All the things that make life worth living
Des lumières ambrées venaient lécher la surface du lac annonçant les dernières heures du jour. L’air s’était rafraîchi, perçant les fibres de coton qui recouvraient sa peau. Pourtant, immobile, elle laissait son regard se perdre dans un infini mélancolique tandis que les cliquetis aquatiques berçaient ses pensées.
Lui, n’avait pas ouvert la bouche, se gardant de tout commentaire. Ce n’était pas son genre…ça ne l’avait jamais été. Mais il connaissait parfaitement la teneur des sentiments qui, à cet instant précis, pénétraient la jeune femme….Cette nostalgie douloureuse d’un passé auquel on voudrait encore pouvoir se rattacher, ce goût dans la bouche d’un stupide, mais constant, espoir….Combien de fois avait-il connu ça ? Il ne savait plus….certainement trop de fois…
Il en connaissait déjà le remède….ou tout du moins le dérivatif….parce qu’au fond : pouvait-on vraiment guérir un cœur transpercé ? Les vaisseaux de l’âme étaient-ils suffisamment puissants pour dessiner un nouvel avenir après avoir été, encore un fois, tant malmenés ?
Ces pupilles noires se posèrent, de biais, sur sa partenaire. Il découvrit, alors, cette fragilité qu’elle lui avait parfois laissé entrevoir dans les rares instants où, trahie par sa volonté, elle était contrainte de lâcher prise.
Il en fut peiné. Il était si facile, à son contact, de ne voir en elle qu’un soldat téméraire et sans faille, de se laisser bercer par la douce illusion qu’elle était au dessus des peines qui pouvaient atteindre ce monde….
Se sentant observée, la jeune femme tourna la tête sur le côté. Et, devant le regard soudain expressif du jaffa, elle plaqua sur son visage un sourire timide qui se voulait rassurant.
Mais, craignant que ce masque d’assurance ne tombe aussi brusquement qu’elle ne l’avait affiché, l’iris bleuté de ses yeux retrouva son jumeau : l’étendue des flots.
T (doucement) : « Nous devrions rentrer Colonel Carter… »
La jeune femme mit quelques temps à répondre, de nouveau emboîtée dans une autre réalité.
S : « Que disiez-vous Teal’c ? »
Le guerrier ne releva pas le manque d’attention de sa partenaire et poursuivit.
T : « Je disais que vous aviez froid et que nous devrions rentrer à l’intérieur… »
S (déterminée) : « Je n’ai pas froid ! »
T : « Votre peau n’a-t-elle pas ce que vous appelez la –chair de poule – ? »
Sam fixa instantanément son bras cherchant à démentir les propos de son voisin. Mais, elle ne put que baisser les armes : de minuscules boutons recouvraient à présent son épiderme et, comme pour donner pleinement raison à son co-équipier, elle trembla.
Elle se redressa alors que ses pommettes se gonflaient de gêne et détacha son corps du tapis d’herbe humide.
S : « Vous avez raison…. Rentrons …»
Une silhouette immense sembla émerger du lac tandis que le jaffa se relevait solennellement pour suivre la jeune femme.
Et alors qu’un coup de vent recoiffait les lèvres de la lagune effaçant toutes traces humaines, le soleil glissa lentement derrière une colline boisée fermant à jamais cet instant d’amitié partagé.
***
A mesure que ses pas la rapprochaient du chalet, une sourde appréhension émergeait en elle. Pourtant, se retrouver dans ce lieu que son imagination lui avait fait déjà parcourir tant de fois avec délectation aurait dû la contenter d’un plaisir savoureux.
Mais, les circonstances qui emplissaient ses rêves d’autrefois étaient bien loin de la réalité qu’elle devait assumer aujourd’hui.
Des cris étouffés provenant de l’intérieur de la bâtisse la tirèrent de ses pensées. Le leader de SG1 jeta un regard étonné à son compagnon tandis que l’ancien prima arquait un sourcil en signe d’incompréhension.
Le spectacle qu’ils découvrirent en pénétrant dans les lieux effaça leur surprise : cette scène avait été jouée bien trop de fois pour qu’ils s’en montrent étonnés.
Mais, les deux personnages maîtrisaient tellement bien leur rôle que Sam savoura le voile de réconfort qui vint la couvrir à l’instant.
L’assurance d’une amitié avait cet étrange pouvoir d’atténuer toutes tristesses.
Daniel, véritable trop plein d’enthousiasme, semblait vouloir arracher un pot de crème des mains de Jack dont le regard perçant avait aussitôt accroché le sien d’un air de défi.
Les deux protagonistes étaient figés dans cette attitude, paraissant occulter totalement le burlesque de la situation.
Daniel (cherchant de l’aide) : « Sam !!! Dites-lui que je sais très bien faire une omelette et que je n’ai nullement besoin d’une nounou !!! »
Jack (coupant toute éventuelle réponse) : « Ecoutez Dannyboy, c’est sympa de vouloir aider mais honnêtement je n’ai aucune envie que tout le monde soit malade demain matin ! »
La jeune femme sourit, visiblement attendri, puis s’approcha des deux hommes et, sans leur laisser le temps de réagir, s’empara du pot incriminé.
S : « Laissez moi faire…. »
Echangeant un regard interrogatif, ils ne purent qu’entre apercevoir le sourire malicieux de leur coéquipière alors qu’elle se penchait, résolue, sur le rebord de la gazinière.
Une demi-heure plus tard tous les convives étaient attablés.
***
Un sentiment de douce nostalgie, ravivé par les deux bougeoirs chromés qui avaient pris place sur la table, embauma la pièce. Des rires amicaux et tendres animèrent les lieux tandis que les bouches s’élargissaient et les traits se détendaient.
Cela faisait bien longtemps que SG1 n’avait pas passé une telle soirée….A vrai dire, peut être n’avaient-ils jamais passé de telle soirée…En tous cas, jamais ici,…tous ensemble.
Sam était plutôt silencieuse, écoutant avec délice, sa joue appuyée sur sa main droite, les échanges enflammés des deux compères. Il ne faisait, en effet, aucun doute que Jack et Daniel concourraient à celui qui empêcherait l’autre de parler ; empilant, accessoirement, à chaque occasion, le plus grand nombre de blagues.
Teal’c, fidèle à son habitude, maintenait une attitude stoïque que seul contrariait le reflet des bougies qui dansait sur son visage. Il semblait bien loin de la jovialité environnante, mais la militaire n’était pas dupe : la situation l’amusait beaucoup lui aussi.
Tour à tour, elle tentait de discerner en chacun cette force vive qui leur appartenait ; cette même force qu’ils lui transmettaient invariablement avec un déconcertant naturel dès qu’ils partageaient ces moments d’unicité.
Mais, lorsque ses pupilles rencontrèrent celles de son supérieur, elle cru y déceler autre chose….une lueur particulière, un sentiment particulier…De la peur ? Non, plutôt de l’inquiétude. Pour elle ?
Daniel ne lui laissa pas l’opportunité de poursuivre cette réflexion intérieure.
Daniel (faisant de grands gestes) : « Hé Sam, j’essaie d’avoir un minimum d’attention de la part de Jack ! Vous seriez gentille de ne pas le distraire ! »
La jeune femme surprise se redressa vivement tandis que le commandant du SGC baissait la tête, visiblement gêné.
Se pourrait-il qu’elle ait mis plus de temps à happer dans son regard ce qu’elle avait trouvé tout de suite dans celui des autres ?
Ou son immobilisme s’expliquait-il, comme trop souvent, par cette impression de ne pouvoir se détacher de cette couleur brune et profonde ?
Ne trouvant aucune excuse suffisamment valable et logique à ses yeux, elle se dégagea avec maladresse en changeant de sujet.
S (mal à l’aise) : « Euh…et vous …Daniel ….Parlez-nous un peu de votre ascension ? »
Jack, heureux qu’une âme bienfaitrice l’ai remis sur les rails de la convenance, se senti empli d’assurance et crut bon d’ajouter :
J (assuré) : « Sa seconde ascension ! Vous allez bientôt pouvoir les collectionner !»
D (grimaçant) : « Jack ! Je vous signale que je ne le cherche pas spécialement ! »
Le militaire ouvrit la bouche, préparant très certainement une nouvelle boutade, mais l’archéologue ne lui en laissa pas le temps.
D (tout d’un coup sérieux) : « En fait, c’est très frustrant…parce qu’à nouveau Oma Dessala a effacé mes souvenirs ! »
S (intéressée) : « Vous ne vous rappelez rien ? »
D : « J’ai de vagues images….des impressions aussi….Je pense que certaines choses me reviendront …..avec le temps… »
Il passa une main dans ses cheveux ; signe que toute l’équipe interpréta instantanément de la même manière : il souhaitait ne pas s’étendre sur l’évènement.
Certes, il affichait une apparente décontraction, mais chacun ne connaissait que trop bien cette attitude nonchalante qui permettait d’enfouir ce qui n’était pas de l’ordre du supportable.
D (souriant) : « Et vous ? Que s’est-il passé ici, pendant mon absence….Jack m’a donné les grandes lignes …mais je suis sûr qu’il n’a pas mentionné tous les petits détails ! »
A peine, le jeune homme avait-il finit de prononcer ces quelques mots, qu’un intense sentiment de culpabilité comprima son ventre. Que voulait-il savoir de plus ? Combien de temps avait mis le père de Sam à mourir peut être ?! Avait-il beaucoup souffert ?
Son regard cherchait désespérément quelque chose auquel se rattacher et trouva soudainement un intérêt particulier aux lignes dorées qui bordaient la nappe blanche.
Il avait lancé cette phrase sans y réfléchir vraiment, comme ça lui arrivait trop souvent, et il s’en voulait, comme ça lui arrivait trop souvent….aussi.
La sentence ne mis pas longtemps à tomber : planter sur lui, le regard de Jack n’était que reproches.
Mais, à la surprise de tous, c’est Sam qui désamorça la situation ; évitant ainsi que la confrontation entre les deux hommes ne s’éternise.
S (les yeux dans le vide) : « Et bien, grâce à Oma Dessala le compteur de destruction de la base a été arrêté…du moins nous ne voyons que cette explication….Les réplicateurs semblent avoir été détruits, mon père est décédé, les Jaffa ont décidé de détruire la machine de Dakara pour ne pas qu’elle tombe entre de mauvaises mains, j’ai quitté Pete, nous avons réinitialisé les commandes pour bloquer tout compte à rebours qui ne viendrait pas du SGC,(relevant la tête) Enfin… tout est rentré dans l’ordre… »
Si l’ambiance de la pièce ne venait pas brusquement de se glacer et si la jeune femme n’était pas en train de condenser toutes ses forces pour maintenir le faux sourire qu’elle était parvenu à afficher, la vue des trois hommes bouche-bée, la fixant ainsi, l’aurait fait éclater de rire.
Daniel ne pu retenir les mots qui, agglutinés dans sa bouche, semblaient l’empêcher de respirer.
D (interloqué) : « Vous avez quitté Pete ? ! »
Jack mit quelques instants à réagir, figé dans cette interrogation partagée. Mais, même si son cœur brûlait d’entendre les explications de la jeune femme, la voir, là, enserrée dans cet étau de détresse qu’elle semblait si mal dissimuler, lui était intolérable.
D : « Aoutch ! »
Visiblement, un pied inopportun venait d’atterrir dans le tibia du docteur Jackson lui arrachant un cri de douleur. Il n’eut nul besoin de chercher l’auteur du méfait. Les pupilles noires de ce dernier le scrutaient déjà avec un agacement non dissimulé.
Mais le militaire et le linguiste tournèrent brusquement la tête lorsque Sam se leva, prétextant d’aller chercher le dessert, et s’échappa en direction de la cuisine. Elle devina les regards inquiets qui se posèrent sur son dos et se redressa machinalement.
***
Perle après perle, l’eau s’échappait de la canalisation de zinc. Elle l’observait venir vieillir lentement le contour de ses doigts sans réellement y prêter attention. Puis, sans doute trop habituée à l’espérer, elle le sentit derrière elle.
Elle l’imagina, les bras posés sur le comptoir, l’observant avec ce regard d’affection mêlé d’appréhension qu’elle lui connaissait si bien.
J : « Daniel et Teal’c désespèrent de vous revoir ! »
Il était venu la chercher. Elle ignorait si cela émanait d’un quelconque complot du jaffa et de l’archéologue, mais le sourire qui se plaqua soudainement sur son visage défait, trahissait l’élan de plaisir qui l’avait envahit subitement.
Cherchant à trouver une justification à sa longue désertion, elle saisit rapidement le récipient en verre posé sur l’égouttoir.
S : « Je préparais le café…. »
J (fixant le goutte à goutte du robinet) : « Eh bien, à ce rythme là, vous n'avez pas fini ! »
Ces mots enrobés d’humour l’incitèrent à se retourner et elle délaissa, un instant, le masque mensonger qu’elle s’était pourtant jurée de toujours conserver.
Il ne put s’empêcher alors de détailler le visage qui lui faisait enfin face.
N’osant se l’avouer, il aspirait à y découvrir les réponses aux questions qui n’avaient pas quitté ses pensées depuis le départ de la jeune femme : Pourquoi avait-elle quitté Pete ? Et surtout, comment se sentait-elle ?
Mais, ses recherches furent vaines. Aucun indice ne transparaissait de l’attitude de son ancien second. Il aurait dû s’en douter. Elle était militaire avant tout. Et, cacher ses émotions était un comportement de défense pour lequel elle s’était entraînée bien trop de fois.
Pourtant, il ne s’y trompait pas : les prunelles féminines étaient bien trop sombres et bien trop humides à son goût. Malgré les lèvres étirées qui laissaient entrevoir ses dents blanches, malgré ses traits apparemment détendus, Sam…,sa sam -oserait-il dire ou tout du moins penser-, n’allait pas bien.
Une tension inhabituelle emprisonna les lieux, l’air devenant soudainement moins respirable.
Pourquoi fallait-il systématiquement que les éléments les contraignent à choisir, dès que leurs regards s’accrochaient, entre ce désir latent de se fondre l’un en l’autre et cette envie de fuir au plus vite cette situation sans aucune autre alternative ?
Jack avait, une nouvelle fois, optée pour la seconde solution. La jeune femme ne s’en offusqua pas, partageant sans aucun doute son soulagement.
Il toussa négligemment et se dirigea vers l’armoire blanche qui surplombait le plan de travail.
J (enjoué) : « Je m’occupe des tasses ! »
Elle l’observa avec amusement s’affairer alors qu’il déposait, sans ménagement, la porcelaine sur un petit plateau peint. Cet air enfantin qui avait instantanément pris possession de son visage la toucha. Il avait cette étrange faculté de pouvoir peindre l’instant d’une naïveté immédiate.
Sentant son épaule venir frôler son double masculin, le corps de la jeune femme, dans un réflexe d’une déconcertante automaticité, frissonna légèrement. Elle se pencha en avant, cherchant à accentuer l’application qu’elle mettait à remplir le récipient d’eau.
Soudain, tel un film devenu soudainement muet, le bruit de vaissellerie cessa. Jack avait visiblement terminé les préparatifs de leur « pause café » mais il semblait hésiter à repartir dans le salon. Elle crut sentir ses yeux se poser timidement sur elle.
Doutant cependant de cette impression, elle se força à porter son attention sur son bras qui se tendait pour attraper, juste à côté du sucre, le paquet vermillon qui contenait le café.
J (murmurant) : « Ca va allez, vous ? »
S : « C’est bon mon Général je l’ai attrapé… »
Alors qu’elle se tournait vers lui le regard fier, elle se rendit brusquement compte que l’interrogation de son supérieur ne portait nullement sur sa capacité à pouvoir atteindre le sachet de poudre noir.
Non, ce qui peuplait les pupilles de son interlocuteur, à présent, était un sentiment qu’elle avait déjà perçu, quelques minutes auparavant, alors qu’elle était à table. Un mélange de tendresse et d’inquiétude paraissait imbiber des iris devenus soudainement graves.
Sentant le danger grandir à mesure qu’il semblait chercher à pénétrer son âme, la militaire, mal à l’aise, se réfugia une nouvelle fois derrière cette fausse expression qui étirait ses lèvres dans une mimique craintive.
Il lui renvoya un faible sourire, incapable de prononcer un mot.
Puis, arrachant le lien qui les unissait, se dirigea vers la pièce voisine. Le peu de courage qui l’avait soudainement envahi, venait apparemment de le déserter tout aussi brusquement.
La jeune femme soupira en détaillant sa silhouette virile s’éloigner. Elle reconnut immédiatement le dos courbé de celui qui croit avoir perdu la bataille. Partageant cette défaite commune qui chasse les aveux, elle déglutit doucement et laissa ses yeux se fermer tandis que sa nuque se relâchait en arrière.
Lorsque ses paupières se rouvrirent, elle était de nouveau seule dans la pièce, le cœur brusquement lourd. Elle s’interdit de penser et enserra machinalement l’anse en plastique de la cafetière tandis que sa main gauche attrapait la corbeille de fruits.
Elle remplit ses poumons d’air, cherchant naïvement à se donner une force neuve, puis se décida à aller rejoindre ses coéquipiers dont elle entendait les voix profondes s’élever alternativement juste à côté.
Un tendre sourire, des yeux chocolat pétillants et doux, une stature protectrice, voilà ce qui l’accueillit lorsqu’elle pénétra dans la salle aux murs de chêne.
Telle une maison de poupée dont on aurait précautionneusement disposé chaque protagoniste, l’atmosphère paraissait imbibée d’une parfaite sérénité témoignant de l’inaltérable équilibre qui avait pris possession de l’endroit.
C’est ainsi, que l’imposante horloge fit défiler les secondes, les minutes puis les heures. C’est ainsi, que les membres de l’équipe perçurent unanimement la soirée. C’est ainsi, que ce moment devait nécessairement se passer…
***
Un silence apaisant baignait la pièce tandis que la demeure retrouvait le calme des lieux inhabités. Seules, les cendres encore fumantes témoignaient du passage de visiteurs indécents quelques instants plus tôt.
Telle une tribu de migrants, tous avaient trouvé refuge, un étage plus haut, dans un autre pays, un autre temps, qui ne connaissait ni les limites ni les intolérances d’une pesante quotidienneté. Emmaillotés dans cet environnement boisé qui semblait les protéger, le soulèvement régulier de leurs poitrines témoignait d’une pression enfin relâchée.
Il faut dire que ces derniers jours avaient vu certainement trop d’émotions défiler. Même pour eux…pourtant presque habitués à faire abstraction des bouleversements qui rendaient les battements de leurs cœurs inégaux.
Aussi, après cette veillée qui avait encore rapprochée ces âmes fraternelles, leurs corps s’abandonnèrent-ils dans les bras d’une impénétrable nuit.
Pourtant, au milieu de cette parfaite mécanique qui effaçait une à une toutes les tensions accumulées, un intrus émergeait lentement,… inexorablement. Un cœur empli de douleur cognait sans cesse plus fort : Pam-Pam, Pam- Pam…PAM-PAM ! PAM-PAM !
Pour un peu, il aurait réveillé toute la maisonnée. Mais, le bruit du sang giclant contre les parois organiques n’était qu’un résonnement sourd et intérieur dont l’écho ne semblait gêner que l’unique propriétaire.
***
Respiration raccourcie, muscles tendus, agitation, gouttes de sueur perlantes : tous les symptômes de l’insupportable étaient là. Cependant, ce n’est que lorsqu’une larme, témoignage d’une peine trop difficile à contenir, glissa lentement sur la peau rosée d’une joue féminine que le corps retrouva la réalité.
Essoufflée et apeurée, elle tentait de reprendre contact avec ce qui l’entourait, espérant vainement que cela pourrait la dégager des démons qui avaient pris possession de ses pensées.
Ses pupilles vinrent détailler les objets immobiles qui comblaient la pièce alors qu’elle plaquait une main tremblante sur sa poitrine pour apaiser son soulèvement saccadé.
Etrangement, elle avait besoin de se rattacher à ces formes familières pour se persuader que les souvenirs amers qui emprisonnaient son esprit n’appartenaient pas au réel.
Elle laissa pendre ses jambes sur le rebord du lit, fixant distraitement le mouvement de balancier que ses pieds jouaient, lorsque un relent nauséeux remonta brusquement dans le fond de sa george. Enfonçant immédiatement ses doigts dans son cou pour bloquer tout débordement, elle frémit.
Elle dut se rendre à l’évidence : ils étaient toujours là, dans ses veines, dans sa chair comme une ombre insidieuse qui ne la quittait plus.
Elle vint poser ses paupières au creux de ses paumes mais ne pleura pas : elle avait déjà bien trop pleuré, elle ne pouvait plus se le permettre, plus maintenant,…et surtout, pas ici.
Elle n’avait pas maintenu ce fard de bonheur apparent pendant toute la soirée, pour le laisser fondre à présent.
Elle planta son regard sur la petite pendule anglaise qui trônait sur la commode de pin : 3H45. De nombreuses fois, elle s’était réveillée à une heure pareille en mission. Seulement, là, elle n’était pas en mission, et encore moins en service ou à la base. Elle était très éloignée de ce qui faisait son quotidien militaire…
Enfin, aussi éloignée qu’elle puisse l’être ….
Elle hésita un instant ; elle connaissait ses vieilles demeures où le grincement du bois trahit chaque mouvement. Pourtant, elle en avait la certitude : elle ne trouverait plus le sommeil cette nuit …Et puis, elle avait froid. Oui, c’est cela, elle avait froid. Hypothèse certainement plus facile à autoriser que la désagréable appréhension qu’elle ressentait à l’idée de sombrer, une nouvelle fois, dans un cauchemar.
La peau rugueuse de son pied se tendit alors qu’elle le posait avec précaution sur les lattes boisées. Un courant d’air léger la traversa de part en part apparentant son corps à une silhouette fantômatique. Elle frissonna, alors qu’une lame glacée venait prendre possession de tout son être ; ce même être, qui, lui semblait-il, était si vide à présent.
Trop de choses, de gens, de sentiments, d’amour avait déserté ce qui autrefois représentait son cocon secret ; ce petit rien, caché au plus profond de l’antre floconneuse de son âme. Celui qui était le garant de sa force à elle, celui là même qui lui permettait de poursuivre dans une réalité que beaucoup aurait fuie.
Elle admettait cet état de fait. Ou, tout de moins, se persuadait-elle de l’admettre : il fallait continuer, et cela, coûte que coûte. Aussi, n’était-il pas question de s’encombrer des futilités qui composaient l’ordinaire des gens …ordinaires. Ces futilités qui nous font prendre des risques, s’attacher et, parfois, aimer….
Tels les éléments d’une liste de course chiffonnée, elle avait tiré un trait sur les faits des quelques mois précédents, les reléguant, par la même occasion, dans la rubrique : « A admettre ».
Elle avait laissé partir le « réplicarter » : A admettre
Elle avait failli perdre Daniel : A admettre
Elle avait dû se battre contre Anubis avec un maigre espoir de gagner : A admettre
Elle avait eu un cadeau supplémentaire de Pete : une maison : étrangement perturbant mais à admettre
Elle avait découvert que son supérieur entretenait une relation avec une femme désespérément belle et s’était presque mise à découvert devant lui, se rendant, par la même occasion totalement ridicule : Honteux et blessant…mais A admettre
Elle avait perdu son père : cruellement difficile…mais à admettre …non ?
Elle avait quitté Pete : Incompréhensible…mais…à admettre…
Elle se retrouvait totalement seule : Pouvait-elle faire autre chose que de l’admettre ?
***
Un pas…puis un autre….son regard était hésitant : devait-elle continuer ? Au risque de se faire surprendre ?
Après quelques secondes figée, elle se décida finalement à pousser la lourde porte en bois qui délimitait sa chambre. Mais le grincement tant redouté des fibres inégales de copeaux parvint immédiatement à ses tympans. Elle se retint de laisser échapper un juron. Son corps se statufia, comme si son immobilisme soudain pouvait occulter le bruit qui venait de ciseler l’espace.
Elle parcourut les quelques mètres qui séparaient sa chambre du séjour, situé au rez-de-chaussée, dans cette attitude contractée et retenue qu’elle avait observée dans de nombreux couloirs Goaul’d. Mais, se déplacer dans cette maison lui paraissait, étrangement, beaucoup plus ardue que ses anciennes missions « commando » et sa progression, malgré ses efforts, était perceptible. Aussi, espérait-elle seulement que le sommeil de ses co-équipiers fut suffisamment profond pour qu’aucun d’eux n’eut été réveillé.
***
Elle replia doucement ses phalanges sur l’évier en porcelaine alors que le rebord du verre atteignait sa lèvre inférieure. Les premières gorgées furent délicieusement rassasiantes. Elle n’avait pas souvenir d’avoir bu une eau aussi pure et pourtant, celle-ci ne présentait aucune spécificité particulière. Mais pouvoir remplir ce corps que le néant semblait posséder depuis trop longtemps, lui procura un douceureux réconfort.
Elle ne stoppa la gymnastique répétitive de sa mâchoire que lorsqu’elle senti la dernière goutte glisser sur la surface rêche de sa langue. Puis, elle laissa échapper un soupir d’apaisement et reposa le mug distraitement.
Une atmosphère particulière habitait les lieux qu’une lune lointaine venait pénétrer. L’odeur d’un feu dormant vint lécher ses narines, et, sans détacher ses yeux de la poudre blanche effilée qui s’échappait des bûches empilées, elle traversa la pièce.
Mais, avant qu’elle n’ait pu atteindre son objectif, une sonorité émiettée la fit se retourner. La peur compressa alors ses entrailles sans qu’elle ne puisse l’empêcher.
L’heure qui hésitait entre la fin d’une nuit et le début d’un jour l’emprisonnait dans un espace sans vie qui lui faisait douter de ses impressions.
Un instant, elle crut-ou voulut- que quelqu’un, que lui, peut-être, tiré de ses rêveries par sa descente indiscrète, ne la rejoigne.
Qu’une main salvatrice parvienne à l’extraire de cet abîme de solitude infinie dans lequel elle semblait se noyer encore et encore….
Mais ce son n’était qu’un leurre.
Impénétrable, inébranlable, il avait de nouveau érigé sa toile prisonnière, la contraignant à lui faire face. Lui, ce silence qui se prosterne devant l’indifférence. Lui, ce silence qui dresse un mur sur lequel les désespoirs viennent sans cesse rebondir pour percuter plus violemment l’être.
Ses dents se resserrèrent machinalement tandis qu’elle saisissait fermement la pince d’acier, s’apprêtant à déranger le sommeil des braises. Une nouvelle fois son cœur fut parcourut de spasmes glacés tandis qu’il lui semblait que son âme s’éteignait lentement…
***
Ses yeux étaient douloureux. Aussi quelle idée avait-il eu de les ouvrir ? Il ne devait pas être loin de 4 heures du matin : une heure qui ne pouvait s’apparenter à un réveil ordinaire.
Ses traits se contractèrent tandis qu’immobile, il jaugeait la situation. Il tentait de deviner, à travers les indices que son environnement lui laissait percevoir, ce qui se passait réellement.
Il eu tout juste le temps, par un habile subterfuge, de cacher le revolver derrière le comptoir de la cuisine avant que le corps féminin ne se retourne. Elle avait probablement remarqué sa présence -elle aussi était militaire- cependant elle feignit la surprise.
S : « Oh ! Mon Général….Je suis désolée…Je ne voulais pas vous réveiller…. »
Il l’observa fixement, incrédule….La voir là, devant sa cheminée, dans son séjour, dans sa maison, avait vraiment quelque chose d’inconcevable pour lui. Il avait si souvent imaginé ce moment mais, une sorte de je-ne-sais-quoi qu’il ne parvenait pas encore à identifier le dérangeait. Peut-être était-ce la distance qu’elle initiait entre eux, une nouvelle fois.
J (agacé) : « Jack ! Je vous ai dit de m’appeler Jack, ici »
Doucement, le militaire vint prendre la pince forgée que la jeune femme tenait dans sa main crispée.
J : « Elle ne fonctionne qu’avec moi….Aussi têtu que son proprio ! »
Sam releva brusquement la tête au son de cette voix grave et gorgée de sourire qui avait soudainement sécurisé l’atmosphère. Aussitôt, ses pupilles naufragées s’arrimèrent aux yeux ténébreux de son supérieur.
Il y vit la détresse, il y vit la peur, il y vit la peine et eut subitement envie de serrer contre lui ce corps qui transpirait de souffrance. Mais une barrière d’incertitudes mêlée d’interdits vint se ficher devant lui, brisant sa volonté et immobilisant toutes les parcelles de son corps. L’élan d’amour était pourtant déjà là, palpitant, raisonnant, brusquant les battements de son cœur.
Le temps sembla se figer un instant, prêtant à ces deux êtres déchirés, un moment d’intimité condamnable qui laissa leurs prunelles humides se peindre de désirs inavouables.
C’est lui qui rompit cet échange brûlant qui atteignait leur chair et leur âme… Sam en aurait été bien incapable !
Il valait certainement mieux ainsi…Tout du moins, c’est ce que sa raison lui cria lorsque la distance qui les séparait devint de nouveau décente.
Il alla poser avec application la tenaille sur le rebord briqué de la cheminée tandis que la jeune femme paraissait prendre conscience subitement de la situation.
Un vent de panique fendit alors l’espace et vint se ficher en elle la sortant de sa récente paralysie. Les mots, qu’elle ne parvenait pas à former, s’entre choquèrent dans sa bouche tandis qu’elle le regardait se tourner de nouveau vers elle.
Elle tenta vainement de bredouiller quelques excuses, de faire taire les sentiments qui jaillissaient en elle et dont elle savait, à présent, qu’il avait saisit pleinement le sens.
Il ne la laissa pas se débattre plus longtemps dans ce désordre d’émotions qui semblait la dévorer, il saisit ses épaules et la dirigea à reculons vers le canapé. La militaire, tel un pantin désarticulé, n’émit pas une protestation et se laissa faire.
J (Déterminé) : « Ne bougez pas….Je reviens ! »
Les mots prononcés résonnèrent en son fort intérieur comme l’écho que lui renvoyaient parfois les montagnes de Colorado Spring. Elle les laissa imprégner ses pensées tandis qu’ils glissaient sur ses plaies telle une pommade bienfaisante.
Elle cala son dos plus profondément dans les coussins et remplit ses poumons d’un air qu’elle chassa immédiatement dans un soupir hésitant de contentement.
***
Quelques minutes plus tard, la silhouette masculine prenait de nouveau possession de l’espace.
Les bras chargés de larges bûches, il passa devant elle sans la regarder. Il déposa, accroupi, son lourd fardeau dans l’antre noir, maîtrisant ces gestes maintes fois répétés.
Et alors que naissaient de premières et timides flammes, il se détourna du foyer et rencontra les yeux brillants de la jeune femme, grands ouverts sur l’inquiétude.
Elle lui sourit pourtant ; de ce sourire rassurant et maternel, trop de fois donné, qui faisait surgir au creux de son ventre une boule de chaleur.
Ils restèrent longtemps, ainsi, accrochés au sourire l’un de l’autre.
Dehors, une brise légère s’infiltrait dans le creux des arbres faisant tournoyer leurs feuilles craquelées. De temps en temps, une fine branche venait frôler les petits carreaux des embrasures tel un visiteur inattendu qui chercherait à s’infiltrer dans la tiédeur intérieure. Mais, seuls ces bruits passagers osaient déranger la nature en sommeil.
Il était venu s’assoir auprès d’elle tout naturellement mais veilla à garder une distance qu’il jugea respectable.
Ensemble, face au silence.
Ses yeux étaient plantés fixement sur ses mains liées. Il restait partagé entre ce qu’il jugeait devoir faire, et son naturel qui le poussait à presser ses lèvres l’une contre l’autre.
Comme souvent, c’est elle qui lui donna la réponse en engageant elle-même la conversation.
S (murmurant) : « Merci…. »
J (la fixant, étonné) : « Pourquoi ? »
Sam voulut répondre mais une sensation de « déjà-vu » vint la saisir ; elle se retint donc de laisser échapper la phrase qu’elle avait prononcée quelques jours plus tôt.
S (détachée) : « Pour ce bon feu de cheminée….C’est agréable…. »
Il l’observa fixement, frustré, devant des mots entendus qui ne s’attachaient qu’au superficiel. Paradoxalement, alors qu’il avait du mal à contenir son envie d’hurler, il ne répondit pas et dévia le regard. Elle l’imita.
Le va-et-vient du balancier de l’horloge rythmait l’ambiance soudain alourdie qui s’était emparée des lieux, alors que le crépitement du bois semblait seul lui répondre.
Immobiles, ils laissaient l’ardeur du brasier les envahir de sommeil tandis qu’à travers les flammèches dansantes ils paraissaient chercher des réponses à des questions qui, visiblement, n’en avaient pas. Les minutes défilèrent tandis que la scène restait suspendue au premier acte.
Soudain, ne pouvant retenir son geste, il la contempla de nouveau. Il ressentit alors lourdement toute sa vie, ses douleurs criées ou tues, ses espoirs aboutis ou déçus…tout ce qui creusait, animait et vivifiait ses traits.
Pourtant, elle gardait un profil imperturbable plaquant un voile grisâtre sur un fouillis d’émotions qu’il parvenait à peine à déceler.
Une tension violente d’incompréhension enfla subitement en lui : pourquoi refusait-elle son aide ?!
La jeune femme tourna brusquement la tête en direction de son voisin. Venait-il de dire tout haut ce qu’il pensait tout bas ?
S (vexée) : « Je ne refuse pas votre aide ! »
J (gêné) : « Non…non ….Ce n’est pas ce que je voulais dire ! »
Il soupira devant une maladresse qu’il exécrait puis enfonça ses mains dans les poches de son jeans et se renfrogna. Le silence reprit ses droits.
C’est alors que le son sombre et lourd d’une heure particulière raisonna autour d’eux. Cinq coups avaient suffit : cinq coups pour qu’ils aboutissent à une conclusion similaire sans même en avoir conscience.
C’était une de ces heures ouvertes, ces heures où l’on se sent le courage de tout changer, de tout recommencer.
S (posément) : « Je…Je ne refuse pas votre aide….Seulement….seulement….Je…Je ne sais pas comment la demander…. »
Alors qu’il redressait son visage, il vit les iris bleutées de sa partenaire se rouvrirent au ciel. Elle le fixait avec une tendresse pleine de désespérance qui lui serra le cœur….Et, dans une douce lenteur, tel un pinceau glissant sur la toile, des larmes originelles apparurent et vinrent mouiller ses joues immobiles.
Il mit définitivement sa raison de côté et vint l’envelopper de ses bras protecteurs aspirant, si ardemment, à absorber ce chagrin dans ses muscles, dans sa chair, à travers ses veines….
Resserrant son étreinte dans cet espoir irréfléchi qu’il pourrait lui donner un peu de sa propre énergie, il resta cependant silencieux. Il savait que les larmes étaient souvent les premiers mots de la vérité.
***
Lorsque les sillons furent taris, il sentit la chevelure blonde venir se nicher dans le creux de son épaule tandis que des effluves de pêches délicieuses pénétraient ses narines.
Il avait toujours été frappé de la capacité qu’avaient leurs corps à s’emboîter mécaniquement l’un en l’autre ; comme s’il avait été façonné par un moule dont elle aurait été le négatif.
Puis, comme les immenses araignées d’eau douce glissent sur l’eau, elle murmura à son oreille de timides et sincères confidences. Elle ne dévoilait pas tout ; il le savait. Chaque mot, malgré sa voix franche, était pesé.
Mais qu’importe, il percevait le soulagement qui venait s’insinuer lentement à travers ses fibres trop nerveuses, et cela lui suffisait.
Elle déglutit difficilement s’apprêtant visiblement à aborder un sujet dont la délivrance s’avérait difficile et, machinalement, il vint resserrer ses phalanges sur le bord de son épaule l’encourageant à poursuivre.
S : « Il me manque vous savez…. »
J : « Je le sais… »
S : « Je ne comprends pas pourquoi…je m’y étais préparée…je le savais… »
J : « On n’est jamais préparé à ces choses là…. »
Une chouette perturbatrice les contraignit à tourner identiquement la tête vers la fenêtre.
S : « Vous croyez qu’ils restent à nos côtés ? »
J : « Je crois que tant qu’on les fait vivre dans notre mémoire, ils ne nous quittent pas…. »
Les yeux de la jeune femme rencontrèrent le fond de l’âtre alors qu’un triste sourire s’emparait de son visage.
S : « Je le revois encore, vous savez,….me faire la morale, une ride nerveuse au milieu du front quand je n’adoptais pas le comportement de la fille qu’il voulait que je sois…Je ….Je me souviens de cette manière si particulière qu’il avait de pencher la tête par-dessus mon épaule lorsque je faisais mes devoirs…Sa mimique de clown triste qu’il affichait quand il voulait me faire céder… »
Sam se tut un instant. Ces sensations, qu’elles ne parvenaient pas encore à ranger dans une valise de souvenirs passés, menaçaient de réveiller des pleurs inopportuns.
On entendit le bois se morceler en lamelles pour finalement éclater en milliers de fines étincelles qui venaient se répandre en désordre sur les tomettes pourpres bordant la cheminée.
Elle n’aurait su dire pourquoi mais ce bruit si particulier la plongeait dans une tendre nostalgie qu’elle goûtait avec délice ; mais, peut-être, était-ce les gentils ronds que les doigts de son supérieur dessinaient sur le haut de son avant bras qui lui procuraient cette savoureuse impression ?
Il n’avait prononcé que peu de mots durant le monologue apparent de la jeune femme ; n’osant déranger ces révélations confiantes arrachées à l’épaisseur de trop profondes incertitudes. Intérieurement, Sam l’en remerciait. Sa présence, à elle seule, parvenait à la rassurer.
C’était le cas dans la plénitude de cet instant…Ca avait toujours été le cas.
Pourtant, elle devina, avant même qu’il ne s’apprête à ouvrir la bouche, qu’un questionnement le rongeait.
J : « Je peux vous poser une question ? »
Les lèvres fines de la jeune femme s’étirèrent : elle le connaissait définitivement bien. Et, sans ouvrir la bouche, elle tourna vers lui un regard affirmatif.
J : « Pourquoi avez-vous quitté Pete ? »
Aussitôt, Jack se mordit la lèvre inférieure et s’offusqua d’avoir eu l’impertinence de poser une telle question. Il s’apprêta à formuler des excuses qui seraient, inévitablement, maladroites mais, elle le devança.
S : « Je me suis aperçue qu’il n’était pas le bon…. »
Sam n’osa regarder son voisin devant l’affirmation spontanée criée par son coeur dans une démesure qu’elle ne se connaissait pas. Pas plus que lui n’osa émettre un commentaire à cette réponse déconcertante de simplicité.
Mais devant le trouble qui paraissait avoir envahi leurs âmes communes, Sam crut bon d’ajouter avec légèreté :
S : « De nouveau, Samantha Carter n’a plus personne à ses côtés… mais bon, …»
Alors que la jeune femme frottait ses poings avec vigueur sur ses cuisses, signe d’une gêne qu’elle ne parvenait pas totalement à occulter, elle sentit deux prunelles noires l’agripper.
J : « Vous m’avez moi…. »
Elles avaient atteint leur but : le noir se fondit un instant dans un bleu sans fin. Mais, aussitôt, comme une étoile filante percerait la voie lactée, celui-ci s’échappa.
Sam replia son menton contre sa poitrine, visiblement pensive. Le feu couvrait ses cheveux blonds de multiples reflets dorés qui venaient contredire la pénombre environnante.
S (murmurant) : « Vous….. »
Puis, redressant la tête avec vigueur, elle posa sur ses traits virils une expression faussement neutre.
S : « Vous…vous avez Kerry…. »
S’il avait pu redouter d’entrer sur un terrain glissant, Jack s’aperçut, soudainement qu’ils étaient déjà allés bien plus loin que jamais auparavant. Il ne s’agissait plus de remonter le moral d’une amie, il fallait désormais éclaircir un sujet qu’ils se refusaient, depuis huit années, à aborder. Et, bizarrement, cela ne l’effrayait pas…ou plutôt, cela ne l’effrayait plus.
J : « Eh ! Vous connaissez mon caractère insupportable, peu de gens peuvent le supporter… »
Il ajouta dans une voix tue : « Je me suis fais plaquer… »
Il préféra ne pas révéler la totalité des raisons qui avaient poussé Kerry Johnson à le quitter…Après tout, il ne lui avait pas menti : il avait un caractère insupportable !
Il rencontra l’attention surprise de sa partenaire qui le dévisageait ahurie.
S : « Vous voulez dire qu’elle est partie ? »
J (ironique) : « C’est ce qui arrive en général quand on se fait plaquer Carter… »
S : « Je…Je suis désolée… »
Le commandant du SGC eut beaucoup de peine à retenir l’amusement qui émergeait au fond de sa gorge, tant l’attitude de Sam contredisait les mots qu’elle venait de prononcer, et des rides malignes vinrent entourer ses yeux.
Un coup de coude complice répondit immédiatement à son attitude tandis que, lui faisant face, un visage de reproches feints le scrutait.
S : « Je suis vraiment désolée ! »
Jack sourit gentiment, plus amusé de voir sa partenaire essayer de se dégager de son malaise apparent, que pour répondre à sa compassion affichée.
Puis, ses traits se contractèrent tandis que les silhouettes qui dansaient sur son visage semblaient vouloir fuir un regard devenu soudainement obscur.
J (soudain, très sérieux) : « Sam…..Je vais partir…. »
Le corps de la jeune femme se recula subitement tandis que ses yeux se couvraient d’étonnement.
S : « Partir ? »
J : « Oui….Le Président m’a proposé un poste …et …et, je pense que c’est ce qu’il me faut…. »
S : « Vous ….Vous pensez que c’est ce qu’il vous faut ?!!! Mais, cela ne fait pas un an que vous êtes Général du SGC ! »
Il resserra machinalement sa main sur le dossier en cuir du canapé, son corps tendu par la nervosité, mais se força à se justifier calmement.
J : « Ecoutez…On m’a demandé de diriger le Home World Security, ils ont besoin de moi… »
S : « Oui…C’est sûr….Eux ….Ils ont besoin de vous ! »
Il considéra la mine sévère de la jeune femme avec une douce tristesse, conscient de la peine qu’il lui infligeait. Mais lorsqu’il croisa ses yeux bleus meurtris, il se trouva détestable, et, ajouta d’une voix subitement dénuée d’assurance :
J : « Vous savez très bien que je ne serai pas loin…. »
La phrase enveloppa l’espace de tendresse. Mais, nul n’aurait pu atteindre le cœur de Sam que des paupières closes venaient, à l’instant, enfermer de tristesse.
Cependant, la militaire se ressaisit et retrouva bien vite ses anciens automatismes, étrangement rassurants. Ainsi, une raison sentencieuse vint s’imposer en elle et rabaisser ses tourments. Qu’est-ce que des sentiments informes face au devoir - au destin- de cet homme si extraordinaire à ses yeux ?
Elle ferma les poings et sentit ses ongles imprimer la chair tendre de ses paumes, cherchant à donner suffisamment de force aux paroles qu’elle s’apprêtait à prononcer.
S (dépité) : « Oui…Vous avez raison….Ils ont besoin de vous, et vous ne pouvez pas refuser… »
Elle poursuivi d’une voix dénuée de conviction : « Et puis, je suis sûre que le poste sera passionnant… ».
Malgré ses dents serrées qui intimaient à ses émotions, si ce n’était de disparaître, au moins de se taire, deux ruisseaux salés divisèrent subitement ses joues.
Comme elle pouvait en vouloir à la faiblesse de ce corps qui ne parvenait pas à faire face à tant de détresse !
Répondant à cette figure implorante, il plaqua immédiatement ses longues phalanges affectueuses sur la nuque fine et douce de sa partenaire et enferma son visage contre sa poitrine. Leurs cœurs se mirent alors à résonner à l’unisson cadençant cet intime moment qui était parvenu à dépasser l’interdit.
J : « Sam….Je voyais plutôt ça comme un moyen de simplifier les choses… »
S (se redressant) : « de simplifier ? »
Alors qu’elle lui adressait un regard humide et inquiet, la réminiscence de leurs huit années communes s’imposa brusquement en lui.
Etrangement, seuls des instants épanouis et sans cohérence remontèrent en surface. Quelque chose d’indéfinissable se repliait sur son être…comme une soie, enivrante et douce, qui faisait naître au creux de ses reins un désir bouillonnant.
J : « Sam, il faut que vous compreniez une chose…J’ai …j’ai fait un pari… »
Il parlait avec ce même timbre d’effusion tendre, cette même familiarité protectrice qui la touchait au plus profond d’elle-même. Il marqua une pause tandis qu’elle penchait la tête, perplexe…
J : « J’ai fait le pari, …le pari de croire que j’avais quelque chose de bien à apporter ; J’ai fais le pari de croire en moi…. »
Les épaules de son interlocutrice parurent s’affaisser sous le poids des mots tandis qu’un vent de culpabilité s’imisçait à travers chacun de ses pores. Aussi, elle laissa ses yeux abaissés quand d’une voix tremblante, elle s’entendit lui répondre :
S (honteuse) : « Excusez moi, je suis parfaitement égoïste….Vous êtes l’homme le plus valeureux que je connaisse…et vous avez raison...ils ont besoin de vous….Votre pays a besoin de vous…. »
Il la considéra, profondément désolé, alors que, lui semblait-il, deux prunelles couleur d’eau cherchaient à le noyer.
S : « C’est juste que….que …tout ça….en même temps….c’est un peu dur pour moi…. »
La voix embarrassée et emprunte de vulnérabilité de sa partenaire résonna au creux de ses entrailles en un écho insupportable. Il se sentit alors sale, sale de manquer de ce courage dont il avait fait preuve, si souvent, sur le terrain, sale de laisser enfoui en lui ce qu’il ne parvenait pas à lui avouer…et qui la détruisait lentement devant ses yeux.
Brusquement, un désir violent vint le percuter : il n’avait que trop attendu et la retenue dont il faisait preuve n’était plus désormais, pour lui, que la preuve d’une lâcheté inadmissible. Il était décidé….Il allait tout lui dire….
C’est elle, cependant, une nouvelle fois, qui le devança et lui donna ainsi le plus facile des échappatoires,….le plus amère…aussi.
