Carolina en savait un peu plus sur cette équipe exceptionnelle. Elle espérait que le colonel serait un peu plus bavard que la dernière fois. Mais elle avait une petite idée pour le faire parler.
O’Neill entra dans la pièce et resta debout la regardant tranquillement. Elle lui fit signe de s’asseoir :
-Colonel, parlez-moi de Samantha Carter.
-Le major ?
Elle sourit, il avait lâché un mot. Devant son sourire il rit :
-Vous m’avez bien eu là, docteur !
-Parlons sérieusement colonel, pourquoi êtes-vous si réticent à parler de vous ?
-Je suis un homme d’action, pas de parlotte.
Elle tiqua au mot parlotte
-Il faudra pourtant bien que vous me parliez de vous.
-Franchement docteur, quel est l’intérêt ? Je suis un homme de terrain. Si vous voulez me connaître, venez en mission avec nous. Vous en apprendrez certainement beaucoup plus sur moi.
-J’y pense colonel. Cependant j’aimerais que nous ayons une petite conversation, ne prenez pas ça pour un examen psychiatrique.
-C’est pourtant ce que vous faites, chacun de mes mots va être disséqué.
-Certainement, et ça vous inquiète ?
-Oui et non. Je ne suis pas très doué pour parler, mais si je ne traduis pas ma pensée correctement, vous allez mal interpréter ce que je dis.
-Vous savez, colonel, peu importe les mots. Je n’attache pas trop d’importance à ce qui est dit, mais plutôt à la manière dont c’est dit… ou non.
Il sourit :
-Si j’ai bien compris je vous ai appris beaucoup de chose sur moi en me taisant.
-Vous avez tout compris colonel.
L’ambiance était nettement meilleure que la fois précédente. Carolina sentait le colonel plus détendu. C’est elle qui ne l’était pas. Elle se donnait des faux airs de tranquillité qui ne le trompa pas.
-Vous allez bien docteur French ?
-Oui ça va mentit-elle, puis après un instant, vous êtes très perspicace O’Neill et beaucoup plus intelligent que je pensais.
-Ça fait partie de mon boulot de voir ces choses. Si quelqu’un n’est pas bien je le vois tout de suite, c’est peut-être la frontière entre la vie et la mort ce genre de détails.
-Parlez-moi de Sam, reprit-elle.
-Sam, pourquoi ?
-Je vous écoute.
Il redit à peu près les mêmes mots que Daniel. Mais elle ne s’y trompa pas. Il avait malgré lui un air passionné quand il parlait d’elle.
-Vous l’aimez ?
-Oh, il rougit, mais ne put rien ajouter de plus.
-Je vois
-Vous ne voyez rien du tout docteur, le major est sous mes ordres, et je l’apprécie beaucoup, point.
Elle sourit devant l’air fâché du colonel. Il commençait à devenir intéressant cet homme.
-Vous vous défendez beaucoup trop colonel. Seriez-vous prêt à sacrifier votre vie pour elle ?
-Naturellement, pour Teal’c et Daniel aussi. Je l’ai d’ailleurs fait plusieurs fois.
Il disait cela sans orgueil et sans fausse modestie comme on dit des choses banales. Cela faisait tellement partie de sa vie et de sa personnalité qu’il n’y attachait pas beaucoup d’importance.
-Quand vous êtes retourné avec Kali, c’était dans le but de sauver la terre ?
-Oui
-Mais vous n’étiez pas sûr qu’elle le ferait ?
-Non, mais je l’espérais
-Elle l’a fait ?
-Oui
-En échange de vous ?
-Oui
-Vous saviez qu’elle allait vous torturer ?
-Oui
Les répliques étaient brèves, le ton abrupt comme les faits énoncés. Tout n’était que cruauté pure dans cette histoire. Carolina sentait que O’Neill voulait oublier. Elle savait aussi qu’il avait écrit un rapport très complet sur sa captivité et elle ne voulait pas ajouter à ses souffrances. Elle se promit de lire ce rapport.
-Docteur, je voulais vous demander, vous me croyez incapable de faire correctement mon travail ?
-Vous pensez à votre dos ?
-Oui
-Si vous voulez que je révise mon jugement il faut répondre à mes questions avec franchise.
Il se leva et se mit à faire les cents pas dans la pièce pour évacuer la tension provoquée par le rappel de tout un tas événements qu’il voulait oublier.
-Souffrez-vous toujours ?
