Le droit de s’inquiéter…
(3ème partie)
- Auteur : Rayléna_rose.
- Résumé : le dilemme d’un être… où quand l’inquiétude dénonce les sentiments.
- Spoilers : saison 08, après Affinity...
- Genre : Romance S/J.
- Mail : Raylena_rose@hotmail.fr
- Disclaimer : les personnages et l’univers ne sont pas à moi mais à la MGM…
- Archive : À ne pas publier sans mon autorisation ! (Envoyez-moi un p’tit Mail J).
Note de l’auteur :
- Merci à Hélios pour ses précieux conseils ! Ton Zat est très efficace, miss (^_^ !
- Comme je l’ai déjà conseillé pour "Caresse d’hérisson…", ne désespérez pas de comprendre le titre. Bonne lecture !
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10. Hameçons et robes blanches…
…
Jack pénétra lentement dans le mess, une main posée sur ses reins, et l’autre massant discrètement sa nuque endolorie. Il tourna la tête vers la table de SG-1 et déchanta : Carter était plongée dans la lecture d’un bouquin, et ne paraissait pas l’avoir remarqué… ou alors en faisait mine. Devant elle, une tasse de café fumait délicieusement. Se rappelant les grognements affamés de son estomac, Jack prit un plateau, se servit copieusement puis prit place en face d’elle, et s’attaqua gaiement à son petit déjeuner.
- Carter… salua-t-il, la bouche pleine.
- Monsieur, dit-elle platement.
Il venait d’attaquer son deuxième beignet quand il reposa brusquement sa tasse, faisant bruyamment tinter la porcelaine. Il considéra avec incrédulité le titre du livre qui lui faisait face : "Hameçons, comment choisir le bon ?". Lorsque dans un soupir las, Carter posa l’ouvrage puis se saisit d’un magazine posé sur ses genoux, Jack faillit tomber de sa chaise : "Mariage, plus de 100 modèles pour trouver la robe de vos rêves !"
Si ça, ce n’était pas de la torture mentale alors il n’y connaissait vraiment rien !
Jack soupira intérieurement. Assez. Il en avait assez de se mentir à lui-même, assez de cette situation absurde qui les empêchait de vivre normalement. Il se rendit compte que, bien loin d’être heureux, il se sentait sur le point de craquer. Si même un Donut’s matinal n’arrivait plus à le remettre en forme, il fallait vraiment qu’il se pose des questions.
Au rythme des "tortures mentales" de Carter, trois semaines déjà s’étaient écoulées depuis la… Comment devait-il appeler cela, en fait ?… Dispute ? Prise de bec ? Pourquoi pas… prise de conscience ?
Il soupira.
Oh bien sûr, il avait pris conscience des sentiments qu’éprouvait Sam à son égard. Mais maintenant qu’il l’avait lâchement repoussée, c’était elle qui le faisait douter. Elle n’avait pas rompu ses fiançailles. Elle n’avait pas quitté le SGC. Leurs rapports étaient plus "professionnels" que jamais. Mais pourtant, elle n’abandonnait pas. À sa manière, elle lui soufflait, par ses regards lorsqu’elle s’apprêtait à passer la Porte, par une succession de petites allusions, qu’il y avait toujours une porte vers son cœur.
Quant à lui, il éprouvait de plus en plus, le besoin de l’avoir à ses côtés, de la connaître encore plus et de partager davantage avec elle, si bien qu’il lui était de plus en plus difficile de se contrôler en sa présence ; et cela le terrifiait.
Avait-elle seulement compris qu’il ne désirait rien de plus que son bonheur ? Qu’il avait peur de ne pas être capable de le lui donner ?
Alors qu’il ruminait cela, regardant d’un œil fixe la bague de fiançailles de Carter, le magazine fut abaissé et posé sur la table. Et l’espace d’un trop court instant, le regard de Sam croisa celui de Jack. Elle rougît et détourna les yeux, saisissant nerveusement sa tasse de café remplie, laquelle ne fumait d’ailleurs plus depuis un bon moment. Le jeune Colonel repoussa sa chaise en arrière et se leva avec raideur, évitant soigneusement de regarder Jack. Elle reposa la tasse de café froid sur le comptoir et s’en fut hors du mess. Le magazine glissa à terre, désapprobateur.
Jack resta seul, au mess, à ressasser des idées moroses. Décidément, la situation devenait intenable. Il se rendit compte avec agacement que ses doigts se crispaient involontairement, signe chez lui d’une intense nervosité.
Pourquoi n’avait-il pas prévu que Carter réagisse ainsi, en fait ?
Jack était trop lucide pour ne pas pouvoir répondre à cette question : en évitant une confrontation avec elle, il avait tablé sur le fait qu’elle prendrait mal la chose, mais qu’elle finirait sans doute par l’accepter… par lassitude, par fatalité, par habitude de ne jamais accéder au bonheur.
Comme avait-il pu, même inconsciemment, être lâche au point d’espérer une chose pareille ?
De quoi avait-il donc aussi peur ?… De gâcher une amitié privilégiée ? De la perspective de devoir ramasser son cœur morceau par morceau si jamais elle venait à le lui briser ?
Non, tout cela était ridicule… Carter serait incapable de lui faire du mal. Elle l’aimait.
Son regard se porta sur le Donut’s qu’il tenait dans sa main, et ses traits s’adoucirent comme s’il contemplait un objet aimé.
Samantha… Ce sourire qui lui faisait oublier ses démons. Ces yeux qui lui faisaient avouer, malgré l’épaisse cloison qui protégeait son cœur, que Jack était fier d’être leur bonheur. Elle était, celle qui le faisait taire, qui le faisait parler et sourire.
Et quel que soit le fil de ses pensées à son sujet, il en revenait toujours au même point : il ne pouvait plus se passer d’elle.
Il fallait qu’il lui dise ! Il fallait qu’elle sache !!
11. Pourquoi pas verte ?
…
Le Général Jack O’Neill referma lentement la porte de ses quartiers derrière lui et fit quelques pas avant de s’allonger de tout son long sur le lit. Le matelas se creusa sous son poids, et Jack ressentit le fugitif bien-être habituel quand le tissu épais du couvre-lit épousa la forme de son dos et de ses épaules. Il croisa les mains sous sa nuque, plia sa jambe gauche de façon à ce que son pied droit puisse venir se caler sur le genou opposé, et ferma les yeux.
Il se sentait mal ; et ce n’était pas le confort de sa position qui pourrait lui faire oublier l’inconfort de son esprit. Lorsqu’il était sorti du mess, remonté par sa réflexion intérieure, il s’était dirigé vers le laboratoire de Carter, bien décidé à faire abstraction de la précarité de leur situation pour agir enfin en fonction de ses sentiments. Mais lorsque les portes de l’ascenseur s’étaient fermées et que ce dernier avait amorcé sa décente, il eut l’impression que chaque étage franchi effritait un peu plus sa résolution. De sorte qu’arrivé à destination, il avait vivement appuyé sur le bouton de fermeture aussitôt que les battants se furent écartés.
