Le droit de s’inquiéter…
(2ème partie)
- Auteur : Rayléna_rose.
- Résumé : le dilemme d’un être… où quand l’inquiétude dénonce les sentiments.
- Spoilers : saison 08, après Affinity...
- Genre : Romance S/J.
- Mail : Raylena_rose@hotmail.fr
- Disclaimer : les personnages et l’univers ne sont pas à moi mais à la MGM…
- Archive : À ne pas publier sans mon autorisation ! (Envoyez-moi un p’tit Mail J).
Note de l’auteur :
- Merci à Hélios pour ses précieux conseils ! Ton Zat est très efficace, miss (^_^ !
- Comme je l’ai déjà conseillé pour "Caresse d’hérisson…", ne désespérez pas de comprendre le titre. Bonne lecture !
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6. Racontez-moi…
…
C’était assez étrange. Cette pièce, elle la connaissait bien. Elle l’avait quittée à peine quelques heures plus tôt. Et pourtant… l’espace lui semblait avoir pris une nouvelle dimension, opposant subtilement une douce intimité à un malaise sournois.
À cause de lui. Juste parce qu’il était là. Dans sa chambre…
Lorsque le corps puissant qui la soutenait se pencha doucement, la respiration de celle qui s’était appliquée à garder les yeux fermés manqua de la trahir tant les fragrances ambrées qui émanaient de lui la troublèrent. Ce n’est que lorsqu’elle fut délicatement déposée sur la couverture qu’elle se permit un léger soupir, mélange de contentement et de frustration… Pourquoi était-ce déjà fini ?
Elle avait mal, mais se sentait tellement bien dans ses bras…
Le son ensorcelant de ce cœur battant contre son oreille, la chaleur enivrante de ce corps lui manquaient déjà. À cette pensée, un frisson glacé la traversa. Aussitôt, elle sentit le corps encore penché sur elle se raidir et son cœur manqua de s’affoler.
- Eh bien, on se les gèle ici… entendit-elle chuchoter.
Le ton purement agacé et légèrement soucieux du Général réussit à redonner contenance à Sam. Mais celle-ci fut oubliée lorsque Sam sentit des doigts effleurer délicatement sa joue, avant de glisser délicieusement vers sa nuque. Tentant de contrôler sa respiration, elle retint un gémissement. Dieu, que faisait-il ? Lui qui restait toujours si professionnel en toutes circonstances, il n’allait tout de même pas… lui enlever ses boucles d’oreilles !?
De peur que la soudaine et ô combien dénonciatrice rougeur de ses joues ne la trahisse, Sam fit un mouvement brusque et tourna le dos à son supérieur en poussant un léger grognement. De plus en plus moites, ses mains se crispèrent sur la couverture lorsqu’elle entendit le "clic" familier de sa barrette céder, libérant ses cheveux tandis que déjà, une main les frôlait d’une caresse timide.
Dieu, cet homme était Maître en torture. Ce mélange de gêne et d’audace, de maladresse et de maîtrise, rendait le moindre de ses mouvements, fascinant ! Elle sentit alors son souffle chaud contre son genou, et manqua de sursauter au contact de ses paumes délicates sur son pied tandis qu’il s’affairait à la débarrasser de ses sandales. Oh ! Elle n’avait certes jamais douté qu’il cachât en lui une telle tendresse ; mais le soupçonner était une chose et le constater, le vivre, en était une toute autre.
Bien plus déroutante … littéralement électrisante.
Enfin… cela ne l’empêcha pas de ressentir quelque remord face à l’homme à l’attention si attendrissante. Car en se basant sur l’aveu qu’elle lui avait presque arraché, elle aurait plutôt parié qu’il s’en irait en courant dès qu’il l’aurait déposée sur le lit, très peu désireux de l’affronter. Peut-être n’était-il plus aussi renfrogné ? Se demanda-t-elle en repensant à la manière burlesque dont il l’avait traitée.
Sam entendit alors un léger grognement puis le bruit de pas s’éloignant vivement avant de dévaler l’escalier le plus "discrètement" possible, et déchanta aussitôt. Il s’enfuyait ! Diable, mais qu’avait-il ce soir ? Rien dans son comportement ne tenait plus du parangon du normal. Hébétée, Sam se sermonnait déjà d’avoir tardé à se "réveiller" lorsqu’elle l’entendit remonter prestement les marches.
- Elle va me rendre fou… maugréa O’Neill.
Sa raison lui conseillant d’occulter momentanément le sens de ces mots, Sam, un tantinet dépassée, se redressa lentement et s’assit sur son lit, son regard accroché au dos d’O’Neill.
- Puis-je savoir ce que vous cherchez dans ce placard ? demanda-t-elle doucement. Je saurais peut-être vous aider à trouver…
Oh bien sûr, la logique aurait voulu qu’elle lui demandât plutôt, avec le ton abasourdi de circonstance, ce qu’il fichait dans sa chambre à coucher ! Mais en voyant les gestes de son supérieur se figer doucement, elle se dit qu’elle avait bien fait. S’énerver n’aurait fait que donner au Général une excuse pour tourner les talons.
- Je… une couverture pour vous recouvrir, dit-il en lui faisant face. Il fait froid chez vous…
Le cœur de Sam fit un bon en avant et son regard brillant accrocha celui de son supérieur. Toujours cette attention se voulant faussement indifférente. Toujours cette inquiétude grossièrement dissimulée. Bien que la voix du Général ait, l’espace d’une seconde, manqué d’assurance, sa silhouette se redressa. Il était clair que "O’Neill, l’impassible" revenait à grandes enjambées ; aussi, remettant une mèche rebelle derrière son oreille, la jeune femme releva le menton, dubitative :
- Il y en a une sur mon lit.
- Je ne voulais pas risquer de vous réveiller… répondit Jack.