-Oui
-Beaucoup ?
-Oui
-Cela vous empêche de dormir la nuit ?
-Non ce sont les cauchemars qui me tiennent éveillé.
Aurions-nous un point commun sans le savoir, mon cher colonel pensa t-elle.
-Mais le docteur Frazier s’occupe très bien de moi ajouta t-il de peur qu’elle ne lui propose une autre thérapie.
-J’en suis sûre c’est un excellent médecin.
Elle réfléchit un instant :
-Colonel, je vais proposer au général de partir en mission avec vous. Je prendrai ma décision à mon retour. Vous pouvez sortir colonel, ce sera tout pour aujourd’hui conclut –elle d’une voix plus douce.
******
Ils avaient passé la porte et le calme régnait sur la campagne. C’était une belle après midi d’été. Ils marchaient depuis une demi-heure et la chaleur les avait obligés à enlever leur veste.
Carolina comme ses compagnons portait un lourd sac à dos. Elle avait du mal à marcher, et son manque d’entraînement sportif se faisait sentir. Elle sentait qu’elle les ralentissait et se força à accélérer le pas.
Le général Hammond avait été très ferme avec elle, suivre la mission en observatrice, ne gêner en aucun cas et suivre scrupuleusement les ordres du colonel O’Neill.
-Jack je vous la confie avait-il dit.
O’Neill avait regardé Carolina et sourit d’un air approbateur à sa tenue, treillis militaire prêté par Sam, et tout le matériel adéquat.
-A vos ordres mon général. Allons les enfants, c’est parti !
Comme à son habitude il fit passer Teal’c devant puis Daniel et Sam. Carolina hésitait un peu au pied de la rampe.
Jack dut la prendre par le bras
-Allons un peu de courage lui souffla t-il dans l’oreille, c’est pas si terrible !
Il la poussa et passa juste derrière elle.
L’atterrissage la surprit, elle faillit tomber mais un bras puissant la retint.
-Vous allez bien docteur French, dit Teal’c ?
-Très bien, merci.
Maintenant ils marchaient sur cette route un peu trop déserte à leur goût.
-Daniel, vous n’aviez pas parlé d’une population locale de paysans ? Et d’un temple ?
-Si, je suis étonné, nous nous sommes trompés de chemin.
-Vous êtes sûr ?
-C’est à dire que d’après la sonde le temple paraissait être plus près de la porte.
-D’accord, revenons sur nos pas et prenons l’autre chemin décida O’Neill.
De retour au shapaï ils voulurent reprendre un petit chemin qui serpentait entre les arbres
-C’est par-là dit Daniel je reconnais les images de la sonde.
Au même instant deux jaffas déboulèrent et commencèrent à tirer.
Cela ne dura qu’un instant, ils furent bientôt anéantis.
-Vite ! On rentre dit Jack. Carter le code !
Au moment où le vortex s’ouvrait de nombreux jaffas bien armés ouvrirent le feu.
-Vite partez hurla O’Neill, Daniel, Teal’c et Sam qui se trouvaient près de la porte se jetèrent dans le vortex.
Jack qui attendait Carolina restée en arrière n’eut pas le temps de réagir, ils reçurent un coup de zat, qui les jeta au sol . Il restèrent groggy quelques secondes. Il furent mis debout sans ménagement et une longue marche commença pour les deux prisonniers, la jeune femme avait du mal.
-Laissez-moi faire, ces gens n’ont aucun humour. Si vous restez derrière ils vous tueront. Tout au long du chemin, il soutint la jeune femme, en passant son bras autour de sa taille.
Arrivés près du temple on leur fit descendre quelques marches et ils se retrouvèrent au fond d’un cachot, dont la porte se referma avec un bruit sinistre.
-Carolina, ça va ? S’inquiéta O’Neill.
Elle tremblait de tous ses membres, et déjà les sombres souvenirs ressurgissaient. Elle se revoyait dans cette cave étendue et attachée, dénudée, blessée dans son corps et dans son âme. C’était trop pour elle, elle éclata en sanglots. Elle avait perdu tous ses repères ne pouvait se rattraper à rien de connu. Elle était prisonnière sur une planète étrangère, prisonnière d’un peuple cruel, elle avait lu trop de rapports sur les missions, pour se leurrer encore sur le sort qui les attendait.
-Ils vont nous torturer ? Dit-elle d’une toute petite voix.
O’Neill s’assit à côté d’elle en silence.
