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Les hémorragies cérébrales sont moins fréquentes chez les joueurs de football. Les cerveaux aussi ! Pierre Desproges
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L'Age de Glace : Chapitre 2

Daniel se tenait là, le bassin légèrement en avant, les bras enroulés autour de lui et les sourcils en accent circonflexe.

 

Pour l'amour du ciel, ils étaient à des millions d'années lumière de chez eux, sur une petite planète de glace appartenant à un système binaire qui était habitée par des extraterrestres quasiment humanoïdes, télépathes et très avancés d'un point de vue technologique, et tout ce que ses équipiers trouvaient à faire était de… jouer au hockey ?

 

Ca dépassait l'entendement.

 

Et si Hammond savait ça… Il lui vint soudainement à l'esprit qu'il pourrait en tirer un quelconque avantage. Bien évidemment, il se serait damné plutôt que de dénoncer les écarts de deux de ses amis les plus chers, mais admettons qu'il fasse usage de sa caméra pendant le match et garde précieusement la bande dans son bureau… Qui sait, être en mesure de faire du chantage à Jack O'Neill était toujours bon à prendre !

 

Partagé entre l'affliction qu'il avait à les voir fignoler leurs crosses, faites d'un mélange de glace et de ce produit bleuté issu des buissons, et la jubilation de pouvoir mener Jack par le bout du nez dans un futur proche ou lointain, il sortit l'appareil de sa poche.

 

~*~

 

Parfait ! ne put-il s'empêcher de s'exclamer lorsque le palais arriva pile là où il le voulait. Ces gens n'étaient peut-être pas très loquaces, mais un don d'observation et d'imitation ainsi qu'une grande dextérité dans tout ce qu'ils entreprenaient compensaient leur silence. Il n'en restait pas moins que ce dernière régnait, ce qui était plutôt inhabituel à l'occasion d'un match de hockey, et à vrai dire plutôt sinistre.

 

Ils avaient passé les trois premiers jours à s'entraîner ensemble, par souci de justice et d'égalité entre les deux équipes novices, et le quatrième séparément, pour permettre à chacune d'élaborer sa propre stratégie.

 

 

Cinquième jour.

 

 

Jour J.

 

 

Jack O'Neill était fier de son équipe. On venait de lui faire une excellente passe et il s'élançait vers la cage adverse. Si doués que les défenseurs fussent, il ne purent certainement pas s'opposer au professionnel qu'il avait été. Le bolide continua de foncer vers les cages jusqu'à ce que Jonas eut sifflé (le sifflet étant le seul matériel ne pouvant être sculpté dans la glace, Sam s'était fait une joie de lui apprendre et ils avaient passé la soirée les doigts dans la bouche).

 

Pas d'applaudissements. Seulement quelques murmures d'approbation qui résonnèrent non pas à ses oreilles, mais dans sa tête.

 

Aucun doute, c'était sinistre.

 

Et le match reprenait déjà.

 

Soudain, un joueur de l'équipe adverse lui fit face. Bien entendu, il tenta de l'éviter, mais un autre se trouvait déjà sur son chemin. Puis un autre, et encore un autre. Il envisagea alors de faire demi-tour, mais il était tout simplement… encerclé. Comble du comble, plusieurs paires de mains étaient plaquées sur son torse.

 

"Hey !" s'écria-t-il sur un ton indigné, alors qu'il entrapercevait sa rivale slalomer entre les joueurs de son équipe, perçant la défense avec une agilité déconcertante. En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, l'arbitre sifflait.

 

"Jonas" hurla-t-il, outré. "Ils n'ont pas le droit de faire ça, j'étais dans l'impossibilité de faire un seul mouvement !"

 

"On respecte les décisions de l'arbitre" répliqua celui-ci.

 

 

"Mais…"

 

"Un problème ?" s'enquit Sam en approchant de l'altercation.

 

"Oui, un problème, effectivement ! Je suis persuadé que ces aliens n'ont pas pris cette initiative d'eux-mêmes, avouez que vous êtes là-dessous !"

 

"Jonas, vous avez sifflé une faute ?" reprit-elle, évitant consciencieusement de répondre à sa question.

 

"Non."

 

"Alors il n'y a pas eu de faute." conclut la jeune femme.

