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90 km/h : Chapitre 1

90 km/h

Cela fait approximativement trois heures que je suis ici, à me demander si je le reverrais un jour. Je ne peux faire qu'attendre et je n'y arrive pas. Mes mains sont sans cesse en train de se tortiller, ma tête tourne de droite à gauche, et mes jambes passent leur temps à vouloir être l'une sur l'autre.
Dans la salle d'attente, à côté de moi, une jeune fille brosse les cheveux de sa poupée pendant que sa mère fait exactement la même chose que moi, elle attend. La petite fille ne sait pas ce qu'elle fait là, elle ne s'ennuie pas vraiment, elle attend elle aussi, mais d'une autre manière. Elle se dit que peut-être elle va bientôt s'en aller, qu'elle va pouvoir regarder un dessin animé sous l'œil bienveillant de son doudou. Et sa mère, tout comme moi, sait très bien qu'elles ne vont pas rentrer bientôt, que sa petite fille va finir par s'ennuyer et qu'elle va devoir tout lui avouer.
Je scrute toutes les personnes qui viennent puis qui repartent. Je regarde leur attitude parce que je n'ai plus que ça à faire, je regarde leur visage en espérant que peut-être elles ressentiront la même chose que moi. Ou plutôt qu'elles ne ressentiront pas ce que je moi je ressent. C'est horrible d'être là, à attendre quelqu'un qui nous est cher, sans avoir d'informations mais en sachant pertinemment que si on attend depuis trois heures c'est que tout ne s'est pas passé comme prévu…

Ca s'est passé il y a environ cinq heures, j'ai tout de suite appelé une ambulance et finalement comme elle ne venait pas, j'ai appelé Daniel. Il nous a emmené à l'hôpital le plus proche et depuis plus rien. Comme si rien n'avait existé à part ce moment qui n'aurait pas du être.

 

Nous étions tout les deux, Jack et moi. On se regardait pour la première fois dans les yeux depuis qu'on s'est séparés après la mission, parce que d'habitude on n'en avait pas le courage. Au moment même où j'ai compris que toute ma vie se résumait en une seule et unique chose, une voiture est arrivée à toute vitesse, mais il n'a pas eu le temps de s'écarter de la route. La voiture l'a fauché à plus de 90 km /h. Il y avait du sang partout, je l'ai rassuré, je lui ai dit qu'il s'en sortirait mais il a roulé des yeux. Et je suis restée là, à paniquer en attendant Daniel.
Maintenant je ne suis plus sûre de rien, je ne sais pas s'il va s'en sortir, je ne sait pas si je pourrai le regarder dans les yeux une deuxième fois. Pourtant j'espère que je pourrai, il me reste juste assez de force.

 


La petite fille s'est endormie depuis quelques minutes et sa mère caresse ses cheveux blonds, sa nervosité s'est calmée parce qu'elle sait que ça ne sert à rien. Ma tête repose sur ma main, prête à tomber à tout moment. Mes yeux se ferment par moment mais je lutte pour que ce ne soit pas définitivement.
Le médecin est arrivé, la femme qui est à côté de moi se lève tout d'un coup mais se rassoit. L'attente est finit pour moi, je vais enfin savoir ce qu'il a. L'opération s'est bien passée, mais il a fait une hémorragie interne. J'ai le droit de le voir.
Il a un tube dans la bouche qui l'aide à respirer, ses bras sont de chaque côtés du lit. Il a l'air paisible. Doucement je me rapproche de lui et lui chante une chanson, une berceuse pour adulte en espérant qu'il m'entendra. Je n'ai jamais pu lui dire que pour lui j'aurais tout donné, je n'ai jamais pu le regarder vraiment en face pour qu'il puisse lire dans mes yeux tout ce que je ressentais. Je n'aurais jamais pu lui dire que je l'aimais, mais j'aurais donné ma vie à la place de la sienne.

C'est bizarre comme on se rend compte qu'on tient aux personnes lorsqu'elles sont entre la vie et la mort. Comme si cela nous rapprochait. Bien sûr, cela il ne le sait pas encore, mais moi je le sais. Je l'ai compris.

J'ai toujours détesté les hôpitaux. Cette odeur d'éther qui vous soulève le cœur, ces malades qui vous font de la peine, et par dessus tout, ce silence… C'est un silence permanent, les malades ne parlent pas, ils sont trop malades, et ceux qui vont les voir ne parlent pas non plus, ils ne peuvent pas. Les hôpitaux, je n'aime pas ça, et pourtant j'y ai passé de nombreuses heures. Pour un motif ou pour un autre, des fois graves, des fois bénin… Mais cette fois, je n'y suis pas pour moi.
A chaque fois que je parcours un couloir, avec des lumières au plafond, des lumières blanches, puissantes et rondes, j'ai comme une impression de malaise, comme si je ne devais pas me trouver là. Malheureusement, un hôpital n'est pas un lieu chaleureux, c'est juste un endroit où l'on soigne des personnes, comme vous et moi. Dans ce cas présent, je ne pourrai pas vous dire que je suis heureuse d'être à l'hôpital, parce qu'on y est toujours pour une raison qui nous étouffe. Mais je suis soulagée qu'il soit entre de bonnes mains, je sais qu'il ira mieux. Ce ne sera certainement pas dans trois jours, ni même dans une semaine voire deux. Ca prendra du temps, mais il y arrivera. Et à ce moment là, je suis sûre qu'il verra la vie autrement, parce que quand on voit la mort de près, alors la vie paraît soudain moins compliquée.

Au début, quand je l'ai vu pour la première fois, je le voyais comme un homme qui voulait faire son intéressant, et puis j'ai appris à le connaître, et puis à l’aimer.
Bien sûr, il ne se rend pas compte de la gravité de la situation, il n'est pas éveillé, personne ne peut lui en vouloir. Mais quand il va se réveiller avec une douleur qui parcourra tout son corps, il va comprendre. Il comprendra que tout ce qu'il aura pu faire dans sa vie, tout ce qu'il aura pu souhaiter ou connaître… tout ne sera qu'un vague souvenir. Et il aura l'impression qu'une nouvelle vie s'offre à lui. C'est pour ça que moi j'ai peur, par égoïsme j'ai peur. Peur parce qu'il choisira peut-être une vie sans moi, peur que s'il veut que tout redevienne comme avant, il soit déçu et moi aussi. J'ai peur pour des tas de raisons. Peut-être que je me projette trop dans l'avenir, parce qu'un avenir à nous deux, on n'en aura certainement pas.
Je me prends souvent à souhaiter que toute ma vie d'avant, toutes les mauvaises expériences, tous les mauvais souvenirs que j'ai eu, n'existent pas. Peut-être que je ne l'aura pas connu, mais peut-être aussi qu'il ne serait pas là aujourd'hui.

J'ai sa main qui serre la mienne et ses yeux ont peine à s'ouvrir. J'entends le bruit de la machine qui enregistre une activité plus intense. Je lui souris, il me sourit, et je sait qu'il m'a choisie.
 
 
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