-Ils vont nous torturer redit-elle
C’était plus une certitude qu’une question.
-Peut –être. Dit O’Neill sans trop s’avancer. Il savait par expérience qu’une captivité peut être différente selon le goa’uld qui les fait prisonniers.
Il entoura de son bras les épaules de la jeune femme, elle pleurait sans pouvoir s’arrêter.
Il ne savait pas trop quoi dire et était étonné de ce flot de larmes. On était loin du glaçon qu’il avait connu à la base.
Petit à petit ses sanglots s’espacèrent. Elle se serra contre lui.
-Essayez de dormir maintenant, il faut reprendre des forces. Il s’allongea, ferma les yeux et s’endormit aussitôt.
Elle enviait son calme et sa sérénité. Elle se mit à arpenter nerveusement le cachot d’un mur à l’autre.
-Docteur French, allongez-vous et dormez, vous me donnez le tournis, ajouta t-il plus légèrement.
Elle s’arrêta net :
-Mais comment faites-vous ?
-Comment je fais quoi s’étonna t-il ?
-Mais pour rester aussi calme ! Vous n’avez pas peur ? Ils vont nous tuer, on va mourir dans d’atroces souffrances.
Sa voix frôlait les aigus. La situation lui échappait totalement.
-Allons, allons reprenez-vous docteur French.
Il la rappelait à l’ordre, elle n’avait pas le droit de flancher. Il s’était assis le dos à la muraille et la regardait s’agiter en tout sens. Elle qui avait toujours voulu tout contrôler, elle qui s’était permis d’être dure avec cet homme lors des examens médicaux, se sentait profondément blessée, et humiliée. Il lui donnait une leçon !
Carolina se laissa tomber sur le sol et cacha sa tête dans ses mains. Elle sentait ses larmes couler à travers ses doigts. Elle faisait un effort violent pour se reprendre mais n’y arrivait pas.
O’Neill n’avait pas l’habitude de ce genre de femme. Carter était beaucoup plus forte, jamais elle ne se serait laissée aller ainsi. Celle-là était une petite chose fragile. Il en était un peu surpris car ce n’est pas du tout l’impression qu’elle lui avait donnée à la base. A ce moment-là, elle était dure et froide, maintenant l’iceberg était en train de fondre. Il ne savait pas quoi lui dire et en était gêné pour elle.
Il décida de ne plus s’en occuper, elle se calmerait bien toute seule. Il s’allongea à nouveau et s’endormit presque immédiatement.
Aucun bruit ne parvenait plus jusqu’à eux, le palais était désert, les prisonniers oubliés.
Elle n’avait pas pu dormir, le matin la trouva hébétée. Elle se sentait sale, ses cheveux étaient emmêlés, elle avait envie d’un grand verre d’eau fraîche. Elle se leva. Il restait un peu d’eau dans la cruche. Elle but avidement deux ou trois gorgées. Le récipient était presque vide. Aucun garde en vue. Ce serait probablement leurs dernières gouttes d’eau.
Carolina se tenait penchée, le long voile noir de ses cheveux lui masquait le visage. Elle ne l’entendit pas venir, jusqu’au moment où il lui prit la cruche des mains.
-Il y a des mots tabous dans une prison, Carolina, l’eau en fait partie, N’y pensez plus.
Joignant le geste à la parole il déposa la cruche dans un coin reculé du cachot.
-Mais comment faites-vous ?
Il s’énerva un peu :
-Ça fait deux fois que vous me demandez ça ! A quoi bon ? ça ne sert à rien de dire les choses, de s’énerver, d’avoir peur. On est dans de sales draps, on ne sait pas ce qui va se passer, on va peut être mourir, ou pas.
Devant l’air accablé de Carolina il se força un peu :
-Mais ils vont revenir nous chercher. Le général Hammond sait où nous sommes, il prépare sûrement notre sauvetage .
-Comment pouvez-vous être si confiant ?
-Mais parce que je les connais ! Je sais exactement ce qu’ils pensent. Et même si le général Hammond se fait tirer l’oreille ils feront des pieds et des mains pour le convaincre de venir nous chercher.
-Regardez-moi docteur French ! Lui dit-il comme elle baissait la tête accablée.
Son regard gris était devenu très pâle. On y lisait de la peur, une peur panique, profonde qui venait du fond de son être.