 

Jack resta sans voix un premier temps, puis grogna un phrase quasiment inaudible que Sam perçut tout de même avant de repartir. Elle pensa avec un petit sourire doublé d'un frisson qu'elle "allait payer d'une manière ou d'une autre".

 

La guerre était déclarée.

 

 

Et Daniel filmait allègrement tout ce qu'il pouvait, pensant déjà avec délice au jour où il ferait chanter l'un des deux militaires…

 

"Daniel Jackson !" entendit-il derrière lui.

 

 

Sans se retourner, il sut quel allait être son interlocuteur grâce au timbre de sa voix. Un peu plus loin sur le terrain, Sam payait effectivement. Jack s'arrêta en plein milieu de sa course pour attraper Jonas par les épaules et pousser l'extraterrestre tout titubant vers elle. Elle se le reçut dans les bras, et le temps qu'elle le stabilise, le point était déjà marqué. Sa petite vengeance personnelle fut un baiser furtif déposé sur la joue du jeune homme quand Jack la dépassa.

 

"Oui Teal'c ?" répondit-il, zoomant tout particulièrement sur le regard du colonel qui fusillait littéralement les deux jeunes gens.

 

"Vous en voulez ?"

 

"De quoi ?"

 

"Eh bien sur le pot, il est indiqué Macadamia Brittle, mais je pense que le terme générique à utiliser est 'crème glacée'."

 

Délaissant une seconde le match, l'archéologue jeta un coup d'œil à sa droite.

 

"Vous plaisantez !?" s'exclama-t-il. "Vous aviez emporté des pots de glace dans votre sac ?"

 

"Pourquoi pas Daniel Jackson ? Le major Carter avait bien dit que la température allait être de moins de 0° Celsius, et il est indiqué ici 'Conserver au frais'." argumenta le Jaffa en pointant précisément l'endroit sur le pot.

 

Ne trouvant rien à redire, Daniel soupira et reporta son attention sur le terrain. "Non merci Teal'c, c'est gentil. Allez en proposer aux autochtones, peut-être qu'ils découvriront là quelque chose valant leurs plus précieuses technologies…"

 

Jack rageait intérieurement. Comment avait-il pu oublier que Sam Carter était la perfection incarnée ? Jamais le moindre défaut, jamais la moindre faille… Le hockey n'était pas son domaine de prédilection ? Qu'importe ! Elle trouvait comment exploiter sa faiblesse pour la rendre parfaite !

 

 

Et voilà qu'elle le distrayait d'un simple regard et qu'un de ses coéquipiers lui piquait le palet et repartait déjà en sens inverse… Il leva les yeux au ciel, soupira et pria pour que ses défenseurs et son gardien soient à la hauteur de l'attaque.

 

Un rire cristallin résonna soudainement à ses oreilles, ce qui eut pour effet de lui faire faire volte-face.

 

 

Mais qu'est-ce que… ?

 

Oh pour l'amour du ciel !

 

Le plus tranquillement du monde, le palet pénétrait dans la cage, Jonas sifflait… Que faisait le gardien ?

 

 

"Teal'c !" hurla Jack qui manquant d'éborgner un joueur de son équipe en gesticulant.

 

 

"O'Neill ?" répondit innocemment celui-ci, et il retira de force sa petite cuillère de la bouche de l'autochtone élu pour la découverte exclusive de la crème glacée. Le gardien fit plusieurs tentatives infructueuses pour la reprendre, avant de réaliser que la glace résidait en réalité dans le pot et de s'attaquer à ce dernier.

 

"Mais j'y crois pas, j'y crois pas…" gémissait le militaire, la tête entre les mains. Et Sam de continuer à rire tout ce qu'elle pouvait.

 

"Je n'ai rien à me reprocher O'Neill. En leur faisant goûter une des meilleures spécialités de votre monde je contribue à solidifier les liens qui nous unissent déjà. Votre match n'a quant à lui aucune raison d'être."

 

"Teal'c a raison… colonel…" articula la jeune femme qui tentait de regagner une certaine contenance.

 

 

"Mouais… Quel hasard que vous me disiez ça, vu que ça vous a permis de gagner un point facile…"

 

"C'est la vie !" lança-t-elle.

 

Jack hocha la tête. C'était la vie, en effet. C'était une vie bien moins simple depuis qu'elle y avait élu domicile. Il la regarda lui tourner le dos et s'éloigner en glissant gracieusement.