Mais le destin en avait décidé autrement car un bras était venu se ficher sous son nez, faisant de nouveau s’écarter les battants. Les yeux de Jack étaient restés fixés sur un objet. Cette bague qui réussissait toujours à capter son regard. Une vraie douche froide, à chaque fois. Alors, il s’était sermonné intérieurement. Non seulement il était incapable de tenir ses résolutions –à savoir la laisser vivre sa vie– mais en plus, il n’était même pas foutu de lui dire la vérité, d’ôter le masque et lui présenter enfin son vrai visage.
Secouant la tête, comme pour chasser de son esprit ses sombres pensées, il avait respiré un bon coup mais lorsqu’il avait levé les yeux vers Carter, il s’était figé.
Elle se tenait immobile, le visage pâle, ses yeux bleus embués le fixant d’une émotion qui fit bondir son cœur. Jack sentit encore ses mains trembler face à tant de sincérité. Mais sur le coup, son premier réflexe fut de se réfugier derrière le sarcasme.
- Alors, Carter ? avait-il lancé de son ton le plus indifférent… Serai-je tout de même invité à votre mariage ?
Il y eut un mouvement d’air. Un bruit sec. Une chaleur brûlante sur sa joue. Jack était resté immobile, ses yeux bruns écarquillés. Alors, dans une lenteur infinie, le bras de Carter se retira tandis qu’une larme solitaire fondait sa joue.
- Vous avez gagné. J’abandonne… avait-elle lâché, et les portes se refermèrent.
Sur son lit, Jack changea de position et se mit en chien de fusil, sa tête reposant sur son avant-bras. Ces derniers jours lui semblaient symboliques de sa relation avec Carter et il avait l’impression d’avoir refait à pas de géant toute son histoire avec elle, répétant en quelques heures sa fuite, son indécision, sa lâcheté, toutes ses choses qu’il avait accumulées près d’elle en huit ans. Durant toutes ces années, il s’était rapproché d’elle, suffisamment pour établir entre eux une relation d’étroite complicité, puis s’était dérobée à chaque fois que les choses commençaient à devenir sérieuses. Il soupira de nouveau. Oui, décidemment, il se sentait mal. Il se sentait d’autant plus mal qu’une question s’imposait nettement à lui, avec une intensité telle qu’il ne pouvait l’ignorer : et maintenant ?
Cette décision de l’ignorer était ridicule. Et de plus, il n’allait pas passer sa vie à se réfugier dans ses quartiers pour se taper la tête contre les murs, dès qu’il la croisait ?
Jack s’assit sur son lit, rempli de dégoût pour lui-même. Il se pencha, ouvrit le tiroir de sa table de chevet et en sortit un paquet de cigarettes. Machinalement, il en retira une et commença à la faire rouler entre ses doigts sans l’allumer.
La seule solution décente qui lui restait était d’aller retrouver Carter, et de partager avec elle le fardeau de ses doutes, de ses incertitudes… et de ses peurs. Mais cette démarche lui coûtait horriblement, n’ayant jamais fait l’expérience de se dévoiler autant à un autre être, cette attitude rompant de beaucoup avec le personnage mi-comique, mi-sérieux, mais toujours mystérieux, qu’il s’était forgé au cours des années.
Au terme de plusieurs minutes d’un débat intérieur acharné où il se demandait ce qu’il allait faire, sa cigarette était devenu un curieux mélange froissé et torsadé de papier et de tabac. Et Jack venait de décider pour la quatrième fois qu’il allait immédiatement se lever et sortir de ses quartiers, quand un bruit familier lui fit sentir que quelque chose ne se passait pas tout à fait comme prévu. Il se raidit, fit valser la chose informe qui avait été autrefois une cigarette, et se remit dans sa position initiale.
- Entrez.
La porte de la chambre s’ouvrit au moment même où il achevait de recroiser ses mains sous sa nuque, adoptant par réflexe une attitude nonchalante et inexpressive. À force de porter un masque, celui-ci finit par faire partie intégrante de vous.
De mauvaise fois, il lança d’une voix menaçante alors que la porte se refermait :
- Walter, vous avez du culot ! Je vous rappelle tout de même que c’est encore à cause de vous que je n’ai pas dormi de la nuit !
C’était elle, il le savait. Mais ses lèvres s’étaient animées d’elles-mêmes, son esprit étant trop obnubilé par la présence de Carter dans sa chambre : il n’avait absolument pas envisagé qu’elle puisse décider d’aller jusqu’à l’y relancer. À cause de sa fierté, de sa timidité, de leur dernière… discussion.
Alors qu’il pensait cela, Carter s’avança vers lui et il fut marqué par une image qui lui parût au premier abord tenir plus de l’hallucination que de la réalité. Surtout si l’on considérait qu’il venait de la croiser, il y avait à peine quelques minutes. La lumière de sa table de chevet jouait délicatement sur les jambes de la jeune femme, ciselant dans des jeux d’ombre une matière qui ne pouvait être égalée par aucun tissu : la peau nue.
Jack faisait un effort de volonté pour détacher ses yeux de ce spectacle, quand ses pupilles se dilatèrent malgré lui : Carter venait de faire un nouveau pas en avant, se présentant légèrement de biais par rapport à lui, et Jack ferma un instant les yeux en constatant qu’elle portait une petite jupe en jean et pull largement échancré, dénudant joliment ses épaules. Quand il les rouvrit, son regard se posa sur le manteau qu’elle tenait dans sa main avant de revenir vers le haut, et il s’aperçût avec gêne qu’elle le regardait fixement.
Ils restèrent quelques secondes ainsi, dans un silence terriblement pesant. Un silence qui rendrait presque la perspective d’une activation non programmée de la Porte la bienvenue. Elle, le fixant sans ciller et lui, n’osant détacher les yeux de ce regard à l’intensité quasi-hypnotique.
- Monsieur, je veux quitter la Base.
Le visage de Jack se décomposa à vue d’œil. Partir ? Tout quitter ? À cause de lui ?
- Pardon ? Vous voulez démissionner ?
- Non, Monsieur, rétorqua-t-elle, un brin moqueuse. Je vous demande juste une perm.
Jack déglutit devant son sourcil haussé. Elle l’avait testé et il n’avait pas marché mais couru. Gêné par sa réaction des plus dénonciatrices, il se racla discrètement la gorge.
- Ah… Et puis-je savoir pour quel motif ?
Carter redressa la tête. La petite lueur d’amusement déserta aussitôt ses yeux et son regard changea, se faisant plus dur… tellement froid.
- La question est-elle d’ordre professionnel ?
S’il n’était pas déjà couché, Jack serait tombé à la renverse. Depuis quand possédait-elle autant d’assurance ? Enfin… avec lui ? Secouant mentalement la tête, il répondit rapidement, craignant que son silence ne devienne suspect :
- Oui, bien sûr. Vous venez juste de sortir d’un congé de cinq jours, il faut que votre motif soit sérieux pour en solliciter un autre.