O’Neill hésita devant ce regard. Elle semblait au-delà de tout raisonnement, peu importe ce qu’il dirait. Il comprit que quelque chose de beaucoup plus grave que leur captivité se passait, des choses qu’ elle ne disait pas, et qui n’avaient rien à voir avec leur emprisonnement.
Ils avaient en effet peu de risques d’être tués. Apparemment ils étaient seuls dans les caves du palais. Normalement avec l’expérience qu’ elle avait, Carolina aurait du le sentir aussi.
-Carolina !
Sa voix douce la surprit
-Que se passe t-il ? Vous êtes si différente depuis que nous sommes enfermés.
Elle recula jusqu’au mur les yeux exorbités. Elle se tenait la gorge comme si elle étouffait, elle était secouée de spasmes, des sanglots secs qui lui arrachaient des petits cris de souffrance.
O’Neill lui apparut très différent maintenant, c’était l’homme qui l’avait regardé pendant qu’elle subissait le pire.
Elle hurla :
-Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas !
Alors O’Neill la gifla violemment à deux reprises, elle eut un hoquet de surprise, elle se sentit tomber, sa tête heurta la pierre, et elle s’écroula.
-Oh mon Dieu, je l’ai tuée ! Pensa t-il effaré.
Il se pencha vers elle, posa ses doigts le long se son cou et poussa un soupir de soulagement quand il sentit battre la carotide.
Elle revint à elle rapidement et devant le visage inquiet de Jack, elle murmura :
-Excusez-moi, je ne sais pas ce qui m’a prise.
Il recula sans un mot, ne la quittant pas des yeux. Et quand il vit qu’elle paraissait plus calme, il se retira dans un coin du cachot.
Elle resta muette toute la journée. Ils passèrent ainsi les heures suivantes, sans rien dire, chacun ruminant ses pensées.
L’eau de la cruche n’était plus qu’un lointain souvenir, Ils avaient faim et soif.
La nuit venue, elle sombra dans un sommeil peuplé de ses démons devenus familiers. Elle hurlait sans pouvoir se retenir. Jack se réveilla en sursaut croyant que quelqu’un la torturait. Dans le cachot c’était le noir le plus total. Il se laissa guider par ses cris, ses mains touchèrent son visage, il la secoua :
-Carolina réveillez-vous.
Elle se réveilla par paliers successifs, le rire grinçant de l’homme faisant place à la voix ferme de Jack l’appelant par son prénom.
-Carolina !
Les masques grimaçant de haine disparurent, elle ouvrit les yeux et sentit la présence rassurante de O’Neill.
-Excusez-moi j’ai fait un cauchemar
-Ça je m’en doute, il devait être terrible ce cauchemar, on a dû vous entendre jusqu’à la base !
Il sentit sa tension se relâcher d’un coup.
-Il fait si noir, je ne vous vois pas
-Mais moi je vous ai entendue, dit-il avec un petit rire. Et si maintenant vous m’expliquiez tout ça ?
-Je ne peux pas Jack.
-C’est si dur ?
-Oui.
-Vous n’en avez jamais parlé à personne ?
-Non
-Vous n’avez pas fait de thérapie ?
Malgré le noir qui les enveloppait, elle sentait l’ironie mordante d’O’Neill. Je l’ai bien méritée pensa t-elle.
-Je n’ai pas pu, dit-elle simplement.
-Alors vous devez comprendre ce qu’éprouvent les gens comme moi, qui n’aiment pas parler.
-Je le comprends très bien Jack, mais c’est mon rôle d’insister.
Il se recoucha et elle écouta la respiration calme du colonel. Cela produisit un effet apaisant sur elle. Alors à la faveur du noir, elle parla, comme si elle se parlait à elle-même. Après tout, elle était seule au monde au fond d’un tombeau.
-Mon enfance fut solitaire. Mes parents n’étaient jamais là, et j’avais très peu d’amis.
Devant mes résultats scolaires catastrophiques mes parents me firent passer des tests, et oh surprise ! J’étais une enfant précoce au QI de 145, perdue dans une classe qui ne me convenait pas. A neuf ans je suis rentrée dans une école secondaire et là ma scolarité devint subitement brillante. Mais j’étais trop jeune par rapport aux enfants de ma classe et je n’arrivais pas à me faire des amis.