Flairant sans doute qu’elle ne manquerait pas de tiquer, ce dernier enchaîna prestement :
- Vous ne me demandez pas ce que je fais là ?
"O’Neill l’impassible" était définitivement de retour, jugea Carter en le regardant plonger nonchalamment les mains dans ses poches. Elle plissa les yeux.
- Je me dis que l’expression "éloigner les problèmes" ferait une réponse idéale à cette question, sinon pourquoi avoir pris la peine de me ramener chez moi ?
- Dans ce cas, peut-être que "retarder l’inévitable" est celle qui correspond à la vôtre.
Affichant un air ironique, Carter se remit sur pieds avec agilité et secoua la tête.
- Et jusqu’à quand ? demanda-t-elle en haussant un peu le ton. Jusqu’à ce que quelqu’un d’autre m’en parle ?
- Et alors ?
- Je ne veux pas de la version officielle, moi !
- Et alors ? répéta-t-il calmement.
Sam serra les dents. Elle savait qu’il la provoquait exprès pour détourner son attention et il était hors de question qu’elle marche. Alors elle redressa vaillamment la tête et le regarda avec toute la détermination possible. Mais c’est avec douceur qu’elle demanda :
- Racontez-moi.
Aussitôt, le regard d’O’Neill se voila et toute trace de malice déserta ses yeux bruns. Il ferma les yeux et fit un pas en arrière, la mâchoire crispée. Sam déglutit péniblement. Voilà. L’instant de grâce était fini, et elle marchait de nouveau vers ce bouclier qui ne manquerait pas de la rejeter violemment au moindre frôlement.
- Carter… s’agaça-t-il.
Mais elle prenait le risque…
- J’ai bien le droit de savoir, le coupa-t-elle.
- Il me semble pourtant avoir tout dit… Et vue votre réaction, je préfèrerais de loin partir.
- Parce que vous me cachez une chose encore plus terrible ? répliqua Carter, comme pensant à voix haute.
Mais devant l’expression changeante du Général, elle porta une main fébrile à son cœur et respira doucement. Diable, que venait faire ici ce sourire désabusé ? Elle voyait bien qu’il était accablé… Alors pourquoi sourire ? À moins que…
- Vous savez que je ne me permettrais jamais de vous juger, Monsieur… lança fébrilement Sam, effarée par cette possibilité. Je veux juste…
Mais O’Neill l’arrêta d’un geste de la main en secouant lentement la tête.
- Oh non… Vous n’avez pas idée de ce que vous me demandez, Carter, dit-il d’une voix aussi douce qu’amère.
Les mains de Sam tremblèrent. En temps normal, elle aurait abandonné depuis un bon moment devant un Jack O’Neill aussi renfermé, mais il était vital qu'elle sache ; elle devait savoir d'une façon ou d'une autre. Car ce n’était pas seulement le fait d’apprendre que les membres de SG-13 et 15 étaient morts qui l’avait tant chamboulé. Non…
Elle revoyait encore son regard. Ce regard emplit d’une sourde douleur qui fixait le sien dans une détresse évidente. Qu'est-ce qui le tourmentait ? Pourquoi cette lueur de culpabilité brillait-elle au fond de ses yeux ?
- Mon Général… tenta Sam, presque suppliante.
- Non, Carter, la coupa-t-il crûment. Je dois partir.
- Mais…
- Colonel ! menaça-t-il.
Sam paniqua. Elle lança du tac au tac :
- Vous ne résoudrez rien en me repoussant de la sorte !… Bon sang ! J’aurais pu être avec eux, Mon Général ! J’aurais pu mourir aussi ! Je veux savoir !
S’apprêtant à se retourner, le Général figea son geste et Carter adora et détesta ce qu’elle vit dans ses yeux. Pourtant les différentes émotions qui faisaient briller son regard lui crièrent toutes la même déchirante certitude : il souffrait. Il souffrait…
Figé, le regard abattu de Sam resta fixé sur le dos de Jack tandis qu’il se détournait. Puis, elle baissa doucement la tête et l’écouta faire quelques pas, acceptant son échec. Après tout, c’était contre un mur qu’elle s’acharnait, se consolait-elle, déjà.
Mais à sa grande surprise, lorsqu’elle releva les yeux, elle le trouva tranquillement appuyé contre son armoire, et son cœur fit une vive embardée. Parfaitement immobile, on l’aurait facilement cru perdu dans ses pensées si ce n’était cette ride sévère qui barrait son front, et le mouvement hypnotisant de son index droit sur son bras gauche. Comment faisait-il ? D’où lui venait une telle prestance ? Bien d’autres avaient essayé de percer ce mystère… en vain.
Finalement, sa voix s’éleva :
- Il était près d’une heure du matin quand une Activation Extérieure Non Programmée a quasiment réveillé tout le monde… commença-t-il, tirant un léger soupir à la jeune femme.
Aussi minime fût-elle, elle avait réussi à créer une brèche dans le mur O’Neill.
- J’étais dans la salle de commandes dans les deux minutes… C’est là qu’on a reçu le code de SG-15. Mais ce n’était pas un code rouge. Etant donné qu’ils n’étaient censés rentrer que dans deux semaines, nous avons tenté un contact radio, sans succès. Et puis il y a eu la voix du Lieutenant James… Il…
La voix d’O’Neill se perdit dans un murmure et ses yeux se troublèrent. Le regard soudé au sien, Carter frissonna d’appréhension. Puis, mue par une irrépressible envie de lui prouver son soutien, elle prit la parole :
- Je vous en prie, Mon Général, prenez votre temps… murmura-t-elle.
O’Neill poussa un léger soupir en baissant la tête. Il continua :
- … Sa voix tremblait. Il disait que l’odeur était écoeurante, qu’il ne pouvait plus rester là-bas, qu’il allait passer la Porte quitte à mourir… Ses propos étaient totalement incohérents mais j’ai quand même ordonné l’ouverture de l’Iris. Ensuite, j’ai pris un P-90 et j’ai rejoint les autres près de la passerelle…
Redressant la tête, les yeux du Général se fixèrent sur le bras gauche de Sam.