Minable, misérable… pathétique. Sa bêtise le surprenait lui-même.
- Mon fiancé veut me faire visiter une maison qui pourrait bien devenir la nôtre. Les potentiels acheteurs sont nombreux et je ne veux pas rater cette occasion. Mon motif vous parait-il suffisamment sérieux ?
Son fiancé. Leur maison. Son avenir…
- Oui… bien sûr.
Le regard de Carter sembla s’adoucir l’espace d’une seconde. Peut-être avait-elle capté la pointe d’amertume qui filtrait dans sa voix ?
Jack en fut persuadé lorsqu’elle plissa les yeux en demandant :
- Donc, vous êtes d’accord ?
La question à un milliard de Dollars ! Jack serra les dents. Ce n’était pas le moment d’hésiter. Même si cela lui lacérait le cœur, il devait la laisser partir. C’était ce qu’il pouvait faire de mieux pour elle, alors :
- Oui… allez-y.
Acquiesçant de la tête, Carter se détourna à moitié mais ne put s’empêcher de chercher une dernière fois son regard, comme pour accorder une dernière chance au destin. Dans la semi obscurité, ses yeux se détachaient nettement du reste de son visage, et Jack n’aurait su dire ce que cette expression cachait : de la tristesse, des regrets ?… Ou plus simplement, de l’abandon ? Comme hypnotisé, il la regarda se retourner et accomplir avec décontraction quelques pas avant de disparaître.
Quand le silence eut gagné la bataille qui l’opposait au claquement sec de la porte, Jack se retrouva de nouveau seul. Seul avec des pensées qui insistaient pour lui fournir une compagnie dont il se serait bien passé. La scène n’avait sans doute pas duré plus de trois minutes –trois siècles pour lui–, mais elle lui avait laissé une étrange sensation d’amertume dans la bouche. Il avala à plusieurs reprises, essayant de s’en débarrasser, mais le goût persista. En désespoir de cause, il reprit sa position en chien de fusil, et ferma les yeux. Il se sentait fatigué, mais fatigué… Sans compter qu’une lourde tâche l’attendait : réussir à se persuader qu’il n’éprouvait pas de regrets et que, si l’occasion devait s’en représenter, il n’hésiterait pas à refaire ce qu’il avait fait. Lui, dont les jambes menaçaient à tout moment d’aller courir après elle !
- C’est sans doute mieux comme ça… marmonna-t-il à plusieurs reprises.
Il continua ses marmonnements un moment, puis, alors qu’il songeait à explorer plus en profondeur toutes les possibilités de la méthode coué, deux coups secs frappés à la porte lui rappelèrent instantanément dans quelle situation il s’était mis.
- Dois-je m’attendre à mourir ? murmura-t-il entre ses dents.
Et Dieu pense-t-il que la journée n’a pas été assez catastrophique comme ça et qu’il lui faut en rajouter ?
- Oui ? reprit-il plus fort cette fois.
En réponse, Carter entrebâillât la porte.
- En fait, Mon Général… Rouge ou bleue ?
Sa voix froide n’étonna nullement Jack ; il devra s’y habituer, de tout manière. Seule différence cette fois, Sam n’avait pas laissé transparaître de tristesse dans sa voix, seulement une froide distance qui ne valait certes pas mieux. Mais comme il ne comprenait pas le sens de ses paroles, il secoua la tête en fronçant les sourcils.
- Pardon ?
- La niche du chien…
Jack encaissa le coup le plus dignement qu’il put étant donné la force herculéenne et quasi-machiavélique de l’attaque. Il pensa une seconde à l’envoyer sur les roses, en se faisant un devoir de lui rappeler à qui elle s’adressait mais se ravisa ; c’était Carter.
- … Pourquoi pas verte ? se surprit-il à demander.
Le regard qu’elle lui lança lui glaça le cœur, comme si pour elle, le sous-entendu était d’une audace aussi inadmissible que risible. Ses yeux n’étaient pourtant ni froids, ni hautains… juste moqueurs. Infiniment cyniques.
- Le vert n’est plus d’actualité.
La porte se referma sur ces paroles définitives et sur la lumière du couloir, laissant Jack dans la pénombre à ressasser des idées moroses. Après tout, peut-être serait-il exagéré de dire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ?…
12. Cigarette froissée…
…
Sam sortit du Complexe de Cheyenne Mountain d’un pas raide, sans même s’en rendre compte. Ne réalisant même pas qu’elle n’avait pas mis son manteau, elle continua à avancer machinalement. Ses pieds lui donnaient l’impression d’avoir leur volonté propre, et il lui semblait qu’en s’attachant à leur mouvement, elle se débarrassait des pensées qui ne cessaient de l’assaillir pour la troubler. Un pas… Un autre… Et puis encore un autre…
Elle parcourut ainsi le parking et arriva à sa voiture. Cherchant ses clefs, Sam baissa les yeux et la pâleur de ses joues ne fut qu’un souvenir devant l’image qui se reflétait sur la vitre de la portière. Elle pleurait. Prenant véritablement conscience des grosses larmes qui inondaient ses joues à l’instant, une vague de sentiments divers déferla dans son cerveau, brisant la digue de protection érigée par son inconscient. Ce fut la gêne qui se manifesta en premier, puis la honte, et enfin la colère, qui envahit complètement son esprit. Elle se sentit vaciller légèrement et dut s’appuyer à sa voiture pour ne pas tomber. Elle avait accordé beaucoup trop d’importance à ce… ce… Ce quoi, au fait ?… Ce minable ? Ce trouillard ? Cet handicapé de l’amour ?
Il était tout cela oui… Sans doute…
Fébrilement, elle monta dans sa voiture. La colère et sa chaleur la quittaient doucement, lui laissant un immense sentiment de vide et de tristesse qui lui étreignait la poitrine. Elle savait bien, au fond de son cœur, qu’elle ne pensait pas un mot de tout cela : sinon, comment expliquer qu’elle aimait encore cet homme après huit années passées ensemble ? Elle essuya ses larmes d’un geste las.
Ces jours étaient passés tellement doucement. Cruel était le temps qui passait. Inexorable et inflexible, il pouvait aussi bien filer comme le vent qu’hésiter à se rendre. Et pourtant, rien ne pouvait le modeler et le fait de n’avoir aucune emprise et sur lui, la rendait folle.
Ce qui l’avait le plus blessée était l’indifférence et la nonchalance dont il avait fait preuve tout au long de ces deniers jours. Soit il voulait d’elle, soit il ne voulait pas, mais qu’il laisse un signe de ses sentiments, au moins… Mais après tout ce qui s’était passé entre, après sa quasi-déclaration de l’autre soir et la manière burlesque dont il l’avait rejetée, il n’avait finalement rien fait pour clarifier la situation. Au contraire, il s’entêtait à mettre le plus de distance possible entre eux. Plus qu’impossible, cela devenait pathétique. Aussi, avait-elle décidé d’abandonner, se disant qu’il ne voulait simplement pas d’elle.