Mon seul rêve était de devenir médecin comme mes parents que je ne voyais jamais, mais qui restaient un modèle pour moi. Mon adolescence solitaire, je la passai à travailler. C’était le seul et unique but de ma vie. A l’université cela changea, un peu. J’ai eu deux ou trois copains qui ne s’intéressaient qu’à mon corps. Mon intelligence les rebutait. Une fois obtenu ce qu’ils étaient venus chercher, ils me quittaient. C’est alors que je pris la plus grande décision de ma vie, je resterais célibataire, bien à l’abri, cachée par un physique que j’enlaidissais à plaisir, des grosses lunettes, pas de maquillage, un jean et un pull informe. Cela réussit parfaitement, car je vis se détourner de moi ceux que j’appelais des parasites. Je devenais mauvaise et méprisante envers les autres. Mais pendant ce temps là je fis d’excellentes études et passais ma thèse avec les félicitations du jury. J’avais atteins mon but, j’étais médecin.
Puis vint le drame.
Un soir en rentrant chez moi je fus agressée par quelqu’un que je connaissais bien, un ami de mon père. Il était grand et mince, le visage dur, les yeux bruns, et des cheveux gris coupés en brosse. Il s’appelait Peter, et je le suivis sans méfiance. Il m’emmena dans une cave où je fus attachée et violée par des jeunes épris de boisson. Lui ne me toucha pas, mais il me regardait avec des yeux froids et impénétrables. Ils m’ont battu, brûlée avec des cigarettes, j’ai pris des coups de pieds dans le ventre, dans la poitrine, le visage. Ils m’ont torturée abominablement et fait boire d’effroyables mixtures.
Dans cette cave je restai deux jours. Pas une seule fois je n’ai eu le soulagement de m’évanouir. J’ai senti mon sang couler emportant la vie avec lui.
Carolina faisait de longues pauses dans son récit. Sa voix était très basse, proche du chuchotement, mais qui résonnait comme le tonnerre dans cet espace clos, par la cruauté du récit et le ton volontairement neutre qu’elle employait.
-Mes blessures étaient graves, si graves qu’elles avaient porté atteinte définitivement à ma féminité. Jamais je ne pourrai avoir d’enfant.
Je n’ai pas pleuré une seule fois depuis dix ans.
A corps perdu je me suis lancée dans cette spécialité qui est la mienne actuellement, le soin des corps et des âmes mortes par trop de souffrances, de haine et de guerre. Là j’ai tout vu, tout entendu, des choses pires que les miennes. Tant de maux indicibles, des douleurs effroyables qui défient l’imagination. Voir ces hommes et ces femmes malheureux, repartir avec une lueur d’espoir dans le regard, me faisait du bien, mais ne me guérissait pas, car cela me faisait plonger encore plus au cœur de ma détresse. Mes jours et mes nuits sont devenus semblables, noirs, un flot de douleurs, celles des autres et les miennes mélangées. Je suis arrivée à une telle saturation que de me retrouver dans ce cachot a tout fait exploser en moi. Je me suis revue si jeune, si naïve, et si innocente.
Ses mots se faisaient plus lents. Elle était si fatiguée. Le sommeil la prit sans qu’elle s’en rende compte. Elle dormit sans rêve, pour la première fois depuis bien des années.
Elle s’éveilla vidée, mais soulagée.
Jack aussi était réveillé, mais elle ne savait pas s’il l’avait entendue.
Ils se regardaient gravement. Il ne fut pas surpris de l’étincelle de vie qui illuminait son regard.
-Colonel, commença t-elle hésitante, cette nuit…
Il mit un doigt sur ses lèvres pour l’empêcher de continuer.
-Chut…
-Vous avez entendu ? lui dit-elle d’une voix tremblante.
-Oui, mais rassurez-vous je suis une tombe et j’ai déjà tout oublié.
-Je ne souhaite pas que vous oubliez.
-Pourquoi ?
Sa voix se raffermit. Elle avait envie de lui en dire plus. Elle vivait un instant extraordinaire d’intense émotion. Jamais elle n’avait été aussi proche de quelqu’un que maintenant.
-Vous êtes maintenant dépositaire de mon secret, il doit rester en vous, pour me permettre de vivre. Ce qui a été ne peut pas disparaître, c’est impossible, si on veut l’enfouir, il ressurgit toujours. Cela fait dix ans que mon âme est empoisonnée, par ces souffrances trop lourdes à porter seule. Maintenant je sais que vous savez, c’est important pour moi.
Elle pleurait sans même sans rendre compte. Ce n’était plus des larmes amères, mais une pluie bienfaisante qui lui lavait le cœur.
