********************
La voix étouffée qui pestait contre la température du café la réveilla en sursaut. Sam ouvrit difficilement les yeux et fronça un instant les sourcils, désorientée par le décor qui l’entourait. Elle fit glisser à terre le plaid qui la recouvrait et se redressa sur le canapé pour rencontrer le regard de Daniel qui sortait de sa cuisine.
La soirée de la veille lui revint soudain en mémoire et elle soupira.
- Désolé, dit doucement l’archéologue, je ne voulais pas vous réveiller.
- Ce n’est pas grave, répondit-elle d’une voix légèrement enrouée, il fallait que je me lève de toute façon. Quelle heure est-il exactement ?
- Sept heures et demie… Vous avez bien dormi ?
Le jeune homme se mordit immédiatement la lèvre, sachant pertinemment que la réponse ne pouvait qu’être négative. Sam lui lança un petit sourire contrit auquel il répondit par une mimique semblable.
- Désolé, je n’ai pas… souffla-t-il. Pour ce que ça peut vous réconforter, j’ai connu de meilleures nuits moi aussi.
- C’est pourtant vous qui aviez le lit, remarqua-t-elle ironiquement.
Daniel allait une nouvelle fois s’excuser quand il comprit qu’elle plaisantait. Après tout, c’était elle qui avait décidé de prendre le canapé la veille, et il n’avait pas eu le courage d’insister pour qu’elle dorme dans son lit et lui sur le sofa. Il s’était déjà félicité de l’avoir convaincue de rester. De toute façon, où aurait-elle pu aller ?
Il soupira alors que la raison pour laquelle Sam avait frappé chez lui en larmes la veille lui revenait en mémoire. Il avait au départ paniqué, imaginant qu’un drame était arrivé à Jack, mais son amie avait commencé à parler de fuite et du fait qu’elle avait eu besoin de s’éloigner de « lui », et que se réfugier à la base était hors de question puisque Vala y était aussi. Alors elle était venue chez lui.
Il avait fallu plusieurs minutes à Daniel pour calmer la jeune femme et la convaincre de raconter l’incident. C’est ainsi qu’elle lui avait dit ce que Jack leur avait caché, ce que Quetesh l’avait obligé à faire. Il avait certes été choqué, surtout que leur ami avait fait cela pour les sortir des griffes d’Apophis. Mais cela ne suffisait pas à expliquer pourquoi Sam s’était mise dans un tel état et avait fui de chez elle. Son amie avait alors finalement avoué toute l’histoire, et surtout ce qui s’était aussi passé entre Jack et Vala.
Sam se leva du canapé et se dirigea vers la cuisine dans l’intention de se servir une tasse de café. La tension qui l’avait habitée la veille était retombée et elle commençait à regretter les paroles et les actes qu’elle avait eus. Bien sûr, elle avait été choquée et ne l’avait pas caché. Mais Jack, déjà bien énervé, s’était immédiatement braqué en prenant chacune des choses qu’elle avait dites comme un reproche. La discussion s’était rapidement envenimée, au point de se transformer en la plus effroyable dispute qu’ils aient jamais eue tous les deux.
Et elle avait fini par fuir.
La nuit porte conseil, disait-on, et à la lumière du jour, les choses lui semblaient si différentes. Parler avec Daniel avait aussi permis de comprendre certaines vérités et elle secoua la tête en pensant aux dégâts que Jack et elle avaient peut-être causés à leur relation.
Au départ, elle s’était bêtement sentie menacée par ce passé, par Vala, par les silences de l’homme qu’elle aimait. C’était tellement stupide… Leur histoire ne pouvait être détruite par cet incident qui datait de plusieurs années, même si cela avait profondément marqué Jack. Ils étaient plus forts que ça ! Leur amour avait résisté à Pete, Kerry et autre Laïra, pourquoi serait-elle tombée face à Vala ? Bien sûr, il serait difficile d’oublier que la jeune femme avait un jour été « l’autre », surtout qu’elle la voyait chaque jour ou presque.
Mais Sam devait bien avouer qu’une simple discussion avec Jack pour clarifier la situation aurait suffi. Le manque de communication leur avait déjà fait assez de mal et ils étaient manifestement capables de retomber dans cette mauvaise habitude.
La jeune femme soupira et songea que si l’abcès avait été violemment crevé entre elle et Jack et qu’ils avaient fait sortir tout ce qu’il contenait, il allait maintenant falloir qu’ils pansent les blessures. La vérité, c’est que cette dispute avait fait remonter à la surface des choses beaucoup plus profondes et menaçantes pour leur couple. La relation qu’il avait eue avec Vala n’avait finalement été qu’un prétexte, une étincelle qui avait fait exploser le tout, révélant des problèmes dont Sam n’avait pas eu conscience avant. Ou peut-être dont elle n’avait pas voulu avoir conscience…
- Je dois être tôt à la base, dit soudain Daniel. Un artefact que SG-4 a ramené et qui doit partir dans l’après-midi pour la zone 51. Je veux y jeter un dernier coup d’œil avant que nous partions en mission.
Le jeune homme avait déjà enfilé son manteau et s’apprêtait à quitter son appartement, son mug de café toujours dans la main. Il déposa les clés sur le guéridon de l’entrée et les indiqua d’un signe de tête.
