Il gisait sur le dos, les bras en croix. Sa souffrance était indicible. Des papillons noirs voletaient devant ses yeux, réalité ou reflet de son délire ? Il ne le savait pas. La terre spongieuse de tant de pluie lui faisait une couche moelleuse. Il s’y enfonçait n’arrivant pas à émerger. Seule la douleur était pour lui réalité.
Une douleur aiguë à la limite du supportable.
La pluie recommençait à tomber, elle lavait sur son corps le sang séché, de nombreuses blessures. Un brouillard l’enveloppa et la souffrance recula telle une bête hideuse qu’il aurait réussi à dompter. Mais avec la fin de la souffrance c’était le début d’une longue agonie qui commençait. Seul au milieu de nulle part il lui restait suffisamment de conscience pour réaliser que sa vie se terminerait sans doute ici. La vie, la lumière avaient disparu pour lui, le gouffre des ténèbres s’ouvrait à ses pieds, il y plongea.
*****
Base de Cheyenne Mountain.
Le flux d’énergie se déstabilisa, la porte émit de sourds grondements, puis le vortex se désactiva comme Cameron passait la porte en roulant sur la rampe.
Il se releva en gémissant.
Devant lui, le général, les hommes de son équipe, Daniel et Teal’c, puis Sam, et ceux de l’équipe de secours, Grogan et Hailey.
Un profond silence avait envahit la salle. Un silence inhabituel pour un retour de mission.
Cameron passa la main dans ses cheveux, il était sonné par son atterrissage un peu brutal et avait un peu de mal à rassembler ses esprits.
-Tout le monde est là ? dit-il machinalement.
-Où est le général O’Neill ? demanda Landry d’une voix sèche.
Cameron parcourut du regard les visages graves devant lui.
-Mais je suis passé le dernier ! Il n’y avait personne derrière moi !
-En êtes-vous sûr ? demanda Daniel Il y avait un tel brouillard !
-Le général O’Neill n’est pas rentré ? balbutia Cameron encore perturbé.
-Siler ! envoyez un MALP, dit Landry.
-A vos ordres mon général, dit le sergent.
Les chevrons s’enclenchèrent. Chacun retint son souffle !
Le septième chevron accrocha et dans un bruit de décélération la porte redevint silencieuse.
-Au rapport immédiatement dit Landry.
Le briefing fut bref et lugubre. Landry se fit raconter l’essentiel de la mission. Les intempéries avaient brouillé les cartes, rendant le général O’Neill invisible aux yeux des deux équipes. Il n’avait pas eu le temps de passer la porte. Celle-ci devait être détruite.
Aucun moyen de savoir ce qu’était devenu O’Neill. Peut être était-il seulement coincé de l’autre côté. Mais le plus vraisemblable était qu’il avait du être dans l’impossibilité de rentrer. Sans doute blessé par l’explosion, ou peut être même tué.
-Dès que le Dédalus sera revenu d’Atlantis, nous enverrons une mission de secours.
-Dans combien de temps.
-Pas avant plusieurs semaines, dit Landry en voulant couper cours à tout commentaire.
Laboratoire de Sam.
Elle était assise à son bureau, une petite lampe éclairant ses traits fatigués. Mille fois elle retournait dans sa tête la scène du retour. Les jaffas, la porte qui s’ouvre, elle entend Cameron lui dire de passer, puis il court derrière elle. Impossible de distinguer quoique ce soit dans un tel brouillard. Les tirs, le fracas des armes, résonnaient encore dans son crâne.
Le retour mouvementé sur la passerelle, et cette griffe d’acier lui labourant le cœur quand elle s’était rendue compte que le général n’était pas là.
Qu’est ce qui avait pu se passer ? Cameron avait parlé de bombardements, elle avait senti nettement le sol trembler sous ses pieds, puis le jeune colonel était rentré de justesse, croyant qu’ O’Neill était devant. Quelle méprise !
Elle lui en voulait. C’était lui le chef de l’expédition. Il avait fait une erreur de débutant ! Cela n’aurait peut être rien changé, ils y seraient restés tous les deux ! mais c’était son devoir et il ne l’avait pas fait.
-Sam !
Elle s’essuya les yeux furtivement, et accrocha un sourire sur ses lèvres.
-Oui Daniel, je suis là dit-elle en ouvrant un dossier.
-Vous travaillez peut être ?
-Je lisais un rapport dit-elle d’une voix lasse en montrant le dossier.
-Comme ça, ce serait mieux, non ? fit doucement Daniel en retournant le dossier à l’endroit.
-Oh !
-Vous devriez aller dormir !
-Je ne peux pas souffla t-elle incapable de répondre à haute voix, tant sa gorge était serrée.
-ça ne sert à rien de rester là à vous ronger les sangs, la porte de la planète a sûrement été détruite dans l’explosion. Il faut attendre que le Dédalus le ramène.
-Oui, je sais, mais ne pas savoir s’il est vivant ou mort est insupportable.
-Il n’y a pas de honte à pleurer Sam assura Daniel.
Aussitôt des larmes jaillirent de ses yeux.
-Excusez moi dit-elle ne se mouchant, c’est plus fort que moi !
Sam se leva et fut prise d’un vertige, les murs du labo se rapprochaient dangereusement, elle ferma les yeux un instant, cela passa mais quand elle les rouvrit elle vit les objets fluctuer, devenir flous une seconde. Puis tout rentra dans l’ordre.
-Sam ! ça va ? s’inquiéta Daniel la voyant toute pâle.
-Oui murmura t-elle, c’est juste un vertige…
-A quand remonte votre dernier repas ? s’informa t-il avec sévérité.
Elle eut un pâle sourire,
-Hier soir je crois…
Il ouvrit de grands yeux :
-Vous avez vu l’heure ? vous n’avez rien pris de la journée !
-Je n’ai pas faim, dit-elle faiblement.
-Ça n’a aucune importance, faim ou pas il faut vous nourrir. Je vous emmène au mess manger un morceau.
Elle fit un vague geste de la main montrant son bureau et ses expériences en cours.
-Mais…
Sans répondre il la prit fermement par le bras et referma la porte du labo derrière lui.
-Et vous allez prendre un vrai repas, pas seulement de la jello bleue…
Au moment où Daniel posa son plateau sur la table, il fut lui aussi victime d’un étrange phénomène. La pièce fluctua autour de lui, les gens assis aux tables disparaissaient dans une sorte de brume, les voix s’ estompèrent. Il posa maladroitement son plateau et du jus de fruit coula sur la table.
-Daniel ! s’inquiéta Sam en voyant le jeune homme trembler légèrement .
Il ouvrit des yeux un peu égarés sur Sam et vit nettement devant lui son regard bleu légèrement écarquillé, alors le paysage alentours se fondait dans une brume blanchâtre et mouvante.
Une fraction de seconde plus tard tout s’éclaircit à nouveau.
-Tout va bien Sam, enfin je crois. J’ai eu un vertige.
-Vous aussi, dit-elle, amusée et vous n’avez pas mangé depuis combien de temps ?
-Ça n’a rien à voir, je me nourris normalement, moi !
-Vous devriez peut être aller à l’infirmerie ?
-On y va tous les deux dans ce cas.
-Non,non, moi je sais pourquoi j’ai vu les murs danser autour de moi… dit-elle en montrant la nourriture de son plateau.
-J’irai si ça se reproduit, dit-il en attaquant sa salade de pommes de terre.
Mais cela ne se reproduisit plus.
Le moral de Sam était au plus bas. Cela faisait maintenant plus de trois semaines qu’ils étaient rentrés, et ne pas savoir ce qu’était devenu le général O’Neill était insupportable. Son esprit divaguait la plupart du temps en vaines conjonctures et elle se savait sur la mauvaise pente, moins attentive à son travail, moins efficace aussi.
-Sam ! appela la voix douce de Daniel
Elle eut un frisson et revint à la réalité.
-Vous êtes encore là-bas n’est ce pas ?
-Je me demande ce que nous avons raté, soupira t-elle.
-Mais rien du tout, il y a eut un tremblement de terre, la situation était incontrôlable, c’est un miracle que nous…
Un regard bleu glacial l’empêcha de terminer sa phrase, naturellement elle était maladroite, l’un d’entre eux n’était pas rentré.
-Si seulement il n’y avait pas eu ce maudit brouillard ! ajouta t-elle toujours plongée dans ce passé douloureux.
-Vous lui en voulez ?
-A qui ?
-A Cameron ?
-Au début, oui , maintenant je vois les choses différemment , il ne voyait pas plus que nous et se croyait le dernier.
-Il vous manque n’est ce pas ? ajouta Daniel d’une voix douce
Elle leva sur lui un regard tragique, la gorge serrée elle ne put que hocher la tête.
Il la prit gentiment dans ses bras et elle s’accrocha à lui. Des larmes coulaient de ses yeux. Oh oui il lui manquait ! A un point qu’elle n’aurait jamais imaginé ! c’était une souffrance de tous les instants, comme si quelqu’un s’amusait à lui arracher le cœur lambeau par lambeau.
Serrée contre Daniel elle ne pouvait pas parler. Mais point besoin de mots entre eux, leur amitié était si forte qu’ils se comprenaient d’un geste, d’un regard.
Il l’écarta de lui et la regarda maintenant ses mains sur ses bras.
-Quand allez vous enfin admettre que vous l’aimez ?
-Non, j’ai l’impression que je contrôle mieux si ça reste hors des mots. Le dire me plongerait encore plus loin dans la douleur. Et puis à quoi bon ? Même s’il revient, il repartira à Washington et je ne le verrai plus.
-Washington n’est pas si loin ! Et puis vous n’êtes plus dans la même chaîne de commandement, vous y avez pensé ?
-C’est beaucoup plus compliqué que cela Daniel murmura t-elle d’une voix cassée par l’émotion.
Tellement compliqué qu’elle avait du mal à dénouer l’écheveau de leur relation si complexe. Elle l’aimait, oui ! le problème n’était pas là ! Il venait de lui qui ne voulait pas s’engager. La mort de son fils avait été dévastatrice et avait tout brisé en lui, l’empêchant par là même de reconstruire quelque chose. Il vivait en permanence sur des ruines, et ne pouvait pas, ou ne voulait pas en sortir. Il paierait sa faute jusqu’à la fin de son existence. Même s’il éprouvait quelque chose pour elle, cela ne changerait rien. Il avait cadenassé son cœur de façon irrémédiable.
Par un certain manque d’honnêteté elle s’aveuglait sur son propre cas, ne voulant pas prendre conscience que son côté à elle tout n’était pas rose. Au fond de son cœur elle savait qu’elle portait la mort à tous ces amants, ou à tous ceux qui s’étaient approchés trop près d’elle et avaient brûlé leur ailes à son contact. Seul Pete était un rescapé, mais elle l’avait quitté avant que cela ne tourne mal.
A cet instant, face à Daniel rien n’aurait pu la consoler de la perte de Jack. Le savoir vivant et à l’abri était tout ce qui comptait pour elle. Elle aurait donné sa vie pour le voir passer la porte sain et sauf.
Le jeune homme savait tout cela. Il avait vécu trop longtemps à leurs côtés et son œil observateur n’avait rien perdu. Il avait toujours l’air d’être ailleurs, dans un rêve archéologique, mais il n’en était rien. Il connaissait la douleur de ses amis et la torture constante qui était la leur de ne pouvoir rien construire entre eux.
Silencieusement il quitta le labo de Sam la laissant à ses rêves douloureux. Il resta un instant sur le pas de la porte à la regarder un moment, silhouette pâle éclairée par les flash des moniteurs, puis il se détourna et se dirigea vers la salle de briefing où l’attendait le général Landry.