Carolina se réfugia dans ses bras, gentiment il la consolait comme on le fait avec une enfant. Il lui dit les mots qu’elle voulait entendre. Il lui essuya ses larmes avec ses doigts. Elle en sentait la chaleur de la caresse. Elle se sentait si bien réfugiée contre sa large poitrine. Elle aurait voulu que cet instant ne finisse jamais.
Elle se sentait libre, apaisée, vivante.
Et pourtant la situation était toujours aussi désespérée, ils n’avaient pas bu depuis deux jours, ils étaient pâles et sales, et souffraient de la faim.
Jack ne lui répondit pas il se contenta de hocher la tête en silence à ses propos. Elle allait mieux c’était ce qui importait le plus pour lui.
Elle s’approcha, il me reste une dernière chose à faire pour aller tout à fait bien lui dit–elle malicieusement
-Ah oui et quoi ?
-Vous embrasser.
-Oh !
-Mais penchez vous vous êtes trop grand pour moi.
Sans méfiance il se pencha, elle en profita pour le déséquilibrer, il tomba et elle se coucha sur lui l’embrassant à pleine bouche, elle souleva son tee shirt et caressa sa peau. Il ne résista pas et répondit à son baiser mais quand elle voulut aller plus loin il réagit :
-Je ne crois pas que ce soit une très bonne idée dit-il en la repoussant.
-Oui, c’est vrai, Sam …
-Laissez Sam en dehors de tout ça.
Il s’était relevé et avait reculé d’un pas. Elle sourit,
-Pourquoi riez-vous, vous trouvez ça drôle ?
-Oui, j’ai su ce que je voulais savoir.
-Ah oui, et quoi donc ?
-Que je pouvais encore plaire à un homme.
-N’ayez aucune crainte la dessus.
-Pourtant je suis sale, assoiffée, fatiguée, je ne me sens pas très sexy.
-Tout cela n’a aucune importance, les apparences ne comptent pas beaucoup. Mais j’aurais été un beau salaud, si j’en avais profité, vous n’êtes pas dans votre état normal docteur French.
Il avait mis une certaine distance entre eux en lui jetant son titre de médecin à la figure. Ce fut très efficace, elle rougit et remit de l’ordre dans ses vêtements.
-Finalement on fait quoi maintenant ?
-Et bien on attend, on garde nos forces au cas où. Je vous conseille de dormir encore un peu.
-Je suis bien trop énervée pour ça.
-Justement il faut vous calmer, on ne sait pas du tout combien de temps durera encore notre captivité.
-Ça fait combien de temps qu’on est là ?
-Plus de deux jours.
-Et c’est normal que ce soit si long pour venir à notre secours ?
Elle était inquiète, il le sentait, mais elle était beaucoup plus forte que lors de leur arrestation. Il sentit qu’elle n’aimerait pas beaucoup qu’il lui cachât la vérité.
-En fait, je trouve ça plutôt surprenant. La porte des étoiles doit être très bien gardée, ou alors ils ont un problème à la base, une panne, quelque chose comme ça.
-Une panne, ça arrive.
-Des fois, oui. Mais en général notre major nous résout ça tout de suite.
-Notre major ? Dit-elle avec un sourire entendu.
Il ne daigna pas répondre à son ironie.
Brusquement il y eut du bruit dehors. Des tirs d’armes, des crissements de zat, des cris.
Puis soudain la voix de Sam.
-Eloignez-vous de la porte mon colonel !
Une petite explosion, et la porte s’ouvrit dans un nuage de fumée.
Carolina ne tenait plus sur ses jambes, trop de douleurs et d’émotions. Il la porta dans ses bras, courut jusqu’à la porte avec ses amis. Il fallait faire vite. D’autres jaffas pouvaient venir.
Ils se jetèrent dans le vortex au moment même où des jaffas les rejoignaient.
-Fermez l’iris hurla O’Neill avant de s’écrouler sur la rampe.
-Bienvenue chez vous colonel. Jack fit un petit geste du bras, en signe d’assentiment et se laissa emporter par l’équipe médicale.
Quelques piqûres plus tard il put se lever. Il n’était pas blessé juste un peu déshydraté. L’ état de Carolina paraissait plus sérieux, elle était tombée dans un état de prostration alarmant.
Le général Hammond regarda le colonel d’un air sévère.
-Colonel que s’est-il passé avec le docteur French ?
-Nous avons été faits prisonniers par des jaffas. Mais nous n’avons rencontré aucun goa’uld. Mais je suppose que si vous n’étiez pas venus nous chercher, nous les aurions vus.