- … Et là, James a dévalé la rampe puis m’est littéralement tombé dans les bras. Comme il était recouvert de sang, j’ai attrapé son bras… je voulais le redresser… mais… ce n’était pas le sien que je tenais… C’était celui d’une femme. Un bras arraché, dégoulinant de sang…
Son visage se décomposant à chaque mot prononcé, Sam déglutit péniblement, les yeux exorbités d’effroi. Son cœur manqua un battement avant de repartir de plus belle, assourdissant. Une voix familière résonna alors à son esprit et une légère plainte s’échappa de sa gorge tandis que les propos auparavant jugés incohérents, trouvaient enfin un sens.
« Elle aussi portait une bague de fiançailles… … Ça aurait pu être le votre, Carter… Ça aurait pu être votre bras, votre main… votre bague… votre vie… »
- Mon Dieu… chuchota-t-elle, commençant seulement à réaliser.
Mais déjà, O’Neill reprenait :
- Quand James se réveilla deux heures plus tard, à l’infirmerie, j’étais auprès de lui. Le Lieutenant se mit alors à parler… Il me raconta qu’étant le seul à ne pas faire partie de l’équipe de recherche, le Colonel Cails lui avait ordonné d’aller vérifier les environs sur trois kilomètres.
Une lueur étrange brilla dans le regard d’O’Neill.
- James m’avait alors souri… poursuivit-il doucement. Il m’a confié que comme toujours, les autres s’étaient gentiment moqués de sa tête, mais que malgré leurs différences, ils avaient toujours été très complices…
- Je peux l’imaginer…
O’Neill acquiesça. Après quelques instants d’un silence méditatif, il reprit :
- D’après ses dires, James avait parcouru environs deux kilomètres et demi lorsqu’il entendit le bruit d’une explosion. La suite de son récit est assez vague. Il se souvient avoir tenté un contact radio sans succès, puis d’avoir couru pour échapper au souffle de l’explosion qui a fini par le percuter de plein fouet. À cause des brûlures de son dos, il lui avait fallu plus de trois heures pour retourner au Camp… ou ce qu’il en restait…
- C’est affreux…
- … L’un des appareils de mesure de l’infirmerie se mit soudain à biper et le Docteur Brightman fut obligée de faire une injection à James afin de le calmer. Mais il continuait toujours à parler… Il disait que le spectacle était écœurant, que les corps de ses amis étaient déchiquetés… qu’il y avait du sang partout… que l’odeur de chair brûlée et de cendres lui retournait le ventre…
Les lèvres de Sam frémirent et sa mâchoire se serra. Cette fois-ci, elle ne put empêcher une larme solitaire de glisser de ses yeux brillants d’émotion. Le long de ses hanches, ses poings se crispèrent, et elle se fit violence pour ne pas courir se jeter dans les bras de Jack, se blottir contre lui, et tout oublier… Oublier que c’était ce qu’ils risquaient à chaque fois qu’ils passaient la Porte. Oublier que SG-13 et 15 n’étaient pas les premiers et ne seraient sans doute pas les derniers. Juste oublier…
La regard soudain fuyant, le Général poursuivit :
- Ensuite, SG-3 et 7 se sont portés volontaires pour rapatrier… les corps, et j’ai décidé de les accompagner sur la planète.
Sam fronça légèrement les sourcils.
- Pourquoi avez-vous fait cela ?
- Parce que…
La question parut déstabiliser O’Neill qui se tut, semblant chercher les mots qui pourraient exprimer ses pensées avec le plus d’exactitude… ou le moins de détails.
- … Je leur devais bien ça, trancha-t-il énigmatiquement. Je leur dois de ne jamais oublier.
Ne jamais oublier ? Mais de quoi parlait-il au juste ? Pourquoi tant de mystères ? Que venait faire encore cette lueur de culpabilité dans son regard ? À contre cœur, Sam se retint de lui poser les questions qui lui brûlaient les lèvres, de peur d’interrompre ses confidences. Elle ne pouvait qu’espérer qu’il lui en parle par lui-même…
- Que s’est-il passé au juste ? demanda-t-elle, retrouvant son esprit pragmatique.
- On ne le saura sans doute jamais, répliqua O’Neill. Tout ce dont on est sûr, c’est que, pour une raison inconnue, le générateur a explosé, détruisant tout sur un rayon de deux kilomètres…
Carter acquiesça fébrilement, imaginant la frustration de son supérieur.
- Cela devait être horrible à voir… murmura-t-elle.
O’Neill ne dit rien. Bien sûr, se blâma-t-elle, qu’aurait-il pu dire ?
7. Juste faire comme vous…
…
- Mon Général… reprit Sam d’une voix hésitante. À qui appartenait le… le bras, dont vous m’avez parlé ?
Après un silence qui parut durer une éternité à la jeune femme, Jack répondit :
- Au Capitaine Clarens, Carter… à votre remplaçante. Je l’ai appris à mon retour, après l’identification des corps.
Les yeux de Jack se firent soudain moins assurés et Sam dut fermer les siens afin de lutter contre leur chaleur moite. Non sans difficulté, elle ravala ses sanglots. Il lui semblait avoir avalé une braise incandescente tant sa gorge s’embrasait de secondes en secondes. Dieu, son amie Laura. Laura, qui était si excitée de se joindre à cette mission. Laura, si douce, si gentille, toujours souriante…
…
« Elle aussi portait une bague de fiançailles… J’ai appris par l’une de ses amies qu’elle comptait quitter le SGC après son mariage, l’année prochaine. Elle voulait fonder une famille avec l’homme qu’elle aimait et profiter de la vie… »
…
Quitter le SGC… Fonder une famille… Profiter de la vie… Que restait-il des rêves de Laura ? Un bras arraché ? Une bague de fiançailles maculée de sang ? Pourquoi ?!!
