes la ressource minière de ce pays, peut être même un filon d’hydrocarbure. On ne peut pas l’extraire autrement. Je souhaite juste qu’on puisse utiliser une pioche.»
« Mais, même si on enfouit le fer en particule, même si on explose les parois avec la brouette… »
« Alors, on trouvera la veine. »
Fin de la transcription momentanée et foireuse du dialogue par le Docteur Daniel Jackson.
Une herbe folle lui chatouilla délicieusement le nez tandis qu’il se rappelait le but initial de leur venue. Daniel rassembla ses forces, se hissant sur ses bras pour parvenir à calmer son mal de dos naissant.
Dure était l’attente pour lui.
L’impossibilité de se mouvoir, le coté sacrement non festif de Teal’c, le temps cafardeux, l’ennui, l’ennui, l’ennui, l’ennui…Seul le couple, face à lui 10 mètres plus loin, le gardait éveillé.
Hé hé hé.
Il était là pour leur bien commun après tout ! Non loin de là l’idée de leur pourrir la vie et leur relation ! Un peu, juste un peu, c’est tout… Mais qui ramasserait les pots cassés si l’ensemble de la hiérarchie du Sgc découvrait qu’un colonel et son second se tripotaient volontairement dans la magnifique demeure de celui-ci.
Certes, Jack allait mourir.
Mais, il pouvait quand même attendre d’être cinglé pour le faire sans répercussions. Déjà qu’un mort faisait pas mal de remous dans les hautes sphères du Pentagone, il ne fallait même pas imaginer une partie de jambes en l’air entre officiers réputés…
« Mais, je suis content pour eux. » Commença Daniel en réponse à ses pensées.
« Je le suis aussi. »Affirma le jaffa.
« Depuis le temps qu’ils le méritent, il fallait bien que ça arrive un jour où l’autre. »
« Et c’est une chance que nous soyons aux premières cabines. »
« Loges, Teal’c, premières loges. »Tiqua Daniel.
« Soit, mais il reste nécessaire de prendre avec précaution cette nouvelle relation. »
« A qui le dites vous… »Marmonna Daniel un peu trop vite avant de reprendre plus franchement « Hammond va venir faire un tour. Il compte en très grande partie sur nous. »
« Voilà qui est sage. Seulement, à quel moment devons-nous les arrêtez ? »
Un silence pervers intervint, laissant quelques réflexions, pensées, réponses peu communes et surtout peu catholiques s’imposer où Daniel déclara :
« Je pense que la limite du décent suffira. »
Les deux compagnons hochèrent la tête simultanément avant de retourner à leurs petites et nouvelles occupations, celle de compter le nombre de cran sur les capsules de bière pour Daniel et celle de découvrir les nouvelles et merveilleuses capacités technologiques de la-paire-de-jumelles-ultra-performante-avec-infrarouge-intégré de Teal’c made in Taiwan. L’archéologue soupira longuement avant de se reprendre en passant sa main sur l’herbe. Teal’c, voyant le besoin de le tenir au courant (et réveillé) le renseigna sur la situation :
« Ils parlent. »
« Quel sens de la description, Teal’c… »Déclara l’homme blasé.
« Mes paroles ne reflètent que ce que je vois Daniel Jackson. Si vous le souhaitez, je vous donne les jumelles. »
« Non…non, merci, j’ai assez confiance en vous. Si vous ne détaillez pas, c’est ce que ça ne vaut pas la peine. Vous me le direz quand on y va. »
« Entendu. Sachez d’ors et déjà que vous avez perdu vos vingt dollars américains.» Affirma Teal’c le sourire aux lèvres.
« Vous êtes sûr que c’est la première fois que vous pariez ? »Questionna Daniel après un moment de silence.
L’inclination de tête de son ami lui valut un ‘Oui’ comme réponse. Puis, quelque minutes après l’échange, Teal’c changea subitement d’attitude pour adopter une position plus militaire et contractée. Il vérifia plusieurs fois ce qu’il venait d’apercevoir derrière le rideau de la maison avant de se prononcer sur la marche à suivre.
« O’Neill a attaqué, il me semble. »Dit il enfin.
« Ah. Passez moi les jumelles. »
Le jeune homme, enfin ravi de nouvelle fraîches et excitantes, tendit la main dans l’intention d’obtenir la paire, mais le Jaffa ne semblait pas avoir l’envie nécessaire pour la lui donner : c’était bien plus intéressant de voir de près que de loin et il n’avait qu’à se servir lorsqu’il lui avait proposé.
« Enfin, si poser une main sur la cuisse et l’autre sur la joue est une forme d’attaque. »Reprit Teal’c calmement en ignorant l’impatience de Daniel.
« A quel niveau sur la cuisse ? »
« 15 centimètres de la jupe vers l’intérieur gauche. 14, 13, 12 centimètres… »Détailla t-il.
« Elle porte une jupe en plus. »
« En effet. »
« La noire ? »Demanda Daniel suspicieusement en refermant le bac à bière.
« La noire, semi longue, avec un découpage triangulaire, oui. »
« Quel vicieux, dire que c’est moi qui lui ai acheté. Je pense que je vais m’en vouloir de l’avoir fait si c’est pour savoir qui va poser la main dessus. »
« Vous savez Daniel, ce n’est pas la jupe qui attire O’Neill, c’est ce qu’il y a dedans. »
« Encore heureux ! »S’exclama le jeune homme reboutonnant son col de chemise.
« Le major Carter n’est pas en reste non plus. »Affirma son ami en se relevant légèrement.
« J’ai toujours su qu’elle était douée pour le bouche à bouche. »
« Il me semble que nous pouvons y aller Jackson. »Dit il en souriant, puis, rangeant précieusement sa paire de jumelles dans l’étui.
« Il n’a plus sa main sur la cuisse ? »Interrogea t-il avec curiosité en s’apprêtant à se diriger vers la maison.
« Elle est désormais ‘sous’. »
« Parfait. On y va.»