La voie est saturée, je me doutais bien qu’il s’était trompé
Je lui avais pourtant dit d’esquiver, l’avenue Long Valley
Et nous voilà bloqués dans cette voiture capitonnée
Entre deux camions sans pouvoir avancer
Je lance une oeillade méprisante dans le rétroviseur du chauffeur
Il se retourne vers moi et me dit avec candeur :
- Ne vous inquiétez pas, nous arriverons à l’heure
Alors je regarde ma montre et son compteur
Il est déjà onze heure moins le quart
Et je lui dois plus de trente dollars
Il me prend pour un touriste, ce salopard,
Comme si j’sortais de l’aérogare
J’me décide alors à quitter ce taxi
Car je ne vais pas bousiller ma vie
Et sans un merci
Je continue sans lui.
Sur les trottoirs de la capitale, je rehausse le col de mon manteau
Je ne pensais pas qu’aujourd’hui, je prendrais le métro
Mais en m’approchant de la bouche, j’aperçois un écriteau
Celle-ci est fermée pour cause de travaux, c’est vraiment pas de pot...
Il m’en faut plus pour être à terre
Et tout compte fait, le bus f’ra l’affaire
Je remonte l’avenue et sans en avoir l’air
Je me place devant l’abri, croyant mettre fin à mon calvaire
Le bus arrive enfin mais une vieille dame me tire la manche
- Jeune homme, faites la queue ! me lance-t-elle, irritée, les mains sur les hanches
Je fais mine d’ignorer les remarques de l’ancêtre revêche,
Et fin prêt, je m’apprête à monter les marches, mais deux bras m’en empêchent
Entouré par deux molosses, je m’éloigne loin du sol
- Tu prendras le suivant
C’est ce que j’crois avoir entendu pendant mon envol
- Allez, viens maman
Ça c’est ce que je comprend une fois étalé au sol
D’accord, pour moi la vie n’a jamais été facile
Mais dans le cas contraire, je ne m’appellerais pas O’Neill
Et c’est la tête sur le pavé
Que je constate que ma montre est brisée
Je me relève et n’ai plus qu’une idée en tête
J’n’arriverai jamais à temps à cette fête
Rouge de colère, il ne me reste plus qu’à courir
Au milieu de cette foule, pour éviter le pire
Décidemment, le sol m’appelait
Deux individus sortant de nulle part
M’ont heurté violemment proche du joaillier Chaumay
Une nouvelle fois j’étais sur le trottoir
Conséquence de cette bousculade
Les deux fuyards ont lâché leur butin
Pris comme au milieu d’une cascade
J’me suis dis : j’en verrai jamais la fin
Je ne crois pas au karma
Ni à la punition divine
Mais lorsque la police m’embarqua
J’me suis cru dans un mauvais film
Moi, général O’Neill j’ai beau parlementer
Dans le bureau des fédéraux
J’me retrouve le jour J derrière des barreaux
Entouré de poivrots et de dépravés
Après une longue nuit bien agitée
Et une vérification de mon identité
Ils m’ont rendu ma liberté
En s’excusant de s’être trompé
Et dans la froideur hivernale
Je me sens désemparé
D’avoir tout loupé
Pas terrible pour un général !
Une fois dehors mon chauffeur est ici
Je me dirige vers lui, soulagé mais ennuyé,
Que faire ? dois je tout lui expliquer,
Pourquoi je n’ai pas fait appel à lui
Je me contente de lui dire
Ce qu’il écoute sans un sourire
Que je ne voulais surtout pas dévoiler
Mon activité pour cette journée
Et sans plus perdre de temps
Je lui demande très gentiment
De vite me ramener chez moi
Je dois réparer les dégâts
Arrivé près de ma maison,
Je constate avec frisson
Qu’elle est là, sur mon perron
Et observe ma progression
Et sans laisser me justifier
Encore vêtue en robe de mariée
Kerry me jette avec défiance
Ce qui devait être mon alliance
Elle me plante là sans un mot
Il n’y a rien à ajouter
Moi qui devais l’épouser
J’ai vraiment l’air d’un idiot
Dépité, je rentre chez moi et m’affale sur le canapé
C’est décidé, je n’en bougerai pas de la journée
Je n’ai vraiment pas eu de chance
Que des concours de circonstances
En fin de soirée, abruti par la télé
J’ai entendu la porte sonner,
Pas très envie d’ouvrir à cet étranger
Par manque évident de converser
Mais je me décide enfin
A recevoir l’importun
Prêt à lui réserver le plus mauvais accueil
Lorsque j’ouvre, personne n’est sur le seuil
Quand apparaît dans un éclair
Tout droit sortie d'un rêve
La silhouette tant familière
De Sam en tenue d'Eve
Même si dehors il fait nuit noire
Des voisins pourraient nous voir
Je la fais rentrer dans le couloir
Et la rhabille d'un peignoir
Nous nous installons dans le salon
Afin de comprendre la situation
Je lui raconte mes mésaventures
Mais sans en faire une sinécure
Elle comprend qu'à mon ton
Ce mariage était bidon
Que finalement l'avoir loupé
Je m'en sens enfin soulagé
De son côté elle ne comprends pas
Comment elle est arrivée là
Elle se reposait de sa journée
Qui elle aussi avait mal tourné
Elle allait pour s'endormir
Lorsque sa chambre s'est mise à luire
Et que soudain comme par magie
Elle s'est retrouvée devant chez lui
L'un près de l'autre sur le canapé
La conversation nous a entraîné
Tout doucement jusqu'au lendemain
Enfin une nuit qui finit bien
Pendant ce temps, aussi rapide que la lumière
Un grand vaisseau s’éloigne de la Terre
A son bord, un tout p'tit homme gris
Satisfait d’avoir modifié le destin de deux vies.