Défilant incessamment devant ses yeux clos, des images plus horribles les une que les autres vinrent douloureusement percuter l’esprit de celle qui priait pour que ses jambes ne se dérobent pas à elle.
- Je suis désolé, Carter. Je sais que c’était votre amie…
Au son de cette voix grave et emprunte de douleur, le cœur de Sam se serra davantage. Lui aussi, réalisa-t-elle, lui aussi souffrait. Dieu… y avait-il chose plus horrible que de deviner la détresse d’un être aimé, mais de ne rien pouvoir y faire ? Existait-il défi plus terrible que d’en rester spectateur, de s’interdire d’intervenir ?… Combien de temps parviendrait-elle encore à étouffer les cris de son cœur ?
- Ca… Carter… qu’est-ce que vous faites ?
J’écoute mon cœur, fut tentée de répondre la jeune femme. Ses mains tremblantes agrippant le tee-shirt de Jack, Sam laissa son front s’appuyer contre son torse. Inévitablement, l’émotion submergea le jeune Colonel et des larmes muettes vinrent inonder ses joues tandis que deux bras se refermaient délicatement autour d’elle, l’entraînant vers une bulle de tendresse hors du temps.
- Je n’ai pas cessé de me demander ce qu’il se serait passé si je vous avais laissée partir à sa place… confia O’Neill. Votre présence aurait-elle changé quelque chose à leur sort ou alors… seriez-vous morte avec eux ?… Cela m’obsède…
Fronçant légèrement les sourcils, Sam redressa doucement la tête, réellement troublée par les propos d’O’Neill. Mais lorsqu’elle parvint à accrocher son regard, elle fut surprise de le voir se détourner.
- Mon Général… appela-t-elle en abdiquant une légère pression sur sa poitrine. Il ne sert à rien de vous torturer. Vous n’y êtes pour rien. L’ordre venait du Docteur Brightman… J’ai été stupide de m’en prendre à vous…
Etant théoriquement supposées le rassurer –voire le réconforter…– les paroles de Sam firent pourtant presque le même effet qu’une violente gifle sur Jack. Hébétée de le voir aussi soudainement refermer sa coquille, elle n’eut pas le temps d’esquisser un geste qu’il l’empoignait par les épaules, la repoussant sans ménagement.
- Vous n’y comprenez rien, Carter ! s’écria-t-il, furieux. Le Docteur Brightman n’a jamais fait de rapport négatif quant à votre aptitude au service !
Ecarquillant les yeux, Sam posa sur son supérieur un regard abasourdi.
- Je… je vous demande pardon ?! balbutia-t-elle.
- J’ai menti ! hurla O’Neill. Eh oui ! Il n’y a absolument rien d’officiel qui puisse justifier ma décision à votre propos !…Vous vouliez savoir ce que je vous cachais alors voilà, c’est dit !
- Mais… pourquoi ?
Comme O’Neill baissait les yeux, la mâchoire serrée, semblant hésiter à lui répondre, Sam fit un pas en avant et redressa la tête.
- Pourquoi ?! redemanda-t-elle plus fermement.
Pourquoi avait-il refusé qu’elle participe à la mission ?… Pourquoi avait-il menti ?
- Pourquoi ?!
- Parce que je m’inquiétais pour vous, Carter ! s’écria O’Neill. Cette mission tombait mal ! Je voyais bien que ça n’allait pas, alors j’ai décidé de vous donner… ou plutôt de vous imposer, cinq jours de congé ! J’avais dans l’idée que vous les rejoindriez en forme dès lundi… Mais…
Ces aveux arrachés à la réticence d’une âme douloureusement tourmentée, clouèrent Sam sur place. Comme auparavant, des mots résonnèrent à ses oreilles, soulignant davantage sa confusion face à ses révélations.
…
« Vous ne pouvez pas m’interdire d’être inquiète… »
« Oh, mais vous pouvez vous inquiéter !… Mais pas comme ça, Carter… Pas comme ça. »
« Parce que je m’inquiétais pour vous, Carter ! »
…
« Vous ne pouvez pas m’interdire d’être inquiète. »
« … Pas comme ça, Carter… pas comme ça. »
- Je les ai peut-être tués et moi… moi, je…
Sam demeurait figée devant les aveux de son supérieur. Elle n’osa bouger, de peur que l’instant ne s’évaporât trop vite, la laissant sans aucune contenance, en proie à la plus intense des confusions. Plus que celle du cœur… celle de l’âme.
Comment le cœur d’une femme qui parvenait à rester placide face à la mort elle-même, pouvait-il battre aussi furieusement, bouleversé par le mensonge, dramatique mais ô combien doucereux, d’un homme ?
Dieu, qu’elle aurait aimé pouvoir lui ôter sa douleur d’un simple regard… apporter le réconfort à son cœur d’un effleurement. Ses yeux, ses mains, son cœur, la brûlaient.
- Mon Général… gémit-elle presque, faisant un pas vers lui. Rien ne dit que j’aurais pu y changer quelque chose…
Qu’aurait-elle pu dire d’autre ?… Qu’elle savait ce qu’il éprouvait ? Oh non, elle n’en savait rien. Et pour rien au monde, elle ne voudrait savoir. Ce devait être horrible…
- Je vous en prie, ne soyez pas trop dur avec vous-même…
Sam gardait obstinément la tête baissée. Son courage était suffisant pour prononcer ces quelques paroles, mais le regarder dans les yeux…
- Mais vous n’avez donc toujours pas compris, Carter ?! explosa O’Neill, la faisant sursauter.
Il avança d’un pas en faisant un geste excédé du bras.