-En effet dit Daniel nous avons appris que cette planète appartient à la déesse Mout. Son arrivée était attendue, et il est probable que vous auriez servis de mets de choix pour la reine. Enfin quand je dis mets je veux dire esclave ou hôte.
-Ah j’aime mieux ça !
-Votre captivité a été difficile colonel ?
-Non, pas plus que des dizaines que nous avons connues. Bien sûr ce n’est pas une partie de plaisir, à part le fait que n’avons rien bu ni mangé.
-Mais pourquoi le docteur French est–elle aussi atteinte ? Demanda Janet. Physiquement elle est épuisée et surtout moralement.
-Vous en avez une idée colonel ? Insista Hammond.
-Il s’est passé quelque chose entre vous ? Dit Daniel perfidement.
-Daniel vous n’allez pas la ramener ! Il ne s’est rien passé de ce que vous pouvez supposer. En fait je peux pas en parler.
-Vous devez tout nous dire colonel.
-Dans votre bureau général ?
-D’accord Jack
Dans le bureau de Hammond, Jack resta un moment silencieux. Il revivait les dernières heures passées sur la planète et l’incroyable déballage de Carolina.
-Elle m’a fait des confidences. Et devant le regard étonné du général, ou plutôt elle a raconté sa vie. Elle a vécu des trucs très durs et je préfère ne pas en parler.
-D’accord colonel, je comprends que vous respectiez cela.
Le lendemain le docteur French put se lever et malgré les mises en garde de Janet, elle voulut reprendre son travail là où elle l’avait laissé avant de partir avec SG1. Elle aurait pu demander qu’un autre médecin la remplace, mais elle ne le souhaitait pas. Son évaluation était presque complète. Il lui fallait encore avoir un ou deux entretiens avec chacun.
Elle commença par Sam. Cela lui permit de reprendre pied dans la réalité. Elle dit peu de choses, se plongea dans l’étude des nombreuses notes qu’elle avait prises. Elle étudia les rapports confidentiels de Sam. Tout ce qui n’était pas dans les rapports officiels, c’est à dire le ressenti, le vécu, et non le récit brut et impartial des faits. Il y avait tant de manières de dire les choses. Un rapport sur un tir de zat pouvait être fait dans le genre « j’ai reçu un tir de zat », ou bien décrire la douleur, l’impression reçue, la chute, l’incapacité de bouger pendant quelques minutes. C’est cela qu’elle recherchait dans les rapports confidentiels. Mieux connaître la personne dans la manière qu’elle décrit ce qui lui arrive. Celui de Sam lui apprit beaucoup de choses, en particulier sur Jolinar, sur Martouf, sur les relations qu’elle avait avec son père depuis que celui-ci était devenu un Tok’ra, Sur Jack aussi, elle lut avec un serrement de cœur le récit du test Zatark. Quand celui-ci avait eu cette phrase sublime « le cerveau de Carter est plus précieux que le mien », Alors il avait accepté de mourir pour que sa mort puisse lui être utile.
Elle lut aussi attentivement les dossiers de Daniel et de Teal’c. Leurs rapports confidentiels contenaient aussi une mine de renseignements sur leur personnalité et leur façon d’agir.
Carolina était impressionnée par ce qu’elle lisait, parce qu’elle voyait et comprenait en parlant avec eux que c’était une équipe exceptionnelle. Elle ne pouvait en dire que du bien.
Le soir elle avait emporté un épais dossier contenant les rapports confidentiels de O’Neill. Elle tourna les pages et rechercha les dates qui l’intéressaient.
Elle hésita un moment. Le style du colonel n’était pas littéraire, il écrivait comme il parlait, simplement avec les mots venant du cœur. Elle lut plusieurs rapports de missions, et ne fut pas surprise de sa grande modestie, il ne se vantait jamais de ce qu’il faisait. Il cachait tout ce qui le concernait sous une ironie parfois féroce, mais le plus souvent décalée, qui le faisait apparaître beaucoup moins intelligent qu’il ne l’était en réalité.
Elle passa la nuit sur ses nombreux récits de missions. Elle fut effarée du nombre de tortures et de blessures subies. Mais quand elle arriva au récit de son emprisonnement chez Kali, elle pâlit. Ce qu’il avait vécu en se livrant volontairement pour sauver la terre était inimaginable, les viols, les tortures, les drogues, cela ressemblait un peu à son parcours à elle. Mais lui, ça avait duré sept mois. Elle pleurait sans pouvoir se retenir en lisant certaines phrases extraordinaires qu’il avait écrites, expliquant pourquoi il avait fait semblant de trahir pour mieux la bluffer. Et le fait qu’il ait pu aimer Kali, le rendait tout à coup plus humain.
Elle ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle aurait voulu partir, s’enfuir de la base, se cacher dans un trou. Elle redoutait l’entrevue qu’elle aurait avec O’Neill demain. Elle aimait profondément cet homme. Mais il ne fallait pas qu’il s’en rende compte sous aucun prétexte.
Elle se blinda le lendemain quand elle le fit appeler. Il était pareil à lui-même. Il s’assit sur la chaise comme la première fois et ne dit rien. Elle en éprouva une cruelle déception. Mais elle attaqua tout de même l’entrevue. Elle se sentait faible et la voix tremblante.
-Colonel O’Neill, je voudrais terminer mon évaluation et j’aimerais savoir si vous souhaitez dire quelque chose ?
-Non, docteur French, je n’ai rien de particulier à dire.
-Et sur ça non plus dit-elle en montrant le dossier sur la table ?
-Oh là-dessus tout a été dit et plus encore.
-Que voulez vous dire ?
-Que je voudrais tourner la page.
-Je comprends colonel, je respecte votre désir. Mais je veux que vous sachiez que j’ai passé ma nuit à lire votre prose.
-Il y avait des fautes ? Se moqua t-il
Elle ne se laissa pas prendre au piège de l’ironie et se concentra pour pouvoir terminer ce qu’elle avait à dire.
-Je voulais dire que votre histoire ressemble un peu à la mienne. Je voulais que vous sachiez que je vous comprends.
-Il y a quand même une différence dit–il
Une lueur d’espoir brilla dans le regard gris de Carolina, il acceptait enfin de parler.
-Et quoi donc ? Colonel.
-Vous avez subi, j’ai choisi.
Elle le regardait. Elle s’était placée légèrement derrière lui, elle pouvait l’observer à loisirs. Elle le voyait de profil. Un profil immobile et volontairement neutre. Elle commençait à bien le connaître. Elle voulait le graver à jamais dans sa mémoire, car elle savait qu’elle vivait là ses derniers instants en sa compagnie.
-Jack ne put–elle s’empêcher de dire.
Il se retourna et leurs regards se croisèrent. Il fut surpris de la souffrance et de l’amour qu’il vit dans ses yeux. Il comprit mais ne dit rien.
Tout entre eux avait été dit, et rien ne s’était passé comme c’était prévu. Tout avait été inattendu, surprenant. Elle avait reçu un cadeau, un flot qui l’avait emportée et libérée.
-Cet entretien est terminé, colonel, dit-elle d’une voix étouffée, vous pouvez sortir…et merci.
La porte se referma comme un sanglot. Telle une charge trop lourde à porter, elle décida de laisser là son fardeau. Elle reprendrait une vie normale. Elle changerait de spécialité, quelque chose de plus calme comme la médecine générale.
Ils étaient tous là SG1, Hammond, Janet, quand elle fit son entrée vêtue comme le premier jour de sa longue jupe noire et de son chemisier de soie.
Elle s’assit au bout de la table en face de Hammond et ne parla qu’à lui. Elle voulait éviter de croiser son regard, elle n’en aurait pas eu la force.
-Général j’ai fini mon évaluation, je dois dire que je suis impressionnée par ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu et ce que j’ai vécu. Ce fut pour moi une expérience inoubliable. Naturellement je rends un avis très favorable à cette évaluation. Vos hommes sont exceptionnels séparément, mais je crois que c’est en équipe qu’ils sont les meilleurs.
Visages radieux autour de la table. Ils se remirent à parler joyeusement. Déjà Daniel évoquait le prochain départ pour la planète PJ…, où il comptait reprendre ses travaux. Sam et Janet échangeaient des plaisanteries.
En un éclair elle sentit qu’elle était de trop. Elle entendit à peine le général la remercier, et lui proposer de la raccompagner. Elle refusa. Elle le regardait lui, qui regardait ailleurs, il ne voyait que Sam, et souriait devant ses yeux bleus brillants de joie. Elle sut qu’elle n’avait aucune place parmi eux.
Carolina ramassa ses affaires, elle se leva et sortit discrètement de la base.