- Je vous laisse verrouiller, vous me les rendrez au SGC, dit-il doucement. Ca va aller ?
Sam acquiesça et sourit à son ami qui, rassuré, quitta l’appartement. Il avait eu la délicatesse de ne pas insister sur les incidents de la veille et elle le remercia mentalement de sa discrétion.
Cependant, elle savait que l’histoire avait aussi secoué l’archéologue plus qu’il n’aurait voulu l’admettre. D’abord parce qu’il acceptait difficilement que Jack se soit ainsi sacrifié pour eux. Mais aussi à cause de Vala. Sam soupira en songeant qu’aller déballer l’histoire à Daniel n’avait peut-être pas été sa meilleure idée de la soirée, surtout étant donné ses relations ambiguës avec la jeune femme…
L’archéologue finit sa tasse de café avant d’entrer dans sa voiture. Il posa le mug vide avec sa sacoche sur le siège avant et mit le contact. Tentant d’extraire son véhicule du petit parking sans heurter les autres, il se remit à penser aux événements de la veille. Il sentait qu’il allait ruminer cela toute la journée…
C’était un peu idiot d’ailleurs, il n’était qu’un personnage secondaire de toute cette histoire. Mais tout cela le touchait malgré lui, d’autant plus qu’il n’arrivait toujours pas à démêler ce qu’il ressentait.
Il y avait tout d’abord ce que Jack avait fait, pour eux et surtout à cause d’eux. Daniel avait tenté de se l’expliquer de diverses façons, mais la vérité, c’est que son ami avait été forcé de se prostituer pour les sauver. Il savait que le militaire aurait été capable de donner sa vie pour son équipe, mais la situation n’en restait pas moins dégradante…
Certes, il n’était pas le premier à être abusé par un Goa’uld – Daniel gardait encore en tête le souvenir amer d’Hathor. Et le sexe avait en tout temps et en tout lieu été une monnaie d’échange beaucoup plus répandue que ce que la morale n’aurait voulu.
Cependant, il s’agissait de Jack, et connaissant le militaire, pour aller jusque là, il avait fallu qu’il tînt à eux plus qu’à son honneur. Daniel n’en avait jamais douté mais c’était autre chose d’en avoir la preuve. Il aurait préféré que son ami n’ait pas à faire ce sacrifice, même s’il avait conscience que cela avait probablement sauvé leurs vies. Quelque part, il se sentait même désolé pour lui, et il savait que Jack ne l’accepterait pas, qu’il refuserait une quelconque attitude qui pourrait lui rappeler, même de loin, la pitié. Il considérait sans aucun doute qu’il avait accompli son devoir, mais Daniel savait que lui aurait du mal à oublier…
Et puis il y avait cette dispute entre Sam et Jack. C’était peut-être ce qui l’inquiétait le plus. Un an auparavant, il avait pratiquement sauté de joie quand ses amis avaient annoncé à mots couverts qu’ils avaient décidé de se donner une chance. Certes, les choses auraient été plus faciles si les deux amants n’avaient pas été séparés par des milliers de kilomètres mais l’archéologue avait eu l’impression qu’ils géraient cela facilement, ne se plaignant pas et semblant plus épanouis que jamais.
La vérité était beaucoup moins rose, Daniel venait de s’en rendre compte. Leur couple subissait les contraintes de l’éloignement et Jack et Sam avaient beau s’aimer, ils commençaient à découvrir qu’ils avaient des attentes différentes. Cette relation à distance pouvait marcher au début, mais maintenant ? Sam avait avoué la veille que leurs disputes étaient plus fréquentes, qu’ils n’étaient plus sur la même longueur d’onde. Elle avait longtemps rêvé d’une vie normale, avec des enfants, un gentil mari et une jolie maison. Comme tout le monde. Mais elle avait laissé passer cette chance que lui offrait Pete pour écouter la voix de son cœur. Sans réfléchir que l’amour ne pouvait pas tout…
Daniel soupira. Il pouvait comprendre cela, cette aspiration à une vie rangée qu’avait Sam. Quant à ce que Jack voulait, impossible de le savoir, il connaissait suffisamment ses deux amis pour savoir qu’ils n’avaient même pas dû en parler franchement.
L’archéologue secoua la tête et tenta de penser à autre chose alors que sa voiture s’engageait sur le périphérique. Les problèmes de couple de ses deux amis le touchaient, bien sûr, mais ce n’était pas à lui de les régler pour eux. Il pouvait être là, les soutenir, les conseiller même. Mais certainement pas s’immiscer entre eux. Cela ne ferait qu’aggraver les choses. Il n’avait jamais songé à l’éventualité qu’ils pourraient se séparer mais après tout, c’était possible ! Certes, Sam et Jack formaient un couple idéal, peut-être atypique, mais ils étaient néanmoins bien assortis. Pourtant, comme tous les autres, ils n’étaient pas à l’abri d’une rupture…
Il avait eu de la chance avec Sha’re. Un coup de foudre, une année merveilleuse, rien à regretter. Tout cela était parti en fumée quand Apophis était entré dans leur vie mais il avait toujours eu l’impression que le bonheur parfait qu’il avait vécu aurait duré toute leur vie. Il avait même longtemps été persuadé que son unique chance d’être heureux était morte avec elle.