- … Sur le coup, je ne me suis pas demandé une seule seconde si votre présence aurait pu changer quelque chose au sort de mes propres hommes ! J’ai juste remercié le ciel de ne pas vous avoir laissée partir !… Alors quel genre de Chef suis-je d’après vous ?! Hein, Carter ?! Dites-moi !
Portant une main tremblante à sa bouche tandis que le Général se détournait vivement, furieux contre lui-même, Sam sentit confusément ses yeux s’embuer. Son cœur se mit à battre plus vite. Avait-elle bien entendu ? Avait-il bien dit qu’il n’avait pensé qu’à elle, et uniquement à elle ? La formulation laissait peu de place au doute, réalisa-t-elle en le chassant de son esprit.
Dieu, c’était très douloureux mais tellement émouvant. Elle comprenait. Elle comprenait enfin ce contraste dans l’attitude d’O’Neill. Elle comprenait sa colère, sa douleur… sa détresse. C’était elle. Cette chose qui faisait qu’ils ne cesseraient sans doute jamais d’être inquiets l’un de l’autre. C’était elle.
- Oh ne me regardez pas avec cet air compatissant, par pitié ! Je n’ai pas besoin que l’on me plaigne !
Sam ne s’offusqua pas du ton rude qu’il venait d’employer. Ce n’était pas contre elle mais contre lui-même qu’il en avait. Jack O’Neill se sentait perdu, seul face aux cris de sa conscience. À l’instant, il n’était plus qu’un homme.
- Je ne sais pas quoi dire à part que vous êtes un excellent Commandant, Monsieur… juste un héro.
- Vous n’êtes pas objective, la coupa-t-il en détournant le regard.
Elle garda le silence un moment, puis murmura :
- … Rien de nouveau à cela.
Sam aurait juré voir les lèvres de Jack trembler. Et devant le trouble extrême qui se peignit sur son visage, le dénonçant traîtreusement, il ne put que fermer les yeux. Que pouvaient bien lui inspirer ses mots ?… Etait-il gentiment touché ou infiniment accablé ?… Enfin apaisé ou encore plus courroucé ? Le même combat devait se jouer en lui car lorsqu’il rouvrit les yeux, il semblait à Sam qu’ils étaient de braise et de glace mêlées. Avait-elle jamais vu un regard plus hypnotisant ?
- Dites que, moi, j’arrive à être parfaitement objectif envers vous… lâcha-t-il finalement, et Sam retint sa respiration… Dites que, quand je vous regarde, ce sont les yeux du Général qui se posent sur vous et non ceux de l’homme. Dites que j’y parviens. Dites que je ne suis pas fou. Dites que ma folie de s’appelle pas Samantha Carter… Car si vous ne pouvez rien me dire de tout cela, alors vous ne pouvez rien pour moi…
Posant une main tremblotante d’émotion sur son cœur, Sam observa la mâchoire de Jack se crisper et son regard devenir de plus en plus fuyant à chaque nouveau mot prononcé… Dieu… Elle avait tant de fois rêvé ces mots et elle les rêvait encore. Ces mots qui avouaient enfin que c’était elle, et aucune autre. Que ce serait toujours elle. Alors pourquoi ? Pourquoi n’arrivait-elle pas à sentir la douleur dans sa poitrine s’évaporer brusquement, comme elle l’aurait dû ?… Où était passée cette vague de soulagement et de bonheur qui était censée envahir son corps et bouleverser ses sens ? Pourquoi avait-elle envie d’éclater en sanglots ?
Peut-être parce qu’elle aurait aimé que ces paroles soient appuyées par un regard moins douloureux… moins intransigeant. Peut-être parce qu’elle aurait préféré ne pas lire cet accablement dans ses yeux bruns, mais une émotion beaucoup plus tendre. Tout en les lui avouant, Jack O’Neill condamnait ses sentiments. Il condamnait son amour pour elle.
Son cœur s’emballant sous l’évidence de cette affligeante pensée, Sam s’avança vers lui, qui se raidit aussitôt. Une lueur furieuse brilla alors dans ses yeux…
- Mais bon sang, Carter, assez !! ragea-t-il. Arrêtez d’être si douce, si belle ! Arrêtez de me sourire, de vous attendrir !… Laissez-moi juste faire comme vous ! Laissez-moi oublier !!
Devant la vulnérabilité de sa voix, les yeux de Sam s’embuèrent, une bouffée de tendresse bouleversant son cœur. Oublier ? Pensait-il vraiment qu’elle l’avait oublié ? Mais comment oublier ce qui fait ainsi partie de vous ?
Elle connaissait ses misères, les combats et les tribulations de son âme ; la faiblesse et les entraves de son corps. Elle pouvait deviner les limites de sa lâcheté... ses péchés, ses défaillances. Et, elle voulait juste qu’il lui donne son cœur tel qu’il était.
- Jack… gémit-elle.
Transpercée par sa détresse, ses bras tremblants s’animèrent d’eux-mêmes. Elle secoua doucement la tête et s’approcha encore, indifférente à son regard implorant. Et lorsque ses bras s’enroulèrent autour de son cou et que son corps se colla enfin au sien, elle ne put retenir plus longtemps ses larmes.
- Oh non, je n’ai rien oublié…
- Carter…
- … J’ai essayé pourtant… mais j’ai échoué. J’ai même cru pouvoir vivre avec… mais je comprends aujourd’hui que j’ai encore échoué…
- Ne dites pas ça…
Se redressant à ces paroles, Sam passa d’un état de confusion totale à celui d’une incroyable sérénité. Elle avait l’impression d’avoir tout d’un coup la tête froide, et cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Tout était simple finalement, elle avait tous les éléments en main. Jusqu’à présent, elle était effrayée par cette situation, elle ne savait que faire. Mais il fallait se rendre à l’évidence. Quoiqu’il ait comme défauts ou quoiqu’il n’ait pas comme qualités, c’était lui que tout son être appelait. Lui, et uniquement lui. En fait, elle n’avait jamais cessé de l’aimer.
Forte de cette certitude, Sam sourit à travers ses larmes.
- Mais c’est la vérité, Jack… murmura-t-elle. C’est peut-être effrayant, mais c’est la vérité…
8. Votre prochain échec…
…
D’abord troublé par l’assurance de Carter, Jack sentit s’évanouir un peu du désarroi qui l’avait envahi face aux paroles de la jeune femme. C’était un réflexe de lâche, il le savait bien ; et pourtant, il ne pouvait réfréner l’onde de soulagement qu’il éprouvait à la pensée que, Carter non plus, ne contrôlait plus rien. Que depuis tout ce temps, elle aussi, n’avait fait que feindre ; qu’il était encore dans son cœur.
Les mots allaient et revenaient dans sa tête, mais il ne répondit rien. Qu’aurait-il pu répondre à ça ? Sa phrase en elle-même résumait tant de choses.
Pourtant… la poitrine de Carter se soulevait au rythme d’une respiration lente, tendant le fin tissu de sa veste dans son mouvement ; ses lèvres étaient roses et luisaient doucement, entrouvertes et infiniment désirables.
Et s’il l’embrassait, où était le mal ? Ne pouvait-il pas s’arrêter de réfléchir cinq minutes et s’abandonner à ce que lui soufflait de faire son instinct ?
À cette pensée envoûtante, Jack sentit son cœur battre encore plus rapidement. Les paumes de ses mains se couvrirent d’une légère transpiration et il commença à décroiser légèrement ses doigts. Ces derniers étaient presque séparés, lorsqu’il se figea, ses yeux accrochant une chemise d’homme, abandonnée sur une chaise.
Pete.
Mais c’était trop tard, Carter venait de poser ses lèvres sur les siennes.
Tout était allé si vite. La rencontre de Carter et de Kerry, son mensonge, leur dispute, l’explosion du générateur, sa confusion… Et Carter. Carter plus têtue que jamais. Carter qui s’inquiétait encore et toujours pour lui… malgré tout. Carter dont les lèvres douces se faisaient plus insistantes, plus audacieuses.
Non. Ce n’était pas ce qu’il voulait. C’était même tout à l’opposé.
N’était-ce pas son sentiment de culpabilité qu’il voulait noyer dans cette étreinte ? N’était-il pas entrain de chercher à faire taire sa conscience, en abusant de sa chaleur ? Elle qui avait enfin réussi à construire une relation sérieuse et "normale" avec l’homme qu’elle allait épouser. Qu’espérait-il ? La faire douter ? Semer la confusion dans son cœur ? Ébranler sa raison ? Provoquer encore cette lueur dans son regard ?
Et ensuite ? Qu’y avait-il ensuite ?… La réponse à cette question glaça le sang de Jack. Il fallait qu’il mette un terme à cette mascarade.
- Non, Carter, dit-t-il en la repoussant doucement mais fermement… Je ne tiens pas à être votre prochain échec.
Mais même ces paroles si crues, si acres dans sa bouche, ne parvinrent pas à ébranler cette certitude qui dansait fièrement dans le regard océan de la jeune femme. L’avait-il jamais vue aussi sûre d’elle ? En tout cas, elle n’avait jamais été aussi belle…
- Je suis sûre de ce que je ressens, Jack… C’est pour vous que mon cœur bat.
Sous le choc, Jack eut un mouvement de recul. La force qui transparaissait dans ces paroles le transperça. Il ouvrit la bouche pour la refermer de suite. Les mots ne sortaient pas, coincés dans sa gorge. Et d’ailleurs, qu’aurait-il pu dire ? Il était à mille lieues de penser que ce soir, il entendrait pareil discours.
Fidèle alliée de la panique qui le gagnait, une chaleur se mit à sourdre au plus profond de son être, et commença à se diffuser dans tout son corps, se répandant rapidement, laissant une empreinte de douleur sournoise.
Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait complètement désarmé. En lui lançant à la figure ses sentiments pour lui alors qu’il ne s’y était absolument pas préparé, Carter avait faussé les règles du jeu qu’ils suivaient depuis plus de huit ans, et l’avait déstabilisé. Or, il n’y avait rien qu’il ne détestât plus que d’être pris au dépourvu, et d’être plongé dans une situation dont il ne maîtrisait pas les moindres aspects ; cela lui était vital pour s’adapter.
S’adapter… Jack haussa les épaules intérieurement. Comme s’il pouvait s’adapter à un "C’est pour vous que mon cœur bat…" sortant de la bouche de Carter !
- Sam…
Jack serra les poings jusqu’à en blanchir les jointures. Chaque seconde qui s’écoulait le rapprochait un peu plus du moment où il devrait trancher entre deux choix qui semblaient tous deux n’avoir aucune issue satisfaisante. Soit il prenait Carter dans ses bras, soit il la repoussait, mais dans tous les cas, il devrait mettre un terme à l’indécision qui le tenaillait depuis le début de cette soirée. Carter lui rendait ce choix d’autant plus difficile en le mettant au pied du mur, mais comment lui en vouloir ? Comment lui montrer qu’elle n’était pas la seule à souffrir ?
Oh, il ne doutait pas un seul instant de ses propres sentiments. Ceux-ci étaient là depuis tellement longtemps qu’un jour, un jour où il ne put trouver la force de nier, il avait fini par se faire une raison : il l’aimait. Un peu trop même.
Mais… et alors ? Comment feraient-ils ?
Maintenant qu’il était devenu le Commandant en chef du SGC, il n’était pas question pour lui de démissionner. On lui avait fait confiance. On lui avait confié l’avenir de la Terre. Et il se devait d’être digne de cette mission. Démissionner dans les conditions conflictuelles actuelles, serait synonyme d’échec. D’abandon, même. D’autant plus qu’il était persuadé d’avoir encore bien des choses à apporter au Programme. Aujourd’hui encore, on avait besoin de lui et il ne manquerait pas à l’appel.
