Citations du moment :
Il faut rire de tout. C'est extrêmement important. C'est la seule humaine façon de friser la lucidité sans tomber dedans.
[Pierre Desproges]
Imagine

La rupture : Chapitre 5

 

 

 

Sam savait que sa réaction était trop extrême, qu’elle aurait dû réfléchir avant de faire quelque chose qu’elle allait forcément regretter.

Mais étrangement, depuis la veille au soir, elle était comme déconnectée de la réalité. Son esprit continuait de fonctionner – un peu trop justement – mais c’était comme si son corps obéissait aux injonctions les plus saugrenues de son cerveau. Elle d’habitude si réfléchie, s’était soudain mise à écouter ses impulsions, sans chercher à trop comprendre.

 

Ce n’était pas normal, elle en avait bien conscience. Il aurait fallu qu’elle se calme et qu’elle réfléchisse à tout cela de façon objective.

Elle n’y parvenait pas.

Depuis que Vala avait annoncé que Jack était en ville, elle était passée par tous les états. La surprise, l’inquiétude, la peur, la colère. Elle n’avait pas dormi de la nuit et se sentait au bord de la crise de nerfs. Elle détestait se sentir impuissante, ne pas savoir.

 

Pourquoi était-il ici ?

 

Alors elle avait décidé d’agir, peut-être pas de façon avisée cependant.

Elle avait d’abord vérifié qu’il n’était effectivement pas chez lui. Plusieurs fois même, toujours en numéro caché et à des horaires plus ou moins convenables. S’il avait répondu, elle aurait raccroché : il n’aurait jamais su et elle aurait été rassurée d’apprendre que Vala s’était trompée.

Mais toute la nuit, elle n’avait eu que son répondeur. Idem le matin. L’idée l’avait alors effleurée qu’il avait pu passer la nuit dehors mais elle l’avait bien vite rejetée. Elle n’avait pas cherché à analyser cette réaction-là non plus.

 

Elle était totalement puérile. Ridicule.

 

Elle avait alors cessé de nier l’évidence : il était à Colorado Springs, elle le savait. Une sorte d’instinct lui dictait qu’il ne pouvait être parti dans son chalet ou ailleurs. Trop d’indices, trop de coïncidences : il était revenu.

 

 

Et depuis qu’elle l’avait compris, c’était le « pourquoi ? » qu’elle retournait en permanence dans sa tête. Une partie d’elle ne voulait y voir qu’un hasard mais là aussi, cela faisait trop. S’il était là, c’était à cause d’elle et de ce qu’elle avait dit ou fait la semaine dernière.

 

 

Une bouffée de colère la submergea à nouveau et Sam se força à respirer pour se calmer.

De la colère, ce sentiment qu’elle connaissait si peu. Une sorte de rage qui l’avait envahie une fois l’inquiétude et la peur passées. La sensation ne disparaissait pas, au contraire, c’était comme si chaque heure passant l’attisait.

Elle s’était rarement sentie dans un état d’énervement pareil. Jamais probablement.

 

Il foutait tous ses plans et ses espoirs en l’air et elle le détestait pour cela. C’était justement pour éviter qu’une telle situation se produise qu’elle était venue mettre un terme à leur histoire le week-end précédent. Elle voulait en finir avec lui et cette histoire, une bonne fois pour toutes.

Et lui avait manifestement refusé cet état de fait et prenant sa visite comme une invitation tordue, il débarquait maintenant à Colorado Springs. Pourquoi ? N’avait-il pas compris qu’elle était fatiguée de tout cela, que tout était terminé ? Elle qui pensait avoir écrit le mot « fin », elle s’était encore leurrée.

Pourquoi lui faisait-il ça à nouveau ? Alors qu’il n’avait pas donné signe de vie en trois ans !

 

Elle voulait juste qu’il sorte de sa vie.

 

Alors elle était en colère contre lui, parce que cela lui évitait de penser à autre chose. Elle cultivait cette rage qui l’avait envahie.