 

Où est l'arbitre ?  La voix dans leurs têtes les interpella soudain. Où était l'arbitre ? Regardant autour de lui, il l'aperçut, patinant avec grande difficulté à une centaine de mètres de là.

 

"Bon dieu, mais qu'est-ce que vous faites Jonas ?!"

 

Et Jonas trébucha et s'affala. A ses côtés, deux enfants rirent aux éclats (mentalement, bien entendu), brandirent un objet et détalèrent vers la cité.

 

"Ils ont pris le palet !" répondit-il, rapidement sur pied et se massant l'arrière-train.

 

 

Le seul.

 

 

L'unique.

 

Le seul et l'unique palet.

 

Sam repartit à rire et Jack à gémir. Ce après quoi, on décida que prendre le couvercle du pot de glace était encore la meilleure solution. Daniel se régalait derrière sa caméra : avec un peu de chance il vendrait la cassette à un producteur et sortirait le film comique de l'année…

 

Jonas siffla bientôt la reprise du match.

 

 

Sam fit un petit signe à son coéquipier. Il la remarqua, hocha la tête et frappa dans le couvercle du pot de glace.

 

L'inconvénient, que Jack avait souligné lorsqu'il avaient pris la décision de prendre cet objet comme substitut du palet, était sa légèreté. On aurait pu plus aisément s'en servir comme d'un frisbee.

 

Ce fut d'ailleurs à peu près l'effet que cela fit. Oh, l'allier gauche avait pourtant bien visé, seulement un peu haut…

 

Ce qui résonna dans les têtes des Terriens n'avait pas d'équivalent. Un grondement ? Un beuglement ? Un mugissement ? Plus tard, il décidèrent d'un commun accord que c'était un rire.

 

Un rire dirigé vers la jeune femme qui venait de recevoir le 'palet' en pleine face. Remise de sa surprise, elle tâta son nez et fit quelques grimaces. Qu'y avait-il de si drôle ? Elle ne voyait pas du tout où était le comique de la situation !

 

Daniel avait bien du mal à tenir sa caméra droite. Il se demanda brièvement si les 'rires mentaux' allaient être enregistrés ou non, mais fut bientôt secoué d'un autre éclat de rire en apercevant Teal'c s'esclaffer bruyamment. 

 

 

Cependant, il se reprit tout à coup lorsqu'il vit la chose inévitable se produire. Jack se dirigea vers Sam, et le jeune homme zooma au maximum.

 

"C'est pas trop douloureux ?"

 

"J'ai vu pire…"

 

"Vous avez un peu de glace, là…" murmura-t-il en se mordant la lèvre pour se contenir à la vue du petit morceau de crème glacée trônant fièrement sur sa joue gauche.

 

Sam ne dit rien, ne fit rien. Il s'approcha doucement d'elle et elle ne put refouler un sourire.

 

"Ca fait tellement cliché…" soupira-t-elle lorsqu'une paire de mains gantées s'empara de son visage et qu'elle sentit sa bouche se poser sur l'endroit en question.

 

"Vous voyez, si y'a une catégorie de cliché que j'apprécie, c'est bien celle-là !" répondit-il en se léchant les babines.

 

"J'imagine bien…"

 

Elle le regarda s'éloigner à l'appel de Jonas qui allait de nouveau siffler la reprise.

 

Ses coéquipiers avaient compris le truc. L'un d'entre eux réitéra le même coup qui leur avait fait marquer leur premier point. Jack sourit d'avance. C'était décisif cette fois, s'ils marquaient, la victoire était à eux.

 

 

A lui.

 

 

Cette pensée lui fit risquer un coup d'œil en arrière, vers Sam. L'amertume marquait déjà ses traits. A moins que ce ne soit de la peur… Oui, ses yeux s'élargissaient, sa bouche s'ouvrait, son visage prenait une expression horrifiée, c'était manifestement de la peur. Elle cria quelque chose qu'il ne comprit pas.

 

La collision ne fut pas douloureuse, simplement surprenante et brusque, due à la vitesse qu'il avait prise. Ce fut lorsqu'il s'envola par dessus la chose pour retomber avec un bruit sourd quelques mètres plus loin que son corps, son genoux, son épaule et son crâne en prirent un coup.

