Citations du moment :
Si un jour un oiseau te chie sur la tête, ne t'énerve pas et remercie Dieu de ne pas avoir fait voler les vaches
Imagine

Matinée : Chapitre 1

Ca s’attardait longuement sur son cou. Très longuement. Trop longuement. Et Jack en prit vite conscience dans un semi réveil qui laissa ses yeux définitivement clos dans la pénombre, zébrée de quelques rayons lumineux. Les draps blancs formaient le bas de ses reins, l’oreiller étouffait sa respiration, il faisait doux dans cette chambre. Terriblement doux. Il savait qu’en ce moment la pluie battait les carreaux, ruisselait dans les gouttières, que la douceur de ce printemps rendait le climat encore plus voluptueux. Mais il s’en foutait. Rien ne comptait plus que cette matinée à dormir dans ces draps blancs, seul au monde, profitant de son unique espace protégé et inviolable sans son autorisation. Il y avait juste cette chose qui s’attardait dans son cou.

C’était long et lent. En deux parties. Les deux toutes aussi vivantes l’une que l’autre, pinçant tour à tour la peau et propageant des traces humides sur toute la surface. Parfois, il sentait trois choses chaudes, brûlantes presque. Jack fronça du nez et remonta ses épaules à son visage pour faire partir ce qu’il prenait pour plusieurs quelconques bêtes à six pattes. La sensation disparut, les bêtes, sûrement aussi dans les méandres des plis du drap. L’esprit rêveur et engourdi, il laissa la lourdeur des gouttes d’eau éclatant contre ses vitres lui parvenir à ses oreilles pour le bercer tendrement. Dans ce post sommeil, la chose repris sa pénible ascension. Un petit bout froid montant et descendant à plusieurs reprises, de l’oreille à l’omoplate, du frisson à la tendresse.  Aussi sensuellement que cela. Jack sortit de son état second calmement. On était Samedi matin. Il pleuvait. Les 25 degrés étaient atteints facilement par le mercure. Il n’y avait pas de raison à bouger, ni à s’énerver. Une pichenette, et ce qui lui semblait une chatouille aurait vite déserté le terrain sans demander son reste. Aussitôt dit, aussitôt accompli. Sa main tâta sa joue puis glissa le long des creux de son cou pour atteindre ses épaules nues. Une caresse aurait provoqué le même effet. Il réinstalla son bras entier sous le drap comme pour remonter celui-ci jusqu'au dos. Un courant d’air dans sa chambre souffla furtivement sur son visage apportant son lot d’odeur.

Ca sentait le talc. Pour bébé. Oui, le talc pour bébé. La voisine. Le talc du gosse de la voisine. Bon sang, comment n’avait il pas pu le deviner plus tôt. Le gosse devait être en train de tartiner son cou à coup de langue. Ou alors, c’était la voisine. Parce qu’il doutait qu’à neuf mois, l’enfant puisse mordre aussi près de sa pomme d’Adam. Une légère morsure, soit. Mais un pincement suave quand même. C’était subtil, troublant, excitant pour Jack même mais gênant sacrement sa matinée. Non seulement ces effluves de talc embaumaient toute la chambre mais il y avait aussi cette présence mystérieuse qui rendait Jack incapable de se rendormir promptement. Il entendait des mouvements, des gestes fluides, une calme respiration prolongée. Non. Ce n’était pas la voisine. Elle était asthmatique.

Une rondeur gelée parcourait sans relâche la peau de son propriétaire. Et la pluie continua de battre, sans retenue. Un nez et une langue. Il était persuadé maintenant qu’une langue et un nez frôlait, touchait, dévoilait, enveloppait son cou sans pudeur. Juste avec une tendresse infinie. La tendresse pendant les permissions, passe encore. Mais pas ce matin, surtout pas CE matin. Il bougea plus violement, tournant sa tête à gauche, coupant le contact brusquement avec cette chose inconnue qui prenait un malin plaisir à le poursuivre jusque dans les recoins les plus profonds de son cou. Le chat. Ca pouvait être le chat aussi. Cette langue parfois furtive et fine. Ce nez humide et désespérément froid. Il ne voulait pas voir et ne verrait rien. Mais il était sur que c’était le chat. Le chat et sa lenteur insupportable. Les poils de ses avants bras s’hérissèrent lorsque la langue revint à la charge sur la pointe de son épaule. Puis se furent ceux de ses jambes qui se mirent au Garde à vous lorsque des lèvres s’appliquèrent contre les grains de sa peau. Comment faire la grasse matinée dans ces conditions…

Sa main s’agrippa sur l’oreiller pour le balancer violement derrière lui. Il le sentait, là, l’énervement qui prenait petit à petit le contrôle de ses bras. Et comme si cela ne lui suffisait pas, il retourna le traversin pour s’isoler dessous, remonta entièrement la couette. Plus de langue, plus de nez, plus de lèvres ou plus de quoique ce soit qui puisse y ressembler de près ou de loin ! Coincé sous cet amas de literie, il doutait que cela puisse revenir. Et pourtant, qu’est ce que foutait cette langue sur son dos ?

Et qu’il se tortille à gauche, qu'il se tortille à droite, que ses jambes cherchent une autre place pour se loger, qu'il se roule sur lui-même pour mieux se rendormir, qu’il pousse des jurons en cherchant de sa main libre une langue qu’il imaginait désormais de trois mètres de long pour un de large coulissant sur sa colonne vertébrale et louchant sur ses cotes, qu'il remue sa couette comme un fou, qu’il brasse l’air violement en frappant sur le matelas et qu’il n’en puisse plus au point de se retourner entièrement en hurlant de rage...

Raaaaaaaaaah dégage !!

Ses jambes se levèrent violemment pour balancer le corps hors du lit, les genoux aidant en puissance contre la masse. Ce fut si brusque et si fort que la chose cogna durement le mur et le parquet dans un bruit étouffé par les draps et résolument sourd. Peut être... y était il aller un peu trop fort. Une voix humaine gémissante se fit entendre puis quelque chose comme une main sur l’arrière du crâne aussi. Des pleurs infantiles surgirent de la chambre voisine. Ca se releva et traîna ses pieds difficilement sur le plancher vers, peut être, la salle de bains en laissant derrière le même parfum de talc. Un murmure parvint à ces oreilles.

« Vraiment pas du matin, Jack. »

Il ouvrit subitement un œil fatigué pour tomber sur une improbable silhouette féminine vêtue d’un unique boxer noir se tenir difficilement les côtes dans sa chambre, partant dans le couloir gauchement.

Sam. Merde.

Il ferma l’oeil et sourit. Il se rattraperait.

 
 
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