Seulement depuis quelques temps, il commençait à en douter. Il était inutile de penser à ce qui aurait pu être, c’était trop tard. Mais si Sha’re avait pu vivre à ses côtés, rien ne disait qu’elle y serait restée. Quelque part, il avait eu la chance de vivre une telle histoire, parfaite, vierge de toute tâche. Elle avait été trop courte, mais au moins pouvait-il affirmer qu’il savait ce que le mot « bonheur » signifiait vraiment…
Et s’il avait pu être heureux ainsi une fois dans sa vie, rien ne disait qu’il ne pouvait pas l’être à nouveau. Il avait fini par faire son deuil, il était peut-être temps pour lui de revivre.
Il soupira en songeant que s’il en était conscient, il savait aussi que tout cela était plus facile à dire qu’à faire.
Il avait toujours dit que sa vie avait réellement commencé quand Sha’re était y entrée, et quand elle lui avait été arrachée, il n’avait fait que survivre, se trouvant de nouveaux buts, de nouveaux idéaux, mais en ayant l’impression de s’être éteint de l’intérieur. Il n’était plus sûr de savoir comment faire et surtout d’avoir à nouveau le courage de laisser quelqu’un s’approcher de son cœur. Bien sûr, cela aurait été une promesse de bonheur, mais n’y aurait-il pas de la souffrance aussi ? Il avait connu la perte, il n’avait aucune envie de risquer encore cela.
Peut-être n’aurait-il pas le choix devant l’évidence, comme Jack et Sam n’avaient pu nier leur amour malgré tous leurs efforts…
A vrai dire, s’il était vraiment honnête, cette évidence était déjà là. Et son identité lui faisait peur. Il s’était surpris à songer à elle de façon différente depuis quelques semaines, même s’il préférait la plupart du temps rejeter cette idée, combattre ce qu’il pouvait ressentir. C’était un peu stupide, il n’était pas le genre d’homme à nier ses sentiments habituellement. Mais avec elle, c’était tellement… complexe. Alors il préférait ne pas s’attarder à analyser ce qu’il ressentait.
Bon sang ! Sur toutes les femmes de cette galaxie, il fallait que ce soit elle qui lui fasse perdre tout contrôle sur lui-même et qui lui donne cette impression étrange d’être enfin réveillé.
Mais elle était aussi tellement compliquée, avec un passé chargé, sans compter qu’elle était à moitié cinglée ! Avec elle, il ne savait jamais sur quel pied danser, tant elle avait menti et triché. Il n’était jamais sûr de sa sincérité, même s’il commençait à savoir lire entre ses différentes attitudes. Elle était trop différente, l’exact opposé de toutes les femmes qu’il avait fréquentées…
Elle le mettait en danger, tout simplement. Et il n’avait pas honte d’avouer que cela lui fichait réellement la trouille…
Il eut un geste agacé en songeant à toutes les fausses excuses qu’il s’inventait. Il avait peur de la laisser toucher son cœur, il avait trop souffert. Bien sûr, elle était aussi un être exceptionnel, mais avaient-ils besoin de tout compliquer maintenant ? Elle était si…
- Meeerde !!!
Elle venait aussi de lui faire rater la sortie du périphérique.
**********************
La tension monta d’un cran au moment où Jack pénétra dans la salle d’embarquement.
Il entendit les murmures étonnés des scientifiques alors que Daniel lui lançait un sourire crispé mais néanmoins sincère, ce qu’il jugea plutôt encourageant. Son meilleur ami au moins ne semblait pas surpris ni embarrassé par sa présence comme il l’avait d’abord craint.
Sam par contre l’évita du regard et se concentra sur la porte qui s’activait. Il se tendit malgré lui, songeant qu’il n’aurait peut-être pas dû venir. Surtout qu’ils ne s’étaient toujours pas expliqué et cela risquait d’avoir des conséquences sur l’atmosphère qui régnerait dans l’équipe dans les prochaines heures.
- Ah, je savais bien que vous ne pourriez pas résister à une petite mission scientifique mon général ! s’exclama joyeusement le colonel Mitchell, apparemment indifférent à l’ambiance autour de lui.
Jack lui rendit son sourire et salua d’un signe de tête les astronomes qui ne s’attendaient manifestement pas à ce qu’un haut gradé les accompagnât pour observer une comète.
- J’avais besoin de m’aérer et puis j’ai toujours apprécié l’astronomie, répondit le général à l’intention de son subordonné. Mais vous gardez le commandement avec Carter, je ne suis là qu’en touriste.
Sam se crispa malgré elle en l’entendant prononcer son nom. C’était stupide, mais depuis un an, elle avait pris l’habitude qu’il prononce son prénom et non plus l’habituel « Carter ». Elle tenta de se rassurer en se disant qu’il n’avait pas été jusqu’à employer son grade mais la tension qui l’habitait ne s’estompa pas pour autant.
Elle ne lui avait pas parlé depuis leur dispute de la veille et sa fuite chez Daniel. Elle avait eu envie de passer le voir le matin en arrivant à la base mais il était avec Landry à ce moment là et elle avait ensuite dû faire un dernier briefing avec les astronomes. De toute façon, ce n’était pas une bonne idée qu’ils s’expliquent alors qu’ils étaient à la base. Mieux valait attendre qu’ils soient seuls et au calme.
Le fil de ses pensées fut brisé par l’entrée de Teal’c et Vala dans la salle alors même que le vortex bleuté de la porte se stabilisait.
Les deux jeunes femmes se tendirent imperceptiblement quand leurs regards se rencontrèrent mais Sam fit un effort et sourit doucement à Vala, ce qui détendit légèrement celle-ci. Après tout, se dit la militaire, sa coéquipière n’avait rien à se reprocher et il était inutile de créer d’autres tensions. Elle répondit au hochement de tête de Teal’c par un sourire un peu plus assuré et s’avança avec Cameron pour franchir la porte, bientôt suivie par l’équipe de scientifiques ainsi que Teal’c et Vala qui était étonnamment silencieuse.
Malgré les efforts de chacun, les événements de la veille allaient certainement se ressentir sur l’ambiance. Heureusement, la mission n’était censée durer que huit heures.
Jack s’engagea à son tour sur la rampe mais s’arrêta juste devant la flaque de naquadah. Cela faisait presque deux ans qu’il ne l’avait pas franchie et son cœur se serra sous l’émotion. Cette vie lui manquait, la sensation de ne faire qu’un pas et pourtant de se retrouver à l’autre bout de l’univers, sur un autre monde qui ouvrait tant de nouveaux horizons. Il soupira doucement et sa main s’avança pour toucher la matière bleutée qui s’étendait devant lui. La sensation était indescriptible et il frissonna malgré lui.
Il sentit soudain la présence de Daniel à ses côtés. Ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion de parler depuis les incidents de la veille, son ami sachant que sa discrétion serait plus appréciée que des tentatives pour le faire parler.
- Je me rappelle avoir fait ça la première fois que je l’ai franchie, dit doucement Daniel en indiquant de la tête les doigts de Jack qui caressaient le naquadah.
- Ce n’est pas ma première fois, répliqua le militaire.
- Mais vous aviez oublié ce que ça faisait…
Jack ne répondit pas et se contenta de sourire. Tout cela lui avait manqué et Daniel avait raison, il avait fini par oublier. Il se sermonna intérieurement de faire preuve d’un tel sentimentalisme, cela ne servait à rien d’être ainsi nostalgique… Il expira lentement et franchit le vortex en retrouvant la sensation familière d’excitation.
De l’autre côté, un soleil couchant les attendait. La porte était située à l’entrée d’un village dont l’architecture rappelait les huttes indiennes. Les indigènes avaient dressé un autel au pied du Shapaï et l’avaient décoré de fleurs et d’objets de culte. Daniel avait signalé que l’étude de leur culture pourrait à la rigueur s’avérer intéressante, mais ils n’avaient rien à offrir en terme d’échange commercial ou technologique. Une alliance ne s’avérait donc pas très utile à la Terre.
La planète avait beau faire partie des possessions de Ba’al, elle semblait surtout abandonnée par le faux dieu. Le premier contact avec la population avait appris au SGC qu’aucun Jaffa n’avait été vu depuis l’épuisement de la mine, deux ans auparavant. Ba’al avait manifestement mieux à faire que de s’assurer que les habitants continuaient à le craindre et à le vénérer. De toute façon, il était fort à craindre que la « sagesse » du livre des Origines ne remplace bientôt le culte qui était encore rendu au Goa’uld…
Les astronomes, aidés de Teal’c, avaient déjà commencé à décharger une partie du MALP et, profitant des dernières minutes de lumière, s’apprêtaient à transporter leur matériel au niveau d’une grande prairie qui se trouvait à une centaine de mètres de l’anneau de naquadah. Sam et Vala étaient déjà sur place et avaient entrepris de poser des bâches au sol.
Jugeant d’un coup d’œil l’aspect de la planète et de ses habitants, Jack pensa avec amusement que la mission qu’il allait devoir accomplir était de celles qui le faisaient mourir d’ennui quelques années auparavant. Aujourd’hui pourtant, il ressentait presque l’envie d’accepter les présents que les autochtones étaient en train de leur offrir. Il regarda d’un air narquois Daniel qui essayait de dissimuler son agacement et de faire comprendre au chef du village qu’ils n’étaient pas des envoyés du Dieu mais de simples voyageurs.
Mais comme lors des précédentes visites, l’homme refusa de les considérer comme des humains, expliquant à grand renfort de courbettes que seul le Dieu et ses soldats étaient autorisés à franchir le Shapaï. L’archéologue, voyant que les croyances étaient encore une fois trop ancrées, finit par capituler et acquiesça dans un soupir. Peu importait au final que la population croie qu’ils étaient au service de Ba’al, ils n’étaient là que pour observer une comète. Ils pourraient en profiter pour mettre les habitants en garde contre les Oris, mais cette planète n’était plus réduite en esclavage et n’avait rien à offrir à la Terre. Ils allaient accomplir leur mission et ne reviendraient probablement jamais.
L’équipe scientifique avait entrepris le montage du lourd télescope et les yeux de Jack s’arrêtèrent malgré lui sur la silhouette de Sam. Elle avait l’air fatiguée et une bouffée de remords étreignit soudain le cœur du militaire. Il fallait vraiment qu’ils parlent…
Il se tourna vers Mitchell qui était resté à ses côtés pour sécuriser le MALP et l’interrogea du regard.
- Mon général ? demanda le colonel en fronçant les sourcils.
- Je suis assigné quelque part Mitchell ?
Celui-ci ouvrit des yeux étonnés et s’empressa de secouer la tête en signe de négation.
- Vous êtes libre mon général, répondit-il d’un air gêné. Je ne vais quand même pas vous donner d’ordres...
- J’ai donc le choix de mon affectation, constata son supérieur avec un sourire.
Il avait encore réussi à mettre le jeune colonel mal à l’aise et une partie de lui savoura cela. Mitchell avait parfois trop tendance à agir comme un boy-scout, s’enthousiasmant trop rapidement et restant en même temps enfermé dans l’esprit militaire et les règles.
Sam lui avait dit que cela leur avait joué quelques tours, même si elle reconnaissait qu’il commençait à comprendre comment les choses fonctionnaient au SGC et surtout au sein de SG-1. Il était plus que temps qu’il apprenne à compter sur ses coéquipiers et à avoir confiance en leur jugement plutôt que de suivre le manuel du parfait petit soldat tout en voulant paraître détaché.
Le colonel reprit en indiquant le MALP :
- Je m’occupe de ça puis j’irai scanner les environs avec Teal’c pour s’assurer que Ba’al n’a pas eu l’idée de revenir ici comme par hasard. Vous pouvez nous accompagner mais sinon je suis sûr Daniel et Vala seront ravis que vous veniez avec eux pour *solidifier les liens* avec nos hôtes, dit-il ironiquement.
L’archéologue tourna vivement la tête en entendant la remarque au ton narquois de son chef d’équipe.
- Je croyais que c’était Teal’c qui devait rester avec moi ! se récria-t-il.
- Il avait promis de me raconter quelques blagues Jaffas l’autre jour et je pense que c’est une bonne occasion, rétorqua le colonel. Dans la mesure où Vala et vous savez parfaitement vous défendre et qu’en plus vous avez l’habitude de travailler ensemble, je pense qu’il ne devrait pas y avoir de problèmes.
Jack avait haussé les sourcils en entendant dans quel pétrin venait de se fourrer Mitchell sans même en avoir conscience. Hors de question qu’il subisse ça, il préférait abandonner son subordonné à son triste sort. Peut-être aurait-il dû l’avertir tout de même…
Tant pis, cela lui ferait les pieds !
Il se tourna vers Daniel qui était manifestement parvenu à la conclusion que Jack allait rester avec lui mais qui le suppliait néanmoins du regard pour s’en assurer. Il semblait appréhender de devoir se retrouver seul avec la jeune femme.
Cependant le général n’était pas sûr que sa présence à leurs côtés fût une bonne chose pour autant. Certes, la discussion qu’ils avaient eue avant de franchir la porte leur avait prouvé qu’il n’y avait pas vraiment de malaise entre eux.
Mais il n’était tout de même pas très emballé à l’idée de se retrouver en tête à tête avec son meilleur ami et Vala, laquelle entretenait des rapports plus qu’ambigus avec ce dernier. Cela poussait un peu trop loin le vaudeville.
- Dans la mesure où je pense aussi que Daniel est tout à fait capable de gérer une soirée en compagnie de Vala, je ne vois aucune raison pour moi de les accompagner. Et même si j’apprécie votre compagnie, rajouta-t-il devant l’air furieux de l’archéologue, j’ai assez donné dans les discussions avec les chefs de village, désolé.
- Vous nous accompagnez donc, dit Mitchell d’un air enjoué.
- En fait non, répondit Jack avec une mimique d’excuse. Bien que la perspective d’une petite balade me tente, je dois avouer que les blagues de Teal’c n’ont pas la même saveur quand on les connaît déjà. Et comme je l’ai dit, j’aime beaucoup l’astronomie, je vais donc faire la folie d’aller rejoindre l’équipe scientifique, en espérant qu’ils accepteront de parler un dialecte que je puisse comprendre.
Mitchell fronça légèrement les sourcils mais il parvint à dissimuler son étonnement et surtout sa déception de ne pas le voir les accompagner derrière un sourire. Il fit signe à Teal’c qui venait vers leur groupe en compagnie de Vala pour lui indiquer qu’il le rejoignait et qu’il était inutile qu’il avance davantage. Vala stoppa elle aussi sa progression, ne sachant manifestement pas ce qu’elle devait faire, probablement parce qu’elle n’avait pas écouté au briefing. Si elle y avait seulement assisté… Mitchell leva les yeux au ciel, salua Jack et Daniel et entreprit de rejoindre les deux autres membres de son équipe. Après avoir échangé quelques mots avec eux, il s’éloigna en compagnie du Jaffa.
L’archéologue profita de ce que la jeune femme ne les avait pas encore rejoints pour adresser un regard furibond à son meilleur ami et celui-ci haussa les sourcils.
- Je pense réellement que je serai mieux avec les scientifiques, se défendit le militaire. Et si vous n’êtes pas satisfaits par les choix de Mitchell, je vous signale tout de même que nous venons de le laisser seul avec un Jaffa décidé à partager son sens de l’humour. Vous êtes sans aucun doute vengé…
L’archéologue sourit malgré lui à l’évocation du calvaire que Cameron allait endurer. Quand le sujet des blagues jaffas avait été évoqué quelques jours auparavant, Sam et lui s’étaient tu d’un accord tacite et même si la plaisanterie n’était pas très subtile, il se réjouissait d’avance de la tête que Mitchell aurait en revenant de son tour avec Teal’c. Il avait pris goût à taquiner le militaire et Jack avait raison, ce serait sa petite vengeance personnelle.
- Je suppose que nous pourrons passer du temps ensemble plus tard, dit-il doucement.
Jack se contenta d’acquiescer. Ils prendraient le temps après la mission, que ce soit pour boire une bière ou simplement pour discuter dans le bureau du jeune homme. Pour le moment, il était préférable qu’il se rende auprès de sa compagne.
L’archéologue le comprenait parfaitement et s’il appréhendait cette soirée en compagnie d’autochtones qui les vénéraient et de Vala qui allait sûrement prendre plaisir à cela, il savait aussi que son ami avait des priorités et qu’elles étaient légitimes.
- Je survivrai, allez donc admirer les étoiles, finit-il par dire à Jack alors que la jeune femme brune les avait enfin rejoints.
- Méfiez-vous tout de même de la nourriture locale… Vala, rajouta le militaire en se tournant vers cette dernière, je vous charge de surveiller son verre par la même occasion, il supporte très mal les alcools extraterrestres.
Et il quitta les deux membres de SG-1 avant que Daniel n’ait eu le temps de protester.
Le trajet qui le séparait de la prairie où se trouvait l’équipe scientifique lui sembla trop court et il arriva auprès d’eux sans avoir eu le temps de préparer une explication. Bien sûr, il avait réellement envie d’observer la comète. Mais c’était avant tout pour parler à Sam qu’il se trouvait là.
Celle-ci leva les yeux à son approche et se raidit imperceptiblement.
Une partie d’elle avait envie d’aller à sa rencontre et de tenter de recoller ce qui pouvait l’être, mais l’autre partie était encore blessée par les événements de la veille.
Il faudrait pourtant qu’ils parlent… Seulement cette discussion les mettrait face à certains problèmes qu’ils ne pouvaient plus nier et cela risquait d’avoir beaucoup de conséquences.
Elle l’aimait, de cela elle était sûre. Mais ils s’étaient éloignés. Ou plutôt lui s’était éloigné. Il s’était installé à Washington alors même qu’ils venaient d’entamer cette relation. Bien sûr, c’était elle qui était partie la première, acceptant ce poste en zone 51. Mais elle avait toujours eu l’intention de revenir, il fallait juste qu’elle s’éloigne un peu du SGC pour faire le point après les événements qui avaient eu lieu. Elle était cependant revenue à Colorado Springs pratiquement tous les week-ends, logeant chez ses amis. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un de ces séjours qu’elle et Jack avaient décidé de se donner une chance.
Puis, alors qu’elle songeait à redemander son transfert au SGC, s’estimant prête à reprendre sa vie, il avait été muté à Washington. Cela lui avait bien fait un peu peur au début mais elle avait vite constaté que le lien qui les unissait restait toujours aussi fort et que l’éloignement ne faisait que rendre encore plus précieux les moments qu’ils passaient ensemble. Au début du moins. Elle avait en effet sauté sur la première occasion de revenir dans le Colorado, espérant qu’être au SGC la rapprocherait un peu de lui puisqu’il en était directement responsable. Mais l’éloignement physique était resté le même, s’accompagnant même d’un éloignement moral de plus en plus grand.
Il était loin d’elle, de ce qu’elle vivait, il comprenait moins qu’avant ses peurs et ses joies. Et les rares moments qu’ils passaient ensemble ne parvenaient plus à combler le fossé. Si leur amour était intact, le lien qui les unissait s’était lui distendu.
Il n’était pas le seul à blâmer, elle devait le reconnaître. Certes, il n’était plus là, du moins plus de la même façon, et il ne semblait pas s’en apercevoir. Mais elle avait aussi fait l’erreur de laisser les non-dits s’installer. Elle aurait pourtant dû se méfier, ils avaient toujours eu du mal à communiquer et les silences avaient plombé leur relation pendant près de dix ans. Mais elle avait préféré prendre sur elle, se dire qu’il s’agissait tout de même de leur devoir et de la survie de la Terre, et qu’ils pourraient toujours commencer à vivre quand il obtiendrait sa retraite. Ce n’était pas si loin, elle pouvait bien attendre et cela permettait à leur relation de ne pas aller trop vite...
Encore une fois, elle avait fait passer l’armée avant elle, remettant à plus tard ce bonheur qui lui échappait depuis si longtemps.
Les astronomes avaient levé les yeux à l’approche de Jack et Sam sentit les regards se poser sur elle. Elle se donna une contenance et tenta d’agir normalement. Il était hors de question qu’une quelconque tension transparaisse dans leur attitude. Elle avait toujours mis un point d’honneur à être professionnelle en mission et elle n’avait pas l’intention de changer cela.
Elle remit tout de même nerveusement en place une mèche de cheveux et vint à la rencontre de Jack.
- Mon général ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle voulait ferme.
Le militaire tiqua à l’emploi du grade et elle sentit qu’elle l’avait blessé. Il se reprit cependant rapidement et tenta d’expliquer sa présence sur place.
- Teal’c et Mitchell sont partis faire un tour de reconnaissance, Vala et Daniel sont avec le chef du village, donc je me suis dit que je ne serais pas plus mal ici. Tu étais toute seule pour assurer la sécurité en plus…
Le silence lui répondit.
- Je veux dire, reprit-il comme pour se justifier, je sais que tu es tout à fait capable d’assumer tout ça mais j’avais envie d’observer la comète et…
Il s’arrêta en pleine phrase, frustré de la présence par l’équipe scientifique qui pouvait entendre la conversation. Il aurait voulu lui dire qu’il était aussi là parce qu’il avait besoin de lui parler mais elle n’aurait pas apprécié qu’il parle de cela devant d’autres personnes. Lui non plus n’avait pas envie d’étaler sa vie privée de toute façon.
Il tenta un haussement de sourcils significatif, espérant qu’elle comprenne. Cela aurait été plus simple s’ils ne s’étaient pas disputés avant… Là, leur communication lui paraissait artificielle, forcée.
Sam sembla néanmoins saisir la véritable raison de sa présence et chercha des yeux un moyen de s’éloigner avec lui qui paraisse naturel. Elle aurait tout simplement pu laisser là les astronomes mais elle se sentait déjà suffisamment mal à l’aise et n’avait pas envie de subir les regards des curieux.
Elle avisa la lunette astronomique qui se trouvait à côté d’elle et se tourna vers un des scientifiques :
- Jason, en attendant que la nuit tombe complètement et que vous ayez terminé de régler le télescope, je vais faire quelques observations préliminaires avec le général O’Neill. J’ai besoin d’utiliser des lumières donc nous allons nous éloigner pour ne pas vous gêner.
L’explication était un peu bancale mais l’astronome acquiesça néanmoins d’un mouvement de tête et se replongea dans ses réglages avec ses collègues.
Sam attrapa la lunette, une lampe et un sac contenant du matériel, avant de s’enfoncer plus en profondeur dans la prairie, Jack sur ses talons.
Un silence inconfortable s’était installé entre eux mais aucun n’avait le courage de faire le premier pas pour le briser. Il y avait tant à dire, de la rancœur, des regrets, des peurs aussi.
Jack n’avait jamais douté de leur couple pendant les dix ans qui avaient précédé, et ils n’étaient pourtant pas ensemble. Ils avaient bien sûr tenté de nier, ils avaient même essayé de se construire des vies. Mais au fond, il lui restait cette certitude : elle était là pour lui et lui pour elle. Il avait eu peur quand elle avait accepté d’épouser Shanahan, mais même à ce moment il avait su qu’il avait toujours une place dans son cœur. Il voulait juste qu’elle ait l’occasion d’avoir une vie normale, si c’était ce qu’elle souhaitait le plus.
Et puis il y avait eu cette victoire inespérée. Ce qu’ils avaient bâti pendant dix ans s’était écroulé, laissant apparaître l’évidence : ils seraient toujours là l’un pour l’autre et il n’y avait pas de place pour autre chose au milieu. Cela avait pris encore quelque temps pour qu’ils l’acceptent complètement, mais c’était de toute façon inévitable. Et il avait eu l’impression de l’avoir toujours su.
Sauf qu’il y avait l’après, la partie qui n’est jamais mentionnée dans les contes. « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », c’était un peu court pour résumer les années de vie commune qu’ils allaient partager.
Et alors qu’il n’avait pas douté qu’un « nous » était possible, il se demandait maintenant pour combien de temps…
Ce fut finalement Sam qui brisa le silence, ralentissant le pas pour se trouver à hauteur de son compagnon.
- Jack… commença-t-elle sans pourtant finir sa phrase.
Celui-ci se tourna vers elle, cherchant ses yeux malgré l’obscurité. Il pouvait sentir la nervosité de la jeune femme. Le silence était revenu, aussi inconfortable qu’auparavant. Il l’entendit soupirer alors qu’elle détournait la tête.
Elle accéléra à nouveau sa marche, comme pour chercher à le distancer mais il saisit doucement son bras, l’empêchant de s’éloigner de lui. Ils s’arrêtèrent et d’une légère pression, Jack força sa compagne à lui faire face. Elle se laissa docilement faire, acceptant enfin de lever les yeux sur lui. La nuit était tout à fait tombée maintenant et seules les étoiles les éclairaient. Il devina pourtant sans aucune difficulté l’expression de son visage, comme si tout son être criait ce qu’elle ressentait sans que les mots parviennent pour autant à franchir le barrage de sa gorge.
- Je suis désolé, murmura-t-il.
Elle ne répondit pas immédiatement, se contentant d’observer la silhouette qui lui faisait face.
Le soupir que Jack s’apprêtait à lâcher mourut sur ses lèvres quand il sentit la main de Sam se poser doucement sur son visage. Ses doigts redessinèrent lentement ses pommettes et la courbe de sa mâchoire avant de venir effleurer ses lèvres avec douceur. Il sentit son cœur s’emballer ridiculement sous la sensation et la pensée qu’ils possédaient quelque chose de rare s’imposa à lui.
Qu’importe ce qu’elle allait lui dire ou lui demander, il était décidé à se battre pour conserver ce qu’il avait. Il ignorait ce qui suivrait, mais il n’était tout simplement pas prêt à la perdre. Pas quand elle était encore capable de faire naître de telles sensations dans son ventre et son cœur, qu’elle pouvait lui donner cette impression indescriptible d’être vivant.
Le temps des concessions était peut-être venu, mais malgré la crainte de ce qui s’ouvrait devant lui, il se sentait plus prêt que jamais à l’affronter.
- A quel moment avons-nous fait fausse route ? demanda la jeune femme dans un murmure.
- Je ne sais pas, répondit-il. Je commence à me demander si nous n’avons pas en fait emprunté deux chemins parallèles. Tu étais à mes côtés mais la destination n’était pas la même…
- J’ignore pourquoi je n’ai pas voulu le voir…
Elle se tut un instant et eut un petit rire amer.
- Nous n’avons jamais été doués pour la communication, reprit-elle. Là encore je ne sais pas pourquoi.
- Je n’ai pas toutes les réponses Sam, je pensais que nous avions fait des progrès. Je ne voulais pas voir les problèmes non plus.
- Manifestement, nous avons encore peur, constata-t-elle
- Peur de quoi ?
- De nous, répondit-elle doucement. Nous sommes effrayés par la perspective d’être heureux mais aussi de souffrir. Peur de vivre, tout simplement.
Elle affirma le contact de sa main sur son visage, caressant lentement sa joue. Il ferma les yeux, savourant la sensation.
Encore une fois, ils avaient préféré communiquer avec les gestes plutôt qu’avec les mots…
- Peut-être serait-il temps d’arrêter de fuir, dit-elle en lui saisissant doucement le poignet. Tu penses que l’on peut y arriver ?
- A faire se rejoindre nos routes avant de s’être trop éloignés ? Je n’en doute pas une seconde, répondit-il, alors qu’il enlaçait ses doigts avec ceux de Sam. Il existe toujours des chemins de traverse.
Elle sourit et un soupir apaisé s’échappa de ses lèvres.
- Mais pour vivre, reprit Jack, il va nous falloir accepter d’emprunter la route ensemble. Et deux voyageurs ne peuvent pas savoir où ils vont s’ils ne se guident pas mutuellement…
Sam inspira et expira lentement. Ses doigts serrèrent fermement ceux de Jack et ses yeux scrutèrent son visage dans l’obscurité.
- Je veux que tu reviennes à Colorado Springs, dit-elle calmement. Cela ne pourra pas marcher si nous sommes éloignés et je suis lasse de toujours reporter mon bonheur au lendemain.
- Je n’aurais jamais dû accepter ce poste, répondit-il au bout de quelques secondes, des regrets dans la voix.
- Là n’est pas la question, rétorqua-t-elle. Nous avons tous les deux fait des erreurs.
- Cela prendra peut-être encore un peu de temps Sam…
Elle s’en moquait. Elle était prête à patienter encore quelques mois, du moment qu’il revenait. Du moment qu’ils commençaient enfin à s’investir.
Il paraissait décidé à sauver leur couple et cela calmait ses peurs. Bien sûr, ils auraient encore beaucoup à discuter et tout ne serait pas facile. Mais ils avaient tous deux conscience de ce qui leur manquait et elle savait qu’ils sauraient tirer les leçons de leurs erreurs.
Elle se rendait maintenant compte à quel point ils avaient évité les discussions importantes. Certes, ils avaient fait des progrès de communication pendant cette année, mais les sujets concernant l’avenir avaient été évités d’un accord tacite. Ils n’avaient jamais mentionné l’idée d’une maison commune, d’un mariage, d’un chien même. Sans parler d’un enfant… Elle s’était dit que cela n’avait pas d’importance, qu’elle n’avait qu’à profiter de ce que leur couple lui offrait pour le moment. Le reste viendrait plus tard, pensait-elle. Et après tout, le rêve et la réalité devaient être séparés. Elle n’allait pas forcément trouver le bonheur dans un conte de fées, il était dans le présent.
Elle avait eu tort. Bien sûr, le bonheur se trouvait dans la réalité et pas dans des chimères. Mais ils ne pouvaient pas vivre leur relation au jour le jour, il leur fallait des projets communs, d’autres façons de maintenir leur lien et d’être en accord. Que leur couple ait un sens. Sans cela, elle pourrait longtemps attendre ce bonheur.
Elle avait enfin la possibilité d’avoir ce qu’elle voulait. Ce que son père avait compris bien avant elle…