Parce qu’elle refusait qu’elle laisse la place au moindre espoir.

 

 

Secouant la tête, Sam claqua la portière de sa voiture et se dirigea d’un pas rapide vers l’entrée de l’immeuble.

Elle ne savait pas la raison de la présence de Jack en ville, mais quoi qu’il ait prévu de faire la concernant, elle allait court-circuiter sa démarche.

 

Elle l’avait fait sortir de sa vie et elle ne le laisserait pas entrer de nouveau.

 

 

Les trois coups qu’elle frappa contre la porte étaient presque violents et elle s’intima l’ordre de se calmer. Elle n’était là pour agresser personne, juste pour mettre les choses au point. Clairement et sans se laisser submerger par les émotions.

 

Elle n’entendait rien à travers l’épaisseur de bois mais une vingtaine de secondes plus tard, le visage de Daniel apparaissait dans l’encadrement de la porte. Il n’avait pas ouvert entièrement, comme pour l’empêcher d’entrer. Forcément.

 

-         Sam ? fit l’archéologue étonné.

 

Elle n’avait même pas envie de lui sourire, c’était signe qu’elle n’était plus dans son état normal. Mais après tout, elle était aussi en colère contre lui : elle pouvait comprendre qu’il accueille Jack sans rien en dire, mais il avait aussi trop parlé à Vala. Et à vrai dire, elle lui en voulait un peu pour cela, d’autant qu’elle lui avait toujours fait confiance.

 

Devant son silence, le jeune homme fronça les sourcils et lâcha le battant de la porte qu’il tenait jusqu’à présent.

 

-         Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il d’un ton inquiet.

 

Elle se mordit la lèvre et respira un coup pour dominer ses émotions. Ce n’était pas à Daniel de subir ses foudres, mais elle allait tout de même s’assurer qu’il passe son message. Il avait l’air suffisamment au courant et elle n’avait pas envie de voir Jack de toute façon.

 

-         J’étais juste passée vous dire quelque chose, fit-elle d’une voix qu’elle espérait neutre.

 

Il se retourna un peu pour jeter un regard tendu derrière lui puis reporta ses yeux sur elle :

 

-         Vous voulez entrer ? demanda-t-il finalement avec une légère réticence, les bras croisés devant lui.

 

Elle eut un sourire amer.

 

-         Nous savons tous deux que ce n’est pas une bonne idée. Je veux simplement mettre les choses au point. Avec vous d’abord, parce que je dois avouer que vous m’avez déçue. Vala était au courant pour le week-end dernier et comme vous êtes le seul à qui je l’avais dit, la fuite ne peut venir que de vous, d’autant que je vous avais menti. Mais cela, vous devez déjà…

-         Sam, la coupa-t-il perplexe en s’avançant vers elle, qu’est-ce que…

-         Laissez-moi finir, l’arrêta-t-elle d’un geste. Vala est incapable de tenir sa langue, vous auriez dû faire plus attention. C’est d’ailleurs ce qui m’amène ici, puisqu’elle a aussi répété que le général était là.

 

Daniel ne chercha pas à cacher sa surprise mais Sam n’y prêta aucune attention et ne le laissa pas la couper à nouveau.

 

-         Je ne crois pas réellement aux coïncidences, continua-t-elle, et je n’ai aucune envie de le voir. Donc vous pouvez lui transmettre que quelque soit le but de sa présence ici, il est inutile qu’il vienne me voir. J’ai dit tout ce que j’avais à dire et je ne veux plus en entendre parler.

-         Sam, je ne suis pas sûr… commença-t-il avant qu’elle ne l’empêche encore de continuer

-         Daniel, passez juste le message s’il vous plaît. Je vous souhaite un bon week-end malgré tout. A lundi.

 

Elle tourna les talons après un bref salut de la main et s’éloigna rapidement dans le couloir, avant de disparaître aux yeux de l’archéologue qui était resté les bras ballants devant sa porte. Il se gratta le cuir chevelu et remonta ses lunettes d’un air perdu.

 

Il n’était pas sûr de ce qui venait de se dérouler devant lui, mais la lumière commençait à faire jour dans son esprit. Et il prenait peu à peu conscience que la situation n’était certes pas « grave » mais qu’elle était beaucoup plus complexe que ce qu’il avait imaginé.

 

Lentement, il entra dans son appartement et se dirigea en silence vers la cuisine où il avait laissé Jack en train de lire le journal.

 

 

Celui-ci était d’une pâleur inhabituelle et évita son regard. Avec la porte ouverte, il avait sans aucun doute deviné l’identité du visiteur et peut-être même entendu une partie de la conversation.

Daniel soupira et se servit une tasse de café en silence. Ils pouvaient ne pas en parler, mais il savait que ce n’était pas la bonne solution. Et il avait franchement envie de comprendre toute l’histoire cette fois.

 

-         Il me manque encore une pièce du puzzle, commença-t-il d’un ton neutre en cherchant le regard de Jack. Si j’ai bien compris, Sam n’était pas dans le Nevada le week-end dernier.

 

Le silence lui répondit mais il était suffisamment éloquent.

 

-         Elle veut que vous sachiez que…

-         J’ai entendu.

 

L’archéologue se passa la main sur le visage et secoua la tête.

Il ne pouvait pas dire qu’il était totalement surpris de la présence de liens particuliers entre Jack et Sam. Même sans preuve tangible ou certitude extrême, il savait qu’il y avait eu quelque chose. Il n’en connaissait pas la nature exacte et n’avait jamais été indiscret, respectant trop ses deux amis. Regards, paroles ou actes, il n’avait aucune idée jusqu’où tout cela avait été. Et bien que ne voulant que leur bonheur, il était conscient qu’une intervention de sa part aurait été très mal acceptée.

Il s’était contenté d’observer et parfois d’espérer, un peu.

 

Mais avec le temps, il avait fini par se rendre à l’évidence : entre les fiançailles de Sam et le départ de Jack pour Washington, il semblait clair qu’il n’y avait pas d’histoire et qu’il n’y en aurait jamais. Quelque chose s’était peut-être passé un jour entre eux, mais la page était tournée.

 

Il s’était apparemment trompé.

 

Le visage de Jack était fermé, impossible à déchiffrer. La raison de sa visite, celle qu’il avait choisie de taire, venait de lui refermer la porte au nez avant même qu’il n’esquisse un geste.

 

Le silence et la tension dans la pièce apparurent soudain intenables à Daniel et il se décida enfin à parler. Il n’avait pas voulu être impliqué, avait toujours mis un point d’honneur à ne pas l’être. Mais il se retrouvait au milieu sans l’avoir demandé et quoiqu’il en dise, Jack allait bien devoir faire avec. Et honnêtement, l’archéologue savait que cela ne ferait sûrement pas de mal.

 

-         Vous allez m’en parler ? demanda-t-il avec prudence.

 

Jack releva brusquement la tête, comme choqué que son ami ait seulement pu poser la question. Il n’était pas franchement réputé pour étaler ses états d’âme, alors parler de cela ! Le genre de discussion qu’ils n’avaient jamais eue, même au plus fort de leur complicité. Si on pouvait appeler cela une complicité d’ailleurs, songea le militaire.

Bien sûr, Daniel avait parlé de Sha’re, parce que c’était Daniel. Mais jamais dans les détails, cela ressemblait plutôt à des confessions pour se soulager, pour évacuer la douleur. Et une fois la jeune femme décédée et le deuil effectué, aucun des deux hommes n’avaient jamais plus abordé le sujet des femmes.

Trop intime, trop douloureux.

Alors déballer tout cela au bout de dix ans, alors qu’il n’en avait aucune envie, Jack ne s’en sentait pas capable. C’était juste trop… privé.

 

-         Je me fous de satisfaire ma curiosité, reprit Daniel d’un ton apaisant.

 

Le militaire roula des yeux.

 

-         D’accord, reconnut l’archéologue avec un petit sourire, j’adorerais connaître les détails. Mais j’ai parfaitement conscience que cela ne me regarde pas et je n’en mourrai pas si vous refusez d’en parler.

-         Je ne crois pas que cela en vaille la peine de toute façon, répliqua Jack.

-         Mis à part que cela vous a fait revenir à Colorado Springs.

 

Son ami ne nia pas et se contenta de soupirer.

 

-         C’était manifestement une mauvaise idée, finit-il par souffler. Je n’avais fait aucun plan d’ailleurs. Les choses sont sûrement mieux ainsi.

-         Arrêtez de me mentir et surtout, arrêtez de vous mentir. Les choses ne peuvent pas être mieux si aucun de vous deux n’a l’air heureux.

-         Daniel, fit Jack avec un sourire amer, vous n’avez aucune idée de ce qui s’est passé. Comment pouvez-vous en être sûr ?

-         Je vous connais tous les deux. Mais vous avez raison, je ne sais rien.

 

 

Le militaire ne répondit pas, laissant le silence se réinstaller. Il aurait pensé que Daniel serait plus curieux, plus incisif. Au lieu de cela, l’archéologue attendait qu’il se décide à parler, ayant manifestement compris que pousser son ami à la confidence ne servirait à rien.

Il n’avait pas envie d’en discuter, pas envie d’ouvrir à nouveau la blessure. La visite de Sam ne prouvait qu’une chose : il était temps de tourner la page. Réellement.

 

Sauf qu’il n’y parvenait pas. Et n’y parviendrait sans doute jamais.

 

En parler à Daniel et lui demander son avis était sans doute une solution rationnelle. Un regard extérieur est toujours bénéfique en cas de problème, car plus objectif. S’il était raisonnable, il lui en parlerait.

 

Sauf que le blocage était toujours là. Expliquer la vérité à Daniel, c’était accepter qu’il donne son avis. Qu’il puisse juger.

Et il n’avait aucune envie de cela.

Il n’avait aucune envie qu’on lui dise qu’il s’était créé des barrières pendant des années ou pire, qu’il avait été ridicule. Qu’il l’était toujours.

 

Parce que cela, il le savait.

 

Il entendit son ami soupirer et tourna les yeux vers lui. Daniel hésitait manifestement à reprendre la parole mais sembla finalement se décider après avoir pris une longue inspiration :

 

-         Je ne veux en aucun cas vous forcer, commença-t-il prudemment. Je sais que vous détestez l’idée de m’en parler et je suis prêt à accepter votre silence. Mais réfléchissez-y, parce que ce n’est certainement pas le déni qui vous rendra plus heureux. Et vous méritez d’être heureux.

 

L’archéologue s’arrêta, n’ayant pas envie de pousser trop loin. Il avait parfaitement conscience du terrain miné qu’il traversait et sans repères, c’était d’autant plus difficile.

 

Son ami n’avait pas desserré les dents mais Daniel espéra que les mots faisaient leur chemin. Après ce qu’il venait de voir, il savait qu’il était temps que les choses changent.

 

-         Je ne suis pas là pour juger, finit-il par dire. Ni même pour vous aider. Je suis juste là.

                       

 

Le silence lui répondit à nouveau et il se releva de la chaise où il s’était assis, sa tasse à la main. Il n’avait pas envie de ce café finalement.

Alors qu’il déposait le mug dans l’évier, la voix de Jack s’éleva dans son dos :

 

-         Il n’y a jamais rien eu entre elle et moi, commença-t-il sur un ton que Daniel eut du mal à reconnaître. Je veux dire, jamais rien de concret.

 

Le militaire se tut à nouveau, ne sachant pas par où commencer son histoire. Réticent même à la livrer.

L’archéologue finit par se retourner doucement et, sans un mot, se rassit face à Jack.

Celui-ci évita néanmoins son regard et, les yeux fixés sur sa propre tasse, reprit la parole.

 

-         Je ne sais même pas comment vous en parler, c’est tellement…

 

Il s’arrêta encore.

 

-         Compliqué ? tenta Daniel.

 

Jack roula des yeux. Cela paraissait plus qu’évident que son histoire avec Sam était compliquée. Elle et lui s’en étaient d’ailleurs donné à cœur joie pour la rendre telle.

 

-         Alors commencez par le plus simple, fit l’archéologue.

 

Est-ce qu’il y avait encore quelque chose de simple entre eux ? Le militaire inspira puis, après une légère pause, se lança dans son récit.

 

-         Il n’y a jamais rien eu de concret mais nous nous sommes vite aperçus qu’il y avait…  quelque chose. Quelque chose qui, peu importe sa nature exacte, n’avait pas à exister.

-         Vous n’en avez jamais parlé ?

 

Jack eut un sourire doux-amer. Et remercia Daniel de ne pas avoir rajouté « forcément » dans sa question.

 

-         Cela n’avait pas lieu d’être, alors nous avons sciemment évité le sujet pendant… longtemps. Mais le test Zatar’c n’est pas très compatible avec le déni, finit-il avec une légère grimace.

-         Le test Zatar’c ?

-         Vous demanderez à Teal’c. Toujours est-il que nous avons pris conscience de… la réciprocité des choses.

 

Dieu qu’il se sentait maladroit… Il n’arrivait même pas à employer les mots qu’il voulait.

 

-         Je crois que c’est là que tout s’est compliqué, continua-t-il comme à regret. Les règles venaient de changer et aucun de nous n’a su s’en accommoder. Le déni était toujours là, mais tout était brouillé. Tout l’est toujours.

-         Vous n’en avez jamais reparlé ?

-         Si, souvent.

 

Daniel fronça les sourcils, un peu perdu.

 

-         Mais pas de façon ouverte, toujours avec des sous-entendus. Je crois que nous étions réticents à mettre des mots dessus. Aujourd’hui encore j’ai du mal à définir ce que je…ressens.

 

Jack marqua une nouvelle pause et se repassa leur histoire dans la tête. En parler à quelqu’un était une sensation étrange. Il avait pensé que cela le soulagerait, mais ce n’était pas le cas. Par contre, il était forcé de mettre les fameux mots sur ce qui s’était passé et plus son récit avançait, plus il s’apercevait de la façon dont Sam et lui avaient compliqué les choses.

Il aurait certainement suffi d’en parler.

 

-         Au risque de vous faire vous sentir humain, commença alors Daniel, je crois que vous avez eu peur, tout simplement.

 

Le militaire croisa avec méfiance le regard de son ami, mais n’y lut aucun jugement. Juste des faits. L’archéologue avait raison et il le savait. Il avait eu peur.

Et même cela, il avait du mal à l’accepter, parce que ce n’était pas normal. Parce qu’il en avait honte et que Daniel le savait. Il avait juste la délicatesse de ne pas le relever.

 

-         Sûrement, finit-il par avouer à contrecœur avant de continuer. J’ai voulu avancer et elle aussi, parce que c’est ce qu’il y avait de mieux à faire et que nous pensions que nous finirions par oublier.

 

Daniel acquiesça sans un mot.

 

-         Mais malgré ses fiançailles ou mon départ, il est toujours resté comme un goût d’inachevé.

 

Jack se tut enfin. Il aurait pu être plus explicite, il en avait parfaitement conscience. Mais le peu qu’il avait avoué avait déjà été difficile à exprimer et il savait que c’était déjà bien assez, pour lui comme pour Daniel. Ses erreurs lui apparaissaient, sans même que son ami ait besoin de les pointer.

Celui-ci sembla d’ailleurs réfléchir un instant puis posa la question qui lui brûlait les lèvres :

 

-         C’est pour cela qu’elle est venue à Washington, parce qu’elle cherchait à achever les choses ?

 

Le militaire acquiesça. Puis secoua légèrement la tête.

 

-         Je crois que c’est la première fois que nous en avons parlé ouvertement, dit-il comme pour lui-même.

-         C’est plutôt une bonne chose, émit prudemment Daniel.

-         Sauf qu’elle a été la seule à mettre les mots, avoua Jack.

-         Pas vous ?

-         Cela vous étonne ? rétorqua son ami.

 

L’archéologue cacha un sourire. Non, forcément. Jack avait dû prendre une nouvelle fois peur et envoyer Sam sur les roses avec une remarque acerbe.

 

-         De toute façon, reprit Jack, je n’ai pas vraiment eu le temps de parler. Cela a plutôt été un monologue.

-         Comment cela ?

-         Vous aviez raison quand vous avez parlé d’achever les choses. Elle n’était pas là pour tenter quoi que ce soit, elle venait y mettre un terme.

 

Daniel remonta mécaniquement ses lunettes. Il devait avouer que là, il était étonné. Il aurait plutôt pensé que Sam avait fait un pas en direction de Jack et que, rabrouée comme elle avait dû l’être souvent par le passé, elle avait quitté Washington en colère contre lui. La version que le militaire venait de lui raconter était un peu plus compliquée, mais il comprenait mieux certaines choses.

Pas toutes.

 

-         Et alors qu’elle avait décidé d’en terminer avec vous, vous avez logiquement pris un avion pour lui courir après…

-         Je croyais vous avoir dit que j’avais pris cet avion sans trop savoir pourquoi, rétorqua Jack d’un ton sec.

 

Daniel sut qu’il avait été trop loin. Il inspira.

 

-         Je sais, dit-il doucement. Mais il n’empêche que vous êtes là et qu’il va bien falloir faire quelque chose.

-         Il me semble qu’elle a été très claire, répliqua le militaire la mâchoire crispée.

 

Le silence retomba entre les deux hommes, un peu tendu.       

 

Jack savait que Daniel avait raison, qu’il avait pris cet avion à cause de Sam. Peut-être pas consciemment et surtout sans faire de plan, mais il avait quand même choisi de ne pas en rester là. Quelque part, cela avait tout d’un geste masochiste, pensa-t-il atterré. Ou d’une tentative désespérée…

 

La tension qu’il ressentait laissa peu à peu place à la mélancolie et il se sermonna de ne pas parvenir à gérer ses émotions, lui qui avait toujours pensé les maîtriser. Il s’était encore une fois leurré, à croire qu’il n’avait jamais eu raison de sa vie et avait toujours fait les mauvais choix. Il se retrouvait avec une histoire complexe et qui le faisait souffrir, mais après tout, il l’avait bien cherché.

 

 

-         Oublions un instant que nous parlons de vous, d’accord ? reprit doucement Daniel comme s’il avait suivi ses réflexions. Essayons juste de simplifier un peu les choses et d’être objectifs.

-         C’est loin d’être simple…

-         Je crois que cela peut l’être si vous regardez tout cela sans penser que c’est de vous dont il s’agit. Laissons de côté les détails. Et objectivement, c’est juste l’histoire d’une fille et d’un garçon qui … ressentent quelque chose l’un pour l’autre, mais qui ont peur des conséquences.

 

Jack roula des yeux à la tentative d’objectivation de Daniel. Sa relation avec Sam était beaucoup plus complexe que l’histoire d’une fille et d’un garçon qui…

 

-         Oubliez que c’est de vous dont nous parlons, répéta l’archéologue. Nous avons juste une femme et un homme qui s’apprécient. Il n’y a pas plus simple.

-         Daniel…

-         Jack…

 

Le militaire se dit qu’il était hors de question qu’il simplifie les choses comme cela, aussi sympathique soit la façon dont son ami présentait les choses. C’était juste ridicule.

 

-         Au début, tenta à nouveau Daniel, c’est juste cela, non ?

 

Jack roula des yeux à la question rhétorique. Bien sûr que c’était juste cela. Et quelques complications en plus.

 

-         Naturellement qu’il y a des détails, des obstacles, des réticences, … soupira l’archéologue. Il y en a dans chaque histoire. Mais quelle que soit sa complexité, c’est toujours la même base. Et il faut bien qu’il y ait un premier pas.

-         Il y en a eu un certain nombre, assez catastrophiques.

-         Un premier pas concret et décidé. Sans sous-entendus. C’est comme cela que ça marche dans toutes les histoires.

-         Les risques de souffrance ne sont pas toujours les mêmes… dit doucement Jack.

-         Les regrets font plus mal que les rejets, rétorqua Daniel.

-         Justement, elle a été claire il me semble : elle ne tient pas à ce que je fasse ce mouvement.

 

Daniel sourit, parfaitement conscient qu’il venait de remporter une victoire : Jack venait d’envisager d’agir. Il reprit sa démonstration :

 

-         Elle est venue spécialement à Washington pour vous dire qu’elle ne voulait plus vous voir, alors que vous n’aviez manifesté aucune intention. Enfin je suppose. Et ce matin, elle s’est déplacée en personne pour s’assurer que vous aviez bien compris cela. Un peu paradoxal comme attitude…

-         Cela me paraît clair à moi : pour elle, c’est fini.

-         Elle ne se serait pas investie autant dans son rejet si cela ne la touchait pas de près.

-         Qu’est-ce que vous êtes en train de me dire ? Que suivant une logique toute féminine, elle a choisi de me repousser pour s’assurer que je la poursuive ? demanda Jack d’un ton sarcastique.

-         Peut-être pas à ce point…grimaça son ami.

-         Alors soyez plus précis !

-         C’est de l’autoprotection, expliqua-t-il.

-         C’est toujours aussi limpide…

-         Elle lève son bouclier avant que vous attaquiez, dit doucement Daniel. Si cela la touche Jack, cela signifie qu’elle vous a menti en disant que c’était fini. Elle a juste peur d’espérer puis de souffrir, comme cela a été le cas par le passé. Cela veut aussi dire qu’il y a de l’espoir, même si elle ne veut pas se permettre de l’envisager.

 

 

La discussion se termina, les mots continuant leur chemin dans l’esprit des deux hommes.

 

 

Cela la touchait, c’était une certitude. Qu’il y ait de l’espoir, Jack en était moins sûr. Même si Sam n’avait pas tiré un trait sur le passé comme Daniel était en train de l’affirmer, réparer les dégâts ne serait pas facile pour autant. L’espoir ne faisait pas tout.

 

Le militaire soupira. Il avait besoin de digérer tout cela, d’y réfléchir.

 

En admettant qu’elle daigne l’écouter, qu’allait-il pouvoir lui raconter ? Il ne le savait pas maintenant, ne le saurait sûrement pas quand ce serait l’heure. Il n’avait jamais réussi à trouver les mots quand cela la concernait. Parce que lui aussi était touché, profondément, et souffrir lui faisait aussi peur qu’à elle. Il était un homme blessé et connaissant ce qu’était réellement la douleur, il préférait l’éviter.

Mais de quelle douleur parlait-on ? De celle d’être haï ou de celle de regretter pour le reste de sa vie ?

 

Il avait goûté aux regrets, il savait qu’il n’en voulait plus. Il irait donc voir Sam, quitte à être rejeté, parce qu’il en avait besoin. Mais il devrait passer outre l’avertissement de la jeune femme, ce qui s’avérait déjà plus compliqué. Il avait intérêt à être préparé, parce qu’elle n’allait pas lui rendre la tâche facile, à raison d’ailleurs. Elle avait tellement de raisons de lui fermer la porte : leur passé, son attitude, cet Alan, …

 

La démonstration de Daniel avait beau être simple sur le papier – quoique – la réalité s’avérerait forcément plus compliquée. Ils avaient toujours préféré compliquer… Pourquoi serait-ce différent cette fois ?

 

Il avait encore deux jours pour jouer son va-tout. Surtout qu’il n’y aurait qu’une seule chance…

 
 
Conçu par Océan spécialement pour Imagine.
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