Le général O’Neill se frotta les yeux. Il avait de plus en plus de mal à rester éveillé, et le fait que les caractères inscrits sur l’écran soient de moins en moins nets finit par le décider à éteindre son ordinateur. Il soupira.
Tant de travail...
Pourquoi avait-il accepté ce poste, déjà ? Ah oui. La paie et la place de parking.
Et le sourire de Carter. Sa surprise et sa joie quand il avait annoncé sa promotion... Ne serait-ce que pour ça, ça valait le coup, se dit-il avec un petit sourire.
Elle le méritait tellement.
Il se leva de son fauteuil – qui lui paraissait nettement moins attrayant, maintenant qu’il était assis dedans – éteignit la lumière et rejoignit ses quartiers. Quoique... Il prit finalement la direction des vestiaires. Se détendre sous une bonne douche ne pourrait lui faire que du bien. Il constata de loin que la salle de sport était encore allumée. Qui pouvait bien s’entraîner à une heure pareille ? Penchant plutôt pour l’hypothèse d’un oubli, il s’avança pour réparer cette erreur et eut la surprise de constater que la pièce n’était pas vide. D’ailleurs, vu la façon dont elle haletait, la personne effectuait visiblement un sacré entraînement. Il passa la tête par la porte et eut confirmation de ce qu’il redoutait.
Le colonel Samantha Carter tapait de toutes ses forces dans le punching-ball, et elle n’avait pas l’air de vouloir s’arrêter. Elle n’avait même pas mis de gants.
Il grimaça involontairement. Le sac de sable venait de se prendre un sacré coup. Et Sam avait l’air sacrément en colère.
Ou peut-être n’était-ce pas seulement de la colère, lui suggérèrent les yeux bleus un peu trop brillants lorsqu’ils se tournèrent enfin vers lui.
Elle aurait été bien incapable de dire depuis combien de temps elle était là, à s’acharner sur ce pauvre sac. Elle ne sentait ni la douleur, ni la fatigue, ce qui la motivait était bien au-delà. Elle se détestait.
Comment avait-elle put être si stupide ?!!! Comment avait-elle plus laisser la Réplicateur la berner de cette manière ? Tout était de sa faute.
De sa faute.
Un coup trop violent lui fit perdre un peu de son équilibre, et elle s’interrompit. Ce fut alors qu’elle sentit un regard dans son dos. Elle fit demi-tour et rencontra alors le regard brun de son supérieur.
Il fit un pas, les mains dans les poches, dans une attitude nonchalante qui contrastait avec le sérieux de ses yeux. Le sérieux...Voire même...L’inquiétude ?
Depuis quand Jack O’Neill était-il inquiet ? Ou plutôt, depuis quand Jack O’Neill laissait-il voir qu’il était inquiet ?
Mais sitôt aperçue, la lueur fugitive disparut lorsqu’il lança sur un ton faussement négligent :
« - Il est presque trois heures du matin, colonel...Et si je ne me trompe pas, vous avez un briefing demain à neuf heures ? Enfin, techniquement c’est plutôt ‘tout à l’heure’... »
Elle baissa la tête.
Il la regarda silencieusement pendant quelques instants, puis demanda doucement :
« - Qu’est-ce qui ne va pas, Carter ? »
Elle frissonna tant sa voix s’était faite chaude et tendre. Seigneur. L’effet que cet homme avait sur elle était proprement monstrueux.
La gorge serrée, elle finit par murmurer :
« - C’est ma faute. »
Il comprit immédiatement de quoi elle parlait, et soupira. Ses sourcils se froncèrent, son regard s’assombrit. C’était bien ce qu’il pensait. Cette histoire de Réplicateur...
Lui ne la tenait nullement pour responsable. Il n’en était même pas question. Mais il connaissait Samantha Carter, et savait qu’elle était capable d’être aussi têtue que lui. Il fallait lui extirper de la tête cette absurdité. Il s’approcha d’elle et la prit par les épaules.
« - Ce n’est pas vrai. Ecoutez-moi ! Vous n’avez pas à vous tenir responsable...
- Bien sûr que si !!! » Elle avait relevé la tête et planté son regard bleu dans le sien. « Sans moi, vous l’auriez détruite ! Si je n’avais pas été là, jamais vous ne lui auriez fait confiance, jamais elle ne vous aurait trahi, c’est à cause de moi que tout ça est arrivé ! Si je n’avais pas été si stupide et crédule...Comment ai-je pu croire un seul instant...Elle s’est servie de moi et je suis tombée en plein dans le panneau, j’ai réagi exactement de la façon qu’elle attendait. Je me suis laissée manipuler. A cause de moi, le pire ennemi que nous ayons jamais eu est désormais immunisé contre la seule arme efficace que nous possédions contre lui... Je m’en veux tellement ! » Sa voix se brisa. Elle termina dans un murmure : « J’ai tellement honte... »
Elle sentit les larmes glisser sur ses joues sans pouvoir les en empêcher. Et elle se retrouva blottie dans les bras de Jack O’Neill, sanglotant sans bruit tandis qu’il l’enveloppait de sa tendresse, savourant malgré lui la proximité de la jeune femme, la douceur de sa peau et son parfum enivrant. Il jeta un regard à la caméra de surveillance. Mais il ne faisait rien de mal, on ne pouvait lui reprocher d’être attentif à ses hommes... Cependant, lorsqu’il la sentit plus calme, il s’écarta d’elle tant par précaution que pour pouvoir la regarder dans les yeux.
« - Ecoutez-moi, Sam. » Sa voix, affectueuse mais impérieuse, n’admettait pas de réplique. La pensée effleura l’esprit du colonel que cet homme aurait subjugué n’importe qui.
« - Vous n’avez rien à vous reprocher. Vous avez agi comme vous l’avez toujours fait, avec cœur, intelligence et sensibilité. Vous avez fait un choix, celui d’écouter ce que cette femme avait à vous dire, et il n’était pas plus mauvais qu’un autre. Il se trouve que les dés étaient pipés, et que vous connaissant parfaitement, elle pouvait anticiper vos réactions ; c’est une chose contre laquelle vous ne pouviez rien faire. Le choix que vous avez fait nous a tout de même permis d’enrayer l’attaque dirigée par Numéro Cinq, on ne peut pas dire qu’il ait été inutile. Les responsabilités que nous avons nous obligent constamment à prendre des décisions. Elles ont des conséquences et il ne sert à rien de passer son temps à les regretter.
Quand vous étiez à bord de l’Al’kesh d’Osiris avec Daniel, le colonel qui dirige le Prométhée m’a demandé l’autorisation de tirer, empêchant ainsi toute fuite possible. Je ne la lui ai pas donnée. J’aurais pu. J’aurais probablement dû. Mais donner l’ordre de tirer sur les personnes qui me sont les plus chères au monde pour arrêter des ennemis, ce n’est pas mon style. Et malgré tout, mon choix a eu de bons côtés puisque nous avons récupéré la majorité du poison . Ce que j’essaie de vous dire, Carter, c’est que si le Trust revient plus puissant et plus dangereux, j’aurai probablement une part de culpabilité là-dedans. Mais je ne suis pas pour autant responsable de leurs actions, je ne leur ai pas ordonné d’agir comme ils le font et de s’en prendre aux Jaffas. Pas plus que vous n’avez ordonné à cette Réplicateur de s’attaquer à la galaxie toute entière. Elle s’est peut-être servie de vous, mais ça ne rend pas le choix que vous avez fait moins compréhensible et justifié. Les décisions que nous prenons sont toujours – au moins en partie – dues à notre personnalité, et s’il y a une chose que je ne remettrai jamais en cause, colonel, c’est votre capacité à faire les bons choix. Vous n’avez rien à vous reprocher. »
Un pâle sourire éclaira le visage de l’astrophysicienne. Le poids sur son cœur s’était considérablement allégé. Il ne lui en voulait pas. Il lui conservait sa confiance, envers et contre tout. Elle lutta contre une soudaine et violente envie de l’embrasser.
Elle se sentait rassurée, mais il restait encore un détail qui était source de bien des doutes et des questions. Ce que cette femme avait dit... Qu’elle aussi avait en elle ce désir de dominer, de commander...Elle soupira tout bas, ce qui n’échappa pas à l’oreille fine du général. Mais il garda le silence, préférant la laisser venir à lui.
« - J’ai peur... »
C’était dit tellement bas que, s’il y avait eu le moindre bruit dans la pièce, il aurait couvert ces quelques mots. Mais Jack entendit.
Le souffle coupé, il se demanda un instant si Samantha Carter venait réellement d’admettre devant lui qu’elle avait peur. Elle devait vraiment aller mal, car durant les huit années qu’il avait passées à ses côtés, il ne se rappelait pas l’avoir une seule fois entendue se plaindre ou montrer une faiblesse. Pas à lui.
Elle avait fermé les yeux.
« - Peur qu’elle ait dit vrai et que cette part d’ombre qui la gouverne soit également enfouie en moi...Et qu’un jour ou l’autre... »
Sa voix tremblait.
« - Non ! » protesta-t-il avec force. Il la força à le regarder. « Je vais vous dire une bonne chose. Je vous connais. Je sais qui vous êtes, Sam. Et s’il y a bien une personne que je suis sûr de ne jamais voir sur un trône d’or, à la tête d’une terrible dictature, c’est vous. » Pour qu’elle le croie une fois pour toutes, il articula la suite avec un calme et une conviction qui la laissèrent sans voix. « Je connais Samantha Carter. Et ce réplicateur n’a rien à voir avec elle. Aucun réplicateur, même humanoïde, ne vous arrivera jamais à la cheville. »
La jeune femme sentit son cœur s’emballer. Et cette fois, ni la colère, ni la culpabilité n’étaient en cause... Incapable de parler, incapable de se détacher du regard sombre soudain si expressif, elle lui sourit. Rayonnante de gratitude et d’amour. Belle.
Définitivement et merveilleusement belle, songea Jack. Ces yeux si bleus. Et ce sourire... Heureusement qu’elle tournait le dos à la caméra. Il sentit qu’il lui fallait de toute urgence lever l’ancre, où il ne répondait plus de lui. Qu’est-ce qu’il était venu faire, déjà ?... Ah oui, une douche. Une bonne douche, bien froide...
Il enfonça ses poings dans ses poches et prit un ton plus léger.
« - Je vous laisse éteindre. Bonne nuit, colonel » dit-il en insistant sur ces derniers mots.
Rieuse, elle fit signe qu’elle avait compris le message.
Au moment où il franchissait la porte, il se retourna.
« - Pendant que j’y pense, Carter. Peut-être est-ce vous qui avez appris la trahison à Numéro Cinq, mais n’oubliez pas qui vous a ordonné de la trahir. Alors ne vous rendez pas malade, parce que je suis tout aussi responsable que vous... » Il eut un petit sourire réconfortant.
« Et...Peut-être qu’elle connaît votre manière de réfléchir et d’agir...Mais cela signifie que vous connaissez aussi la sienne, ce qui constitue un avantage non négligeable. Alors dormez bien. »
Sam écouta son pas décroître. Le plomb sous ses côtes s’était changé en bulle de savon. Elle était, sans aucun doute, aux ordres du général le plus extraordinaire de la Terre.
Jack sentit avec plaisir l’eau fraîche ruisseler sur son visage. La douche était une bonne idée. Mais pas autant que le passage par la salle de sport. Les yeux fermés, il sourit. Elle pouvait bien être fiancée, mariée... Jamais on ne leur prendrait ces instants-là.
Ceux pour lesquels il vivait.