Et puis, même s’ils restaient dans la clandestinité, même s’il demandait à diriger la Base en tant que civil comme le lui avait chaudement recommandé une certaine personne, il ne pourrait jamais regarder tranquillement sa femme passer la Porte Des Etoiles pour se retrouver à des années lumière de la Terre, exposée à des dangers plus terrifiants les uns que les autres. Il mourrait d’inquiétude, c’était certain. De même qu’il ne pourrait jamais accepter qu’elle sacrifie sa carrière pour se lancer dans une histoire qui n’aboutira peut-être pas.
Ouais… Au fond, son plus gros problème était là…
Car il avait peur d’être ce fantasme un peu trop idéalisé par des années d’espérance acharnée, et qui finissait généralement par décevoir. Et lorsque cela arriverait, Carter n’aurait pas trente-six manières de réagir : la tête basse et les yeux rouges, elle le quitterait. Et cette fois, il serait définitivement anéanti.
Si le simple fait de la tenir dans ses bras lui apportait tant de ce sentiment d’intense plénitude que l’on appelait "bonheur", comment ferait-il pour remonter la pente une fois qu’elle l’aurait poussé et qu’elle ne serait même plus là pour lui tendre la main ?
Décidemment, les arguments se disputaient la gloire et rien, même la douceur de l’étreinte de Carter, ne semblait en mesure de les contester. Au fond, les dés étaient jetés depuis déjà longtemps maintenant, même si aucun d’eux n’avait osé y jeter un œil. Mais aujourd’hui, il fallait affronter la réalité : malgré leurs sentiments, ils ne seraient jamais "ensemble".
Et de quelque manière qu’il présente la chose, Carter allait se sentir meurtrie et repoussée. Que pouvait-il lui dire ?
"… Désolé, Carter, je vous aime comme un damné, mais rien n’est possible entre nous. Je ne peux pas démissionner, et je ne veux pas que vous le fassiez. Voilà… Si on faisait comme si rien ne s’était passé ?" ou mieux encore : "Carter… je ne suis pas assez bien pour vous. Je préfère vous éloigner plutôt que de courir le risque de me faire plaquer par celle que j’aime. Je n’y survivrais pas. C’est l’instinct de préservation qui veut ça, désolé. Bon, j’y vais, hein…"
- Je suis sûre de ce que je ressens… répéta Carter, estimant sans doute que son mutisme s’éternisait.
Jack ferma un instant les yeux, essayant contre tout espoir d’arrêter le temps ou de grappiller encore quelques secondes.
Il allait blesser celle qu’il aimait, et cette pensée le faisait horriblement souffrir. Mais il n’avait pas le choix, hormis celui de décider par quel moyen il allait la repousser ; et, rattrapé par son personnage, jugeant peut-être plus ou moins consciemment que la situation pouvait encore être dédramatisée, il opta pour l’humour :
- Comme vous étiez sûre en acceptant d’épouser Pete ?
Tout compte fait, cela ressemblait davantage à un reproche qu’à autre chose. Les yeux de la jeune femme se plantèrent dans les siens et perdirent définitivement leur assurance pour refléter à nouveau les sentiments d’un esprit troublé. Jack put y lire une interrogation, une incompréhension qu’il ressentit douloureusement jusqu’au profond de lui-même. Il se haïssait pour ce qu’il était entrain de faire, et lorsqu’il reprit la parole, sa voix résonna froidement à ses oreilles :
- Ne soyez pas ridicule, Carter…
C’en était trop. Jack détourna les yeux, le regard voilé par une sourde colère. La gorge comme nouée par une force invisible, il aurait pourtant voulu lui parler... s’expliquer, mais son coeur n'osait pas. Il aurait aimé la serrer dans ses bras, mais il ne bougeait pas, incapable du moindre geste. Le cœur tétanisé face à ce regard bleu pénétrant, il aurait voulu la haïr mais il ne pouvait pas… Etait-ce cela ? La plus cruelle des douleurs ?
- Je n’arrive pas à comprendre… Si nous étions sur un champ de bataille, je sais que vous me confieriez votre vie sans ciller… Mais dès qu’on est désarmés… à découvert, vous ne me faites plus assez confiance ?
Encore incapable de soutenir le regard de Sam, Jack se mordit l’intérieur de la joue. Ce qu’il s’apprêtait à dire était vraiment méprisable, et d’un ridicule fini ; mais quoi que cela lui coûtât, il était trop tard pour stopper le mécanisme qu’il avait mis en marche, quitte à lui faire mal… Et ça, il savait le faire…
- Rien de nouveau à cela…
Jack se tut. Chaque mot prononcé lui avait paru résonner comme un glas, élargissant un peu plus à chaque fois la plaie qu’il ouvrait dans le cœur de la femme qu’il aimait. Pendant quelques secondes, rien ne se passa plus dans la pièce que le silence, puis, lentement, tel un carrousel mort qu’un tour de clef vint ressusciter, les choses s’animèrent de nouveau.
- Ce que je vois, moi, c’est que vous craignez davantage pour votre cœur que pour votre corps ! Et ce n’est pas très flatteur pour moi…
D’abord accusateur, le ton de sa voix se mua en une pointe de détresse. Malgré cela, Carter resta droite, digne. Devant tant de résolution, ou d’amour, Jack desserra lentement les poings, désincrustant peu à peu ses ongles de sa chair. La douleur grandissante qui lui serrait le cœur devenait insupportable.
- C’est vrai, vous méritez mieux, dit-il… Et vous avez mieux. Vous êtes fiancée à un homme qui, malgré son coté… enfin ! Un homme qui vous aime de tout son cœur. Un homme que vous avez accepté d’épouser. Nous savons tous les deux que vous n’êtes pas du genre à prendre pareille décision sans avoir pris en compte toutes les alternatives. Vous avez dû y réfléchir longuement et si vous l’avez choisi, lui, c’est qu’il y avait une bonne raison.
Carter secoua la tête, l’air confus.
- Mais, ce n’est pas ce que… tenta-t-elle.
Jack l’arrêta d’un geste agacé de la main.
- … Une raison dont vous ne vous souvenez peut-être plus, ce soir, mais qui est bien là… quelque part dans votre cœur.
9. Carrefour…
…
Carter cligna une première fois des yeux, une deuxième fois, avant d’être de nouveau capable de formuler ce qu’elle ressentait en pensée. À ce moment là, une lueur de colère passa dans ses yeux, rapidement remplacée par une mine témoignant d’une douloureuse amertume. Les carapaces les plus solides cachaient les cœurs les plus fragiles et celui du Général s’était cristallisé tant il redoutait de souffrir.
- Qui de nous deux essayez-vous de convaincre, là ?
- Carter…
Sam soupira. Une partie d’elle se détacha de la situation et les vit tels qu’ils étaient en réalité : se faisant face, échangeant péniblement quelques mots sans se regarder, une douleur refoulée dans la voix. Comme un vieux couple. Bien que sa dernière pensée lui ait fait secouer ironiquement la tête, Sam dut admettre qu’il y avait quelque chose de terriblement vrai. Pour la première fois, elle se demanda si ce n’était pas aussi pour cette raison que Jack la rejetait de la sorte. Ce n’étaient pas les différences entre eux qui étaient effrayantes, c’étaient leurs points communs.
- Alors quoi ? On en reste là ?
A cette interrogation, une lueur d’accablement et de tendresse mêlées brilla dans le regard d’O’Neill ; comme s’il avait du mal à supporter ses propos tout en étant incapable de s’en irriter.
… Un vieux couple pour de bon.
- On n’est jamais allé nulle part, Carter… lança-t-il résolument.
Cette réponse retourna l'estomac de Sam. Si neutre et pourtant si éloquente pour qui voulait bien tendre l'oreille.
- Oui, bien sûr, souffla-t-elle sarcastiquement. Cela arrive souvent lorsque l’on fait un pas en avant et deux en arrière.
- Cela arrive aussi lorsque l’on a rien vers quoi se diriger…
Une douloureuse tristesse dans le regard, Sam se contenta pourtant d’encaisser le coup, le corps dignement droit. Bien sûr, elle aurait pu se mettre en colère. Il y avait de quoi être furieuse contre lui, furieuse contre cette indifférence qui aurait pu tout aussi bien être qualifiée de lâcheté… Mais il n’en fut rien. Elle-même s’était si longtemps réfugiée derrière la ligne, cette ligne qui les séparait, les protégeait, qu’elle ne sut comment lui en vouloir d’en faire de même.
Mais aujourd’hui qu’elle avait enfin réussi à se débarrasser des chaînes d’incertitudes qui entravaient depuis si longtemps son amour pour lui, elle ne pouvait qu’espérer qu’il trouve le chemin vers elle, et le courage, la force, de s’y risquer…
Elle n’abandonnerait pas. Elle ne l’abandonnerait pas…
Tout d’un coup, les yeux du Général se firent plus expressifs si bien que Sam fut forcée de détourner son regard lorsqu’elle comprit qu’elle avait parlé tout haut.
- Carter, je…
Mais la sonnerie stridente d’un téléphone résonna brusquement dans la pièce, la faisant presque sursauter. Dans un soupir tremblant, Sam passa une main nerveuse dans ses cheveux courts. Elle avait l’impression d’étouffer. Devait-elle se sentir soulagée par cette interruption ? Non, elle était juste lassée. Donner le change était devenu son plus grand défi. Pas question de s’effondrer ! Cela jouerait contre elle.
Le Général dont elle sentait le regard posé sur elle, se décida à décrocher :
- Pour l’amour du Ciel, Walter ! Il est plus de quatre heures du matin ! Ce n’est pas vraiment l’heure de me parler de vos chagrins d’amour ! gronda-t-il, et Sam esquissa un sourire… Oui, j’ai dû m’absenter… C’est pour ça que j’ai pensé à prendre mon téléphone portable, figurez-vous !… Quoi encore ?… Bien, je suis à la Base dans vingt minutes.
Sam redressa la tête et regarda Jack dans les yeux. Rester professionnelle en toute circonstances ne lui avait jamais vraiment causé de problème.
- Qui y a-t-il ?
- Vous savez, la délégation "Humain, Jaffa, Tok'ras" que nous avons envoyée sur P4X… machin chose, la semaine dernière…
- P4X367, oui. Le Colonel Stones, Teal'c, ainsi que le Tok'ras Rei’tac ont été escortés par SG-8, si je ne m’abuse. Le Pentagone avait jugé que cela ferait plus "convainquant" pour marchander contre du Naquadah…
O’Neill acquiesça en roulant des yeux.
- La négociation s’est mal passée, Monsieur ? demanda Carter.
- Il parait que le représentant de nos alliés préférés a eu une petite altercation avec les autorités locales ! dit-il ironiquement… Résultat : ils ont tous été fait prisonniers… Le Grand Ministre a demandé à me rencontrer en personne, alors je vais les chercher.
- Je viens aussi.
Voyant que le Général s’apprêtait à protester, Sam enchaîna :
- Teal'c fait partie de mon équipe… je viens aussi.
- Bien, céda O’Neill. Je vous emmène ?
- Non, répondit Sam sans aucune hésitation.
Puis elle rajouta devant la mine perplexe de son supérieur :
- … Nous n’allons pas dans la même direction.
Impassible, le Général resta un instant à la fixer puis finit par acquiescer. Il se détourna et sortit de la pièce, laissant une Sam amère.
…
Etait-ce vraiment la fin ?
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