Les traits de Sam s’étaient, en effet, rendus subitement plus fermes et elle poursuivit avec une désinvolture qui le surprit :
S (résolu) : « Mais ne vous en faites pas….on s’en sortira !! Et puis, Teal’c et Daniel seront avec moi … »
J (souriant) : « Je vais leur ordonner de ne pas vous lâcher d’une semelle oui !! »
Elle lui rendit un sourire triste…sa force paraissant s’amoindrir à chaque mot qu’elle se devait de prononcer…
S : « Et, quand est-ce le jour du grand départ ? »
J : « Lundi… »
Ses vaisseaux sanguins se comprimèrent à mesure qu’elle prenait conscience de l’échéance….Elle ne parvint qu’avec difficulté à faire glisser sa salive à travers sa gorge nouée comme si son corps refusait d’apporter une nouvelle trop douloureuse à son cœur.
C’est alors qu’un sentiment d’injustice prit possession d’elle…Ce sentiment qui contamine chaque pan de chair d’une colère tue et terrifiante.
S : « Alors c’est demain le jour des adieux ? C’était pour cela tout ce flanflan… ! Ce week-end… !. »
Le commandant du SGC pourtant si habitué à « gérer des situations de crise » perdit le peu d'aplomb qui lui restait : faire de la peine à son second était une chose, partir en sachant qu’elle le détesterait en était une autre …beaucoup moins concevable !
J : « Non non …C’était pas pour çà… …Ce week-end….C’était pour vous… »
S : « Pour moi ? »
J : « Je pensais que ça vous ferait du bien … »
Le bouillonnement intérieur de sa voisine sembla jaillir alors que son corps se jetait hors du canapé : elle était visiblement excédée.
S : « Du bien ? Mais oui effectivement ça me fait le plus grand bien !! J’apprends qu’une personne de plus va quitter ma vie ! Quel bonheur !! Le départ de mon père avait déchiré une partie de mon cœur…il ne restait plus que vous pour déchirez la seconde !! »
Une ombre imposante vint rejoindre celle, plus fine, qui se tenait dorénavant devant la cheminée. Et, sur la joue féminine la peau lisse d’un pouce timide glissa lentement et chassa l’unique larme qui avait osé s’y apposer. Deux iris prédateurs semblèrent alors fondre sur la militaire.
S (détournant la tête) : « Ne faîtes pas ça !! »
J (l’obligeant à lui faire face) : « Quoi ? »
S : « Me regarder comme ça…avec ce regard qui me fait croire que quelque chose existe …alors que ça n’existe pas !!… »
Le pouce timide, pris d’une soudaine assurance, vint dessiner le contour de lèvres délicieusement savoureuses. Puis, dans un geste d’une lenteur désespérante, deux bras immenses vinrent l’envelopper d’un drap débordant d’affection.
Elle sentit sa joue rugueuse venir contre la sienne et son corps s’abandonna instantanément à cette présence enivrante. A l’instant où un souffle chaud et viril vint caresser la peau délicate de son oreille, elle sut qu’elle avait définitivement perdu toute volonté.
J : « Comment pouvez-vous douter, encore, de son existence ?… »
Telles des griffes acérées, les phalanges de Sam se refermèrent sur les épaules de son supérieur tandis qu’un gémissement douloureux s’échappait de ses lèvres entrouvertes.
Elle s’était refusée pendant si longtemps à y croire…
Il interpréta maladroitement l’attitude de la jeune femme et, croyant avoir été trop loin, il se redressa…
Seul le crépitement du feu rompait de sa mélodie saccadée le silence environnant tandis que leurs pupilles retrouvaient le lien si particulier qui les rattachait les unes aux autres.
Comme un geste mécanique qui lui donnerait la certitude que ses mots n’avaient pas heurté le cœur de sa partenaire immobile, Jack remit une mèche rebelle derrière son oreille.
Un sourire fragile répondit immédiatement à cette impulsion tendre éclairant le visage fatigué de sa voisine.
J : « Vous êtes épuisée…Il faut aller vous coucher… »
Et, sans attendre sa réponse, il plaça le pare-feu devant la cheminée, saisit la main de la jeune femme et l’entraîna à l’étage...
Elle ne dit rien…pas un mot…ses lèvres restant définitivement fermées et immobiles…Comme embaumée par une récente et subite tétanie, elle se laissait totalement manier.
Quelques minutes plus tard, assise sur le lit, elle le fixait avec les yeux immenses de celle qui doute encore.
Lui, consciencieusement, et sans doute, pour cacher le malaise qui l’avait pénétré sitôt la porte de la chambre franchit, enlevait avec précaution les chaussons qu’elle portait aux pieds.
D’un geste ample et délicat, il plaça ses larges paumes sous les mollets féminins et déposa avec délicatesse les jambes de la jeune femme sur le lit.
Et, alors qu’il tirait le drap doux sur ce corps qu’il ne pouvait s’empêcher de regarder avec désir, elle saisit son poignet et ses prunelles vinrent le transpercer.
S (murmurant) : « Restez…. »
La mâchoire de Jack se contracta lorsqu’il se rendit compte qu’au simple toucher d’une main sur sa peau – de sa main, en l’occurrence-, son cœur perdait toute régularité.
J (se rapprochant du visage de Sam) : « Je ne crois pas que cela soit une bonne idée… »
Elle ferma un instant ses paupières, se libérant ainsi de la contrariété qui aurait pu la pénétrer. Mais dès que son regard accrocha de nouveau le sien, il s’aperçut que les iris bleutés de la jeune femme n’avaient rien perdu de leur détermination. Et, accompagnant cette confiance nouvelle qui émergeait en elle, ses longs doigts s’étendirent sur le visage de son supérieur dans une caresse lascive.
S : « Juste le temps que je m’endorme…. »
Il ne répondit pas mais elle sentit son corps lourd venir creuser le matelas derrière son dos. Comme un automatisme, il glissa son bras musclé le long de sa taille faisant naître en elle une chaleur envoûtante. A l’effleurement de leur peau que seul un drap fin séparait, ils frissonnèrent tous les deux.
Le désir avait été latent, sans cesse heurté, retenu, timide, déçu,...depuis bien trop de temps pour qu’ils ne réagissent pas face à une situation qui voyait les interdits tomber un à un.
Dans un velouté et une lenteur infinie, Sam se retourna et, comme si elles s’étaient toujours appartenues, leurs bouches se trouvèrent….
***
Abandonner la comédie, confier leur vie l’un à l’autre, mettre, entre des mains interdites jusque là, leur destin. Ils n’avaient jamais ressenti une faiblesse aussi envahissante, aussi violente, aussi étourdissante.
Ils restèrent, ensuite, les yeux fermés, front contre front, sentant, à tout moment, leurs cœurs se rompre.
THE END…
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Merci d’avoir lu jusqu’au bout….N’hésitez pas …pour tous commentaires (bons ou mauvais !! Ben oui..je prends tout !!!) : libe78@yahoo.fr