Elle se revoyait, debout, cherchant désespérément quelque lueur dans le regard si beau et pourtant si vide qui la fixait sans ciller. Elle avait fini par partir, non sans se retourner une dernière fois cependant ; mais la chance qu’elle offrait n’avait pas été saisie. Sam tiqua intérieurement. Dans ses souvenirs, un objet lui apparaissait vaguement, auquel elle n’avait pas accordé d’importance sur le coup, mais qui avait accroché son regard lorsqu’elle s’était détournée, pour partir.
Un souvenir revenant brusquement, Sam sentit son cœur faire une vive embardée. Si l’objet correspondait bien à ce que son intuition lui soufflait, elle… elle était perdue. Car c’était sans doute l’un des seuls signes tangibles de nervosité qu’ait témoigné celui qui semblait ne pas avoir de nerfs : une simple cigarette froissée.
Elle ne comprenait plus rien… Elle se souvenait que lors de l’une des soirées de SG-1, à l’époque, qui s’était déroulée chez Jack, elle revenait de la cuisine lorsqu’elle surprit une conversation entre l’archéologue et lui. Daniel était apparemment tombé sur un paquet de cigarettes et naturellement, il s’était fait un devoir de bombarder O’Neill de questions, l’alcool aidant. Bien sûr, O’Neill, agacé, l’avait sommé de baisser le ton et avait juste répondu à l’accusation : "Je ne fume plus depuis longtemps mais quelques fois… ça m’aide d’avoir une cigarette entre les mains. Chacun ses trucs et je n’ai pas forcément envie que tout le monde le sache !". Elle ne savait pas pourquoi mais Sam avait tout de suite compris que le "tout le monde" en question, c’était elle.
Et maintenant, alors qu’elle les pensait vaincus, tous ses espoirs étaient dirigés vers cette minuscule chose froissée, dans la chambre du Général. Sam secoua la tête en se sermonnant… En ce moment, elle avait un peu trop tendance à chercher midi à quatorze heures et à ne pas se satisfaire des explications simples ; c’était un défaut qu’elle allait devoir surveiller. Surtout qu’elle pressentait que ce défaut n’aurait pas à attendre longtemps avant d’avoir l’occasion de ressurgir…
Sam se pinça les lèvres puis soupira.
- Oublie-le et cherche plutôt à quoi tu vas occuper ta journée, ma p’tite !
13. Rentrez, Carter…
…
- Allô ?
Et zut ! Ça commençait très mal…
- Bonsoir. Est-ce que Carter est là ?
- Sam ? Mais qui la demande ?
- C’est… le Général O’Neill.
- Ah Général ! Comment ça va depuis la dernière fois ?
À ce souvenir peu réjouissant, Jack grimaça en répondant :
- Bien, merci. Et cette maison ?
- Quelle maison ?
- Vous n’aviez pas une maison à visiter ?
- Non… Enfin, pas à ma connaissance…
Fronçant les sourcils, O’Neill enregistra l’information dans un coin de son esprit. Conscient qu’il venait peut-être de commettre une gaffe, il lança :
- Ah ! J’ai dû mal comprendre alors…
- Oui, sûrement… rétorqua Pete, soupçonneux… Il y a un problème ?
- Oui, j’ai be… nous avons besoin de Carter, se rattrapa O’Neill. Est-ce qu’elle est là ?
Etrangement, un silence se fit au bout du fil, puis Shannahan soupira :
- Oui, elle est là, je l’appelle… Sam !
- Oui ?
- Il y a ton supérieur qui te demande au téléphone, chérie…
- … Jack ?! s’exclama Carter, asséchant la gorge de celui-ci.
- Quoi ? Tu l’appelles par son prénom, maintenant ?
La voix de Carter se fit embarrassée :
- Non, bien sûr que non, mais je suis à moitié endormie…
- Ouais… capitula Shannahan. Tiens.
Après quelques secondes, la voix de Carter résonna enfin aux oreilles de Jack et inévitablement, son cœur qui s’était figé dans l’attente, se remit à cogner hargneusement contre sa poitrine. Voilà. Il ne pouvait plus reculer.
- Mon Général ?
- Bonsoir.
- Oui, bonsoir… Désolée pour le…
- … Ce n’est rien.
- Merci, dit-elle d’une voix neutre. Alors ? Qu’y a-t-il ?
Jack resta un instant silencieux, la main crispée sur le téléphone.
- Je… Carter, je voulais vous dire…
- … Quoi ?
O’Neill se gratta la tête, freiné par le ton froid de sa subordonnée.
- Shannahan est dans la pièce ? demanda-t-il, finalement.
- Oui… répondit Carter, apparemment surprise par la question.
- Vous êtes visible ?
- Euh… oui…
O’Neill fit un petit geste de la tête, satisfait par cette réponse.
- Mettez une veste et montez à la terrasse, s’il vous plait…
- Mais pourquoi ?
- Allez-y, vous verrez bien…
- … D’accord.
Super ! Se félicita O’Neill. Il arriverait sans doute mieux à s’exprimer si son esprit n’était plus agressé par la vision de l’Autre à quelques mètres d’elle.
- Et merde ! jura-t-il soudain.
Manquait plus que ça…
- … Mon Général ? Un problème ? réagit aussitôt Carter.
- Non, non, rien… désolé… Pensez juste à prendre un parapluie…
Après quelques secondes durant lesquelles Jack s’efforça de reprendre contenance et de se préparer au ton "peu amical" de Carter, la voix de celle-ci retentit de nouveau :
- J’y suis… commença-t-elle. Il pleut !… Comment avez-vous su ?
- Allez à la rambarde et regardez à votre gauche.
Se calant plus confortablement contre la coque froide de sa voiture, O’Neill aurait pu juré qu’elle avait haussé les sourcils en faisant une moue dubitative, à cette requête. C’était étrange comme impression…
- Mais c’est vous ! s’écria-t-elle, le sortant de son analyse.
- Gagné, répliqua O’Neill tandis qu’il discernait enfin la silhouette de la jeune femme.
Pourquoi ne pas lui avoir tout simplement demandé de descendre, déjà ? Ah oui… mieux valait combattre une centaine de soldats armés jusqu’aux dents plutôt que d’affronter les yeux de Sam. Peur d’y voir encore cette lueur… Peur de perdre ses moyens face à une Carter des plus glaciales… Pathétique.
- Mais abritez-vous dans la voiture, vous allez finir complètement trempé !
À ces mots, Jack esquissa un petit sourire tandis qu’une vague de chaleur gagnait son corps, contrastant avec l’eau glacée qui percutait sa peau. C’était si peu, et pourtant…
- Quelle importance ? dit-il en haussant les épaules. Je le suis déjà.
- Vous voulez attraper la crève ou quoi ?
Toujours à s’inquiéter, hein, Carter… Les vielles habitudes avaient la peau dure…
- Non, je veux que vous rentriez à la Base…
- Hein ? Rentrer à la Base ? Un problème avec la Porte ?
Un problème avec mon cœur, plutôt ! Fut tenté de répondre O’Neill. Il resta un moment silencieux. Mais après tout, pourquoi ne pas jouer cette carte ? Il n’aurait qu’à demander à Siler de le couvrir, et…
- Mon Général ? appela Carter d’une voix légèrement inquiétée.
O’Neill secoua la tête, furieux contre la tournure qu’avaient prises ses pensées. Il avait tellement pris l’habitude d’emprunter des chemins détournés qu’il se sentait reculer face à la ligne terriblement droite qui s'étendait devant lui.
- Non ! Non… tout va bien de ce coté là, la rassura-t-il. Ma requête est plutôt d’ordre… personnel…
- J’ai le droit de refuser dès à présent, dans ce cas ? rétorqua immédiatement Carter.
Jack soupira silencieusement, le cœur serré.
- Vous n’allez pas me faciliter la tâche, on dirait…
- J’attends que vous vous expliquiez, Monsieur… Que me voulez-vous ?
- Ecoutez, Carter… J’ai dit à votre fiancé que j’avais besoin de vous à la Base, alors rentrez, s’il vous plait…
- Pas avant d’avoir su pour quel motif.
Allez, Jack… Un peu de franchise ! Cela ne devait pas être si difficile…
- Je ne veux pas que vous restiez chez vous.
Minable. C’était vraiment minable.
- Pourquoi ?
- Parce que lui, y est.
Beaucoup mieux, se félicita-t-il.
- Et alors ?
Comment ça "et alors ?". Elle avait décidé de le tuer ou quoi ?
- Alors je ne veux pas que vous restiez avec lui ! s’agaça-t-il, jugeant que la réponse était évidente.
- Je ne comprends toujours pas. Pourriez-vous préciser ?
Non de Dieu ! Elle voulait le faire tourner en bourrique !
- C’est simple : je n’aime pas ce type !
À ces mots qui avaient littéralement brûlé sa gorge tant ils furent durs à prononcer, Carter répliqua par un petit rire cynique qu’il reçut comme une gifle. Pire… un coup de poignard. Il savait qu’elle avait deviné pourquoi il était là, qu’elle avait entendu le "Je vous veux rien qu’à moi" dissimulé dans ses propos, tant il l’avait pensé fort. Et cela était d’autant plus douloureux.
- Quelle importance ? railla-t-elle… À ce que je sache, ce n’est pas vous qui allez l’épouser, c’est moi !
O’Neill ferma les yeux afin de maîtriser un léger vertige. En prenant la décision de se mettre enfin à nu devant Carter après son douloureux "Vous avez gagné. J’abandonne…", il ne savait pas trop à quoi il s’était attendu de la part de cette dernière. Mais il s’était plus ou moins persuadé qu’elle ne réagirait que de deux manières possibles : soit l’accepter, soit le rejeter. Mais en aucun cas, il ne comprenait ce que venait faire ici cette voix teintée d’insouciance, qui lui paraissait singulièrement déplacée. Pourquoi lui rendait-elle la tâche encore plus dure ?… Ne comprenait-elle donc pas que son amour pour elle était à la mesure des efforts qu’il avait dû concéder pour venir la trouver ?
- J’ai l’impression de parler à un mur… laissèrent échapper ses lèvres avant même qu'il ne s'en rende compte.
Aussitôt, Carter répliqua d’une voix pleine de rancœur :
- Et ça ne vous rappelle personne ? Vous voyez ce que j’ai dû endurer alors !
Ressassant mentalement les évènements des derniers jours, Jack sentit son cœur se serrer tandis que tous ses reproches à l’égard de la jeune femme lui revenaient violemment au visage. Pauvre Carter… Il ne l’avait vraiment pas épargnée. Jack ferma les yeux, conscient que ses doutes menaçaient de refaire surface à la moindre occasion ; mais pour elle, il serait assez fort pour les affronter.
- … Répondez à une seule question, s’il vous plait, reprit-il. Aimez-vous Pete au point de vouloir partager le restant de vos jours avec lui ?
La question demandait-elle vraiment réflexion ? S’interrogea O’Neill, légèrement affolé par le mutisme de sa subordonnée. Le front brûlant, il avait l’impression d’étouffer. Cette sensation, il la connaissait. Il était tout simplement terrifié. Terrifié à l’idée qu’il avait laissé passer sa dernière chance. Terrifié à l’idée qu’elle lui reproche de venir lever le rideau après l’avoir lui-même lâchement baissé.
- Je sais que Pete donnerait tout pour mon bonheur, souffla finalement Carter… Et cela me suffit.
Trop soulagé pour se rendre compte du coté "moralisateur" de ses mots, Jack lança :
- Je trouve que c’est un discours plutôt fataliste pour une future mariée…
- Et qu’est-ce que ça peut vous faire ? s’écria Carter. Je croyais pourtant que vous vous en fichiez ?!
Elle n’avait vraisemblablement pas apprécié, pressentit justement le Général. Il ne savait pas comment il parvenait toujours à la mettre dans cet état, alors qu’il aurait aimé avoir un échange plus agréable avec elle. Son regard se voila. Il culpabilisait. Afin de l’apaiser, il souffla de sa voix la plus sincère :
- Vous savez très bien que c’est faux.
- Et bien, vous avez une drôle de manière de le montrer !
Touché…
Ayant parfaitement conscience que la colère de Carter était plus que justifiée, Jack serra les dents et baissa les yeux, comme si de là où elle était, la jeune femme pouvait y lire son émotion. Encore un vieux réflexe, sans doute…
- Effectivement, trancha-t-il. Surtout si l’on tient compte du fait que je vous ai littéralement poussée dans ses bras…
- Avec un sourire de connivence qui plus est !
Jack se permit un petit sourire, mêlant ironie et amertume.
- … Il faut m’excuser, Carter. Je jure que je croyais bien faire…
- En vous bouchant les oreilles et en fermant les yeux ?
Seul le silence répondit à cette remarque. Car c’était exactement ce qu’il avait fait. Après des années passées à renier ses sentiments, il avait eu peur d’être cet homme qui lorsque se croyant enfin prêt, se jetait à l'eau, se noyait parce qu’il avait oublié d’apprendre à nager ; coulait parce qu’il ne pensait pas avoir besoin de bouée. Mais aujourd’hui, il ne désirait nullement être cet autre, celui qui, par peur de respirer, souhaitait rester sous l'eau. Jack se serait étouffé, car Carter était son oxygène à lui.
14. Un ennemi dans la police…
…
- Vous m’en voulez beaucoup ? demanda-t-il, doucement.
- Le mot est faible…
- … C’est justifié.
- Je le sais.
- Alors, vous laissez vraiment tomber ?
- J’ai tendu la main mais vous n’avez cessé de la repousser. Je crois que je n’ai pas vraiment eu le choix.
Non, se dit Jack en sentant de nouveau le doute l’envahir, cela ne pouvait pas se terminer comme ça. Ce qui les liait ne s’effaçait pas si facilement.
- Cela ne vous a pourtant pas empêchée de m’en tendre encore une autre, lança-t-il, puisant dans ses dernières pensées une nouvelle assurance.
- … De quoi parlez-vous ?
- Il n’a jamais été question d’une quelconque maison.
Il y eut un silence tendu, mais cela dit vite rompu par la voix sèche de Carter.
- Tant pis pour vous, mais je ne suis pas assez folle pour recommencer…
- J’ai été lâche, je sais…
- Oh ! J’ai l’habitude, maintenant !
Jack serra les dents, se répétant que faire profil bas restait la meilleure attitude à adopter. Mais son cœur aurait-il assez de force pour chasser le brouillard qui l’enserrait et réussir à faire éclater le mur que Carter avait érigé autour du sien ?…
Il fut le premier surpris lorsque ses paroles franchirent sa gorge :
- … Vous devez me détester ?
Une seconde… Une autre… Encore une autre… Avait-elle conscience que son silence était un véritable supplice ?
- Carter ?
- J’aimerais tant, mais…
O’Neill sentit aussitôt une boule se former au fond de sa gorge.
- … Mais ? répéta-t-il, l’encourageant à poursuivre.
- Vous savez très bien que même si je le voulais, je ne pourrais pas.
Jack ne put réfréner un soupir de soulagement. Cela pouvait paraître idiot mais jamais il n’avait connu ce sentiment, cette sensation de se sentir apprécié, aimé pour ce qu’il était vraiment. Cette jeune femme, malgré le fait qu’elle connaissait tout de son histoire, de ses tourments, n’avait pourtant toujours pas pris ses jambes à son cou et ne l’avait pas fui. Et aujourd’hui encore… elle le lui rappelait.
- Ah… dit-il seulement.
- Vous voulez me faire croire que vous en doutiez vraiment ? demanda Carter, dubitative.
- Mais non, mais non… ironisa O’Neill. Je sais parfaitement que vous êtes complètement dingue de moi !
Désireux de retrouver un brin de légèreté ou de complicité entre eux, Jack avait prononcé ces paroles sur un ton volontairement suffisant, conscient qu’elle ne manquerait pas d’y réagir. C’était l’une des choses qu’il savait le mieux faire.
- Vous vous emballez un peu vite, j’ai juste dit que je ne vous détestais pas… lança Carter, un sourire dans la voix.
- Ciel ! s’exclama O’Neill… Me serais-je donc fait des idées quant à la façon peu équivoque dont vous me regardiez, l’autre soir ?
Mais seul un silence prolongé répondit à ce dernier, lui faisant aussitôt regretter ses propos. Son esprit s’affairant déjà à se traiter de tous les noms, il se figea puis un énorme sourire étira ses lèvres tandis que Carter marmonnait malicieusement :
- … Macho !
- Attention, Colonel, vous frisez l’insubordination !
- Mais je m’en fais un devoir, Mon Général !
À ces mots emprunts d’une complicité retrouvée, Jack ne put s’empêcher de rire doucement, le cœur gagné d’une étourdissante chaleur. La pluie avait cessé depuis un bon moment déjà mais l’homme aux cheveux ruisselants ne s’en rendit même pas compte. Ne comptait plus pour lui, que cette voix chaude aux vibrations tellement aimées, qui arrivait encore aujourd’hui à s’attendrir de lui. Carter…
- Pourquoi suis-je aussi faible avec vous…? dit-il d’une voix si basse qu’elle se fit un murmure.
Ces paroles eurent pour seul écho, un paisible silence… Puis, une voix résonna jusqu’au fond de son cœur, la faisant vibrer.
- C’est ma chance.
Ces mots, si simples et pourtant si saisissants, glissèrent sur Jack comme une doucereuse caresse. Profitant du silence complice qui vint les envelopper de sa quiétude, ils restèrent songeurs un instant, puis la voix de Carter résonna :
- Et Kerry, alors ?
- Quoi, Kerry ? rétorqua Jack en grimaçant.
- Mon Général, ne vous faites pas plus bête que vous ne l'êtes…
Jack soupira doucement.
- Kerry m’a plaqué juste après vous avoir rencontrée, Carter.
- Elle a… Oh ! bredouilla Carter… Mais… pour quelle raison ?
Le ton de sa dernière phrase fit sourire Jack. Sacrée Carter !
- Vous ne devinez pas ?
- Cela ne me réussit pas trop, en ce moment…
Jack sourit. Elle avait parfaitement deviné mais préférait l’entendre de sa bouche. Soit… Si c’étaient de certitudes dont elle avait besoin, il les lui donnerait.
- Elle m’a juste dit, je cite : ce genre de regards là a un nom, Jack. Et je ne pourrais jamais rivaliser contre ça…
- Waouh… souffla Carter.
- C’est marrant, c’est exactement ce que j’ai dit…
- On ne peut pas lui reprocher d’être directe.
- Et perspicace, aussi, renchérit Jack.
Ce dernier serra son téléphone entre ses mains, priant pour que sa piètre "déclaration" suffise à Carter. Après un court silence, la voix hésitante de celle-ci résonna de nouveau, coupant court à ses espoirs :
- Mon Général, j’avoue que je ne comprends pas bien… Pourquoi me dites-vous tout cela, maintenant ? Enfin, je veux dire… qu’est-ce qui a changé depuis ce matin ?
- Je me suis souvenu… lâcha-t-il d’une voix rauque.
Un léger pincement lui étreignit le cœur mais Jack s’efforça de l’ignorer. Disons-le franchement, il était totalement inapte dans le rôle de l’amoureux transi. Tout cela le bloquait. Il n’avait jamais supporté le fait de se découvrir et décidemment, cela n’allait pas en s’arrangeant… Les mots, très peu pour lui ; les actes, oui ! Si elle avait été en face de lui, il aurait au moins pu l’enlacer avant de poser ses lèvres sur les siennes dans un baiser grisant. Mais là… il était coincé.
- Vous vous êtes souvenu… mais de quoi ?
Ah Samantha… Que lui devait-il ? Plus que sa survie, c’était l’espoir même qu’il lui devait. Ce sentiment sans lequel le devoir l’aurait rendu acharné. Ce sourire qui avait su rendre sa culpabilité moins impitoyable. Ses yeux qui avaient pu empêcher les honneurs de le rendre orgueilleux. Elle avait donné de la valeur à une vie qu’il pensait inutile… Alors pourquoi ne pas lui dire tout cela ?
- … De ce qui fait que je n’ai jamais pu abandonner, Carter. De ce qui fait que, même à l’autre bout du monde, je ne cesserais sans doute jamais de m’inquiéter pour vous. Alors je me dis que si vous non plus n’êtes pas parvenue à oublier… à m’oublier… Euh, Carter, vous êtes toujours là ?
- … Continuez, s’il vous plait… dit-elle d’une voix tremblante.
Devant son émotion, la main de Jack se serra sur son téléphone. Il murmura :
- … Je me dis qu’il serait peut-être temps que j’ose enfin vous dire qu’aujourd’hui plus que jamais… je ne veux plus continuer à nier, à me mentir, à me cacher derrières de fausses excuses. Qu’au contraire, tout ce que je veux, c’est…
Jack se tut, espérant formuler la réponse que Sam espérait.
- … C’est ? répéta-t-elle fébrilement.
- Je veux… gagner le droit de m’inquiéter pour vous… pour la vie, Carter.
Jack avait fermé les yeux, le sang bourdonnant à ses oreilles. Cette boule au ventre… Cette angoisse… Cette peur. Plus que son avenir, c’était sa vie qu’elle tenait entre ses mains ; et il en avait parfaite conscience. Comme toujours dans de pareils moments, Jack s’appuya sur l’ironie, ne disposant d’aucun indice sur l’état d’esprit de l’objet de ses tourments…
- Carter ? appela-t-il d’une voix légère… Je vous ai assommée ?
- Non ! s'écria vivement celle-ci.
Etait-ce un rire ou un sanglot qu’il perçut dans sa voix ?… Les deux peut-être.
- Non… Je crois juste que vous venez de vous faire un ennemi dans la police.
Doutes… inquiétudes… angoisses… À ces mots prononcés d’une émotion grisante, tous ne furent qu’un lointain souvenir. Et malgré le fait que celui-ci cognait à se rompre dans sa poitrine, son cœur n’avait jamais été aussi apaisé… Jack venait de gagner la plus importantes de toutes les batailles qu’il ait eu à livrer : celle de l’amour.
- Mais rien ne saurait me faire plus plaisir, Carter… sourit-il. J’en frémis d’avance…
Doucement, le parapluie de Carter resté inutilement ouvert, s’abaissa.
- Hem hem, je ne sais pas… répliqua celle-ci, lui faisant hausser les sourcils. Je me dis que je devrais plutôt le ménager pour l’instant… Après tout, avec ces militaires, on ne sait jamais !
- Carter !! s’outragea O’Neill.
L’enveloppant de sa légèreté, un éclat de rire lui répondit et Jack se dit bêtement que jamais son n’avait résonné aussi délicieusement à ses oreilles.
- Détendez-vous, voyons… plaisanta Carter. Je voulais juste être sûre…
- Argh ! Ça m’apprendra à vous contrarier ! Je sens que vous allez m’en faire baver !
- Et vous n’avez encore rien vu ! répliqua Sam, un sourire dans la voix.
O’Neill se surprit à se mordre la lèvre inférieure, un sourire béat sur les lèvres…
- J’ai vraiment hâte d’y être… murmura-t-il d’une voix rauque.
- … Moi aussi.
- Est-ce que cela veut dire que vous venez ?
Sam eut un petit rire.
- Carter ?
- Il est de notoriété publique que j’adore me balader dans les rues désertes en pleine nuit… lança-t-elle. Surtout en aussi bonne compagnie…
Ouvrant la bouche pour la refermer aussitôt, O’Neill écarquilla les yeux, pantois.
- Vous étiez réveillée !!
- J’arrive !
15. L’indésirable derrière nous…
…
Refermant la portière de la voiture d’une main tremblant d’impatience, Sam abaissa doucement sa capuche et secoua ses boucles blondes tout en se débarrassant de son manteau. Elle se tourna ensuite vers Jack, un sourire indélébile sur les lèvres…
- Hello, Car… commença ce dernier avant de se figer. Waouh…
Transpercée par cette voix si délicieusement grave, Sam intercepta le regard fiévreux de son supérieur et son cœur s’emballa. Cette lueur, elle n’avait pas eu l’occasion de la voir souvent mais quand elle la surprenait, elle se sentait à chaque fois défaillir.
Un peu gênée par son étourderie, elle lança :
- Désolée, Mon Général, je…
- Jack…
Elle ne put retenir un sourire.
- Désolée, Jack… Je n’ai pas pensé à me changer…
Cela faisait la deuxième fois qu’elle plantait son fiancé en plein dîner pour aller rejoindre Jack… réalisa-t-elle. Mais cette fois-ci, pas d’inquiétude, pas d’angoisse… juste une folle impatience. D’être enfin près de lui… de pouvoir enfin le toucher.
À se fixer ainsi sans rien dire, la situation aurait pu même lui paraître comique si son cœur ne lui arrachait pas la poitrine en cet instant.
- Il n’y a vraiment pas de quoi… finit par lâcher O’Neill. Vous êtes superbe…
Rougissant sous le compliment, Sam secoua doucement ses boucles blondes, mais le regard que Jack lui lança alors la figea. Ses yeux reflétaient en cet instant tout l’amour qu’il lui portait et elle se sentit minuscule face à ce débordement inhabituel chez lui. Intimidée, elle essaya d’adopter un ton badin.
- C’est drôle, j’ai l’étrange impression de faire une fugue…
Une lueur sombre brilla soudain dans le regard d’O’Neill.
- Il est encore temps de faire marche arrière si vous regrett…
Posant une main assurée sur la nuque de l’homme qu’elle aimait, Sam l’attira à elle et déposa doucement ses lèvres sur les siennes, désireuse de faire taire ses doutes. Le cœur cognant de l’entendre gémir contre sa bouche, elle frissonna tandis qu’il faisait glisser sa paume froide sur sa joue brûlante. Regretter ? Oh non, elle ne regrettait pas… Elle avait enfin tout ce qu’elle avait toujours voulu. Elle avait Jack O’Neill.
- N’y pensez même pas, chuchota tandis qu’elle se détachait doucement, les yeux brillants.
Mais Jack ne bougea pas d’un pouce et continuait à la fixer du regard, lèvres entrouvertes. Il semblait ailleurs et pourtant si proche à la fois. Ses cheveux s’entremêlaient et se collaient à son front, lui donnant l’air d’un adolescent, contrastant avec ses habits humides qui moulaient délicieusement son torse.
Sam sentit son corps répondre à un besoin primaire. Elle avait besoin de lui, avait envie de lui, et elle en oublia toutes ses craintes. Elle tendit sa main vers ses cheveux et remit l’une de ses mèches rebelles en place ; pas de mal être, aucun malaise, juste guidée par la tendresse et l’amour qu’elle éprouvait envers cet homme.
Qu’il est beau ! se dit-elle avec émotion. Il était rare de le voir ainsi, Sam en était consciente. Tantôt sérieux ou avec son air sarcastique, elle n’avait jamais eu l’occasion de le voir si reposé… serein.
- Jack ? appela-t-elle, doucement.
- Euh… Oui ?
- Quelque chose ne va pas ?
- De quoi ? Non rien.
Sam soupira, il n’avait pas l’habitude d’ouvrir son cœur, pourquoi le ferait-il tout d’un coup ?… Mais sa façon de la regarder en ce moment précis, il y avait un je-ne-sais-quoi dans ses yeux qui la troublait plus que de raison. Sachant à l’avance qu’il ne parlerait que s’il l’entendait ainsi, elle prit le parti de faire diversion. Elle aussi devenait Maître en la matière…
- Vous ne changerez jamais.
- C'est à dire ?
- On ne peut jamais savoir à quoi vous pensez.
- Cela vaut peut être mieux… répondit-il, mystérieux
Et voilà ! Comme d’habitude donc ! pensa Sam. Mais elle ne s’en plaignit pas ; autant d’années à vivre près lui, elle le connaissait depuis le temps. Elle lui sourit, amusée. Ces détails, pourtant importants à son cœur, n’entacheraient pas une si belle soirée et sa bonne humeur actuelle. Elle dégagea doucement sa main de celle de Jack et ramena ses genoux sur sa poitrine.
Rien n’aurait pu la préparer à ce qu’allait dire Jack.
- Je sais que je ne suis pas quelqu’un qui se confie beaucoup. Depuis tout ce temps, vous devriez le savoir…
- Ce n’était pas une accusation ! se justifia-t-elle prestement.
- Pourtant vous êtes celle qui en sait plus que quiconque, dit-il d’une voix songeuse et grave… Vous voudriez savoir à quoi je pense là, maintenant, tout de suite ?
- Euh… oui.
La voix de Sam se mua en un murmure tant le sujet de cette discussion lui parut surnaturel. Et devant le sourire qui étira les lèvres de Jack, son cœur s’affola.
- Je suis heureux… murmura-t-il. Je suis vraiment heureux…
Frémissant sous ces paroles, les lèvres de Sam s’étirèrent malgré elle en un sourire éblouissant, rayonnant. Les yeux brillants d’émotion, elle eut alors l’impression étrange de se perdre totalement dans le beau sourire de l’homme tandis qu’une myriade d’émotions affluait en elle, la bouleversant. « Je suis vraiment heureux… ». Avait-elle jamais entendu quelque chose de plus beau ?
Dieu, ce qui les liait était si fort ! En les voyant à l’instant, noyés dans le regard l’un de l’autre, qui aurait pu dire que ce beau cadeau du ciel qui lui donnait l’impression d’avoir des ailes, avait aussi longtemps enfermé leurs coeurs en cage ?
À cette pensée, Sam leva une main vers lui et la glissa tendrement sur sa joue…
- Et maintenant…? murmura-t-elle tandis qu’il fermait les yeux sous la caresse.
- Maintenant, on va pouvoir avancer… et dans la même direction, surtout.
Les yeux toujours clos, il avait prononcé ces derniers mots avec un sourire en coin, conscient de l’effet qu’ils auraient sur elle. Alors elle sourit et profita de cet instant pour admirer en toute quiétude ce visage tant aimé.
- Non… enfin oui… Mais je voulais dire… comment allons-nous faire ? Pour la Base et tout le…
Aussitôt, Jack ouvrit les yeux et lui envoya un regard faussement agacé.
- Rahhh, Carter ! Sam… reprit-il. On pensera à ça en temps voulu ! On sait tout les deux que le problème n’a jamais été là.
Le cœur cognant à la certitude que plus rien ne viendrait se mettre en eux, Carter esquissa un sourire entendu puis une lueur malicieuse brilla au fond de ses yeux bleus ; lueur qui sembla de suite attiser la curiosité de son Supérieur.
- Quoi ? souffla-t-il avec un sourire charmeur.
- Non, rien… C’est juste que ça fait drôle de vous entendre dire ça…
L’œil brillant, O’Neill haussa les épaules en faisant une légère moue. Aussitôt, Sam sentit un feu nouveau irradier en elle. Sa carrure, sa prestance, son aura charismatique l’envoûtaient.
- Je vous ai apporté ça… Il est à Marc… lança-t-elle, désireuse de faire baisser la tension dans son corps. Je ne tiens pas à ce que vous preniez froid… Cela tomberait vraiment mal…
Ne se rendant compte de l’ambiguïté de ses propos qu’après les avoir prononcés, Sam sentit le rouge lui monter aux joues, ses mains se crispant sur le vêtement qu’elle tendait vers Jack. Un sourire amusé sur les lèvres, ce dernier frôla volontairement sa main en se saisissant du pull et son regard se fit chaud, faisant presque bouillir le sang de la jeune femme dans ses veines.
- Je vois… s’amusa-t-il sur un ton faussement vexé. Vous ne faites que protéger vos intérêts, quoi !
Alors que Sam passait de rouge à pivoine, affichant une mine outrée, Jack se pencha sur elle, étouffant ses prochaines protestations d’un baiser plein de promesses.
Puis, sans plus de cérémonie, il se débarrassa du tissu trempé qui collait sa peau en s’ébouriffant les cheveux, dévoilant son torse viril. Malgré elles, les lèvres de Sam s'entrouvrirent à cette vision, encore envoûtées par le baiser d’O’Neill.
Et irrémédiablement, des images plus grivoises les unes que les autres, agressèrent son esprit fiévreux, lui arrachant un soupir tremblant. Secouant mentalement la tête afin de s’arracher à ce spectacle, Sam releva les yeux et déglutit péniblement face à l’homme dont le regard pétillait soudain d’un éclat insoupçonné. Les joues roses et le cœur cognant, elle murmura :
- Quoi ?
O’Neill pencha la tête sur le coté, un sourire irrésistible au coin des lèvres. Ciel, avait-il seulement conscience qu’il était diablement sexy dans cette posture ?
- Minnesota, ça vous dirait ?
Sam eut l’impression qu’il venait de songer à ça à l’instant et, devant cette proposition inattendue mais tellement désirée, son premier réflexe fut de… reculer.
- Quoi, maintenant ?! s’écria-t-elle, instinctivement. Vous parliez pourtant de rentrer à la Base…
Ciel, le Minnesota ! Lui, elle, seuls dans son chalet. Le fantasme devenait réalité…
- Vous avez quelque chose contre les surprises ? demanda O’Neill en faisant une petite moue.
- Non, sourit Sam en secouant la tête. C’est juste que je n’ai pris aucune affaire…
Ces paroles semblèrent rassurer O’Neill qui répliqua aussitôt :
- Ce n’est pas le plus important tant que vous avez laissé l’indésirable derrière vous…
Intriguée par l’étrange sourire qui appuya ces paroles, Sam fronça les sourcils.
- De quoi parlez-vous ?
- … Votre bague.
Un sourire tendre apparut sur le visage de Sam et elle rit doucement, émue. Comment un tel amour était-il né serait bien difficile à expliquer ; peut-être n’était-il même pas né ; peut-être qu’après avoir parlé maintes fois ensemble, sans penser réellement l’un à l’autre, un beau jour, un jour merveilleux, leurs regards s’étaient inconsciemment retrouvés soudés par la même émotion…?
- Quelque chose me dit que je ne m’en lasserai jamais… retentit une voix grave, près de son oreille.
- Et tu n’auras pas intérêt !
…
Eh bien, tout ça promettait d’être… explosif !
Fin.