 

Tout fut flou et indistinct pendant un temps qu'il ne détermina pas. Un son strident agressait ses tympans et quelque chose apparut devant ses yeux. Une forme noire. Les contours d'un corps humain. Les traits d'un visage. Les pupilles dilatées d'inquiétude. Sam.

 

"Humpfrrrr…" grogna-t-il, ou quelque chose y ressemblant, en passant sur le dos.

 

"Colonel ! Dites-moi que vous vous n'avez rien !"

 

"J'aimerais bien major, j'aimerais bien… Mais j'ai l'impression d'être en mille morceaux"

 

"Bougez la jambe droite."

 

Il s'exécuta. Les ordres d'un docteur sont les ordres d'un docteur.

 

"Jambe gauche… Bras droit, poignet… Bras gauche, poignet… Nuque… Débout… Vous voyez bien, vous n'êtes pas cassé !"

 

Sur ce coup là, il s'était fait avoir. Rester allongé et gémir lui aurait sans doute offert le réconfort et les attentions de Sam pour toute une nuit, voire plus (il voulait dire "voire plus qu'une nuit", mais se risquait à penser "voire plus que du réconfort").

 

Le bruit strident continuait néanmoins, et maintenant que le colonel était sur pied et apparemment indemne, tous les regards se tournèrent vers son origine.

 

Comment étaient appelés ces ballons de baudruche déjà ? Des incubateurs ? Elles lui rappelaient vaguement l'animal possédé par un Goa'uld auquel ils s'étaient confrontés dans le ziggourat un an et quelques auparavant. En bien plus gros, bien plus pataud et presque translucide. Sa gueule rondouillarde était plantée de deux orbites bleues et d'une paire de moustache de la même couleur. La bête geignait tout ce qu'elle pouvait en se tordant de douleur sur le sol gelé. 

 

 

"Qu'est-ce qui lui arrive ?" demanda Sam sur un ton mi-inquiet, mi-rebuté.

 

 

Celui qui décida de lui répondre adressa ses pensées à tout le monde.

 

Elle va perdre l'enfant qu'elle porte et mourir.

 

"Quoi ?!" s'écrièrent quatre voix en même temps, et Teal'c haussa non un sourcil, mais deux.

 

 

Carrément.

 

"Et vous ne pouvez rien faire pour les sauver ?"

 

L'incubateur doit disparaître une fois sa tâche accomplie. Nous pourrions en revanche sauver l'enfant, mais le destin de celui-ci est de toutes façons de ne pas exister.

 

"Et pourquoi cela ?" Sam prenait les choses en main, sans doute poussée par son instinct maternel.

 

Ses géniteurs ont disparu dans le nord du continent peu après l'avoir fait concevoir. L'attitude irraisonnée de l'incubateur -se précipiter dans vos jambes par exemple, colonel- est le résultat de cette absence. L'enfant n'est pas directement atteint, mais à sa naissance il n'aura personne pour s'occuper de lui et ne survivra pas.

 

"Mais c'est insensé !" s'énerva-t-elle, "Faites-le adopter !"

 

C'est malheureusement impossible… L'éducation de l'enfant commence lorsqu'il est encore dans l'incubateur, ses géniteurs lui transmettent quotidiennement les bases de leur connaissances. Celui-ci naîtra inculte, personne ne voudra de lui.

 

Daniel choisit cet instant pour prendre part à la discussion. "Acceptez la différence, c'est la base de la vie en communauté !"

 

De votre communauté, Terriens. La nôtre n'accepte pas de surcharge inutile, elle travaille et va de l'avant.

 

Jack s'apprêtait à protester mais fut stoppé par deux choses. La première était Daniel mais tenait à conserver des relations diplomatiques. La seconde était la bestiole dont le cri changeait de tonalité.

 

Elle donne la vie.

 

"Et il va mourir ?" demanda Sam en grimaçant devant l'impassibilité des autochtones.

 

Oui, il ne résistera pas au froid.

 

Jack déglutit avec difficulté. Même si l'enfant était condamné depuis toujours, un sentiment de culpabilité l'habitait. Si elle… accouchait, ici et maintenant, c'était parce qu'il l'avait percutée.

 

Lorsqu'il détacha ses yeux de la scène, il tomba immédiatement dans ceux de Sam. Plissés. Implorants. Attendant un mot de sa part, un seul.

 

Il passa une main sur son visage. Il devait réfléchir aux conséquences, bien sûr, mais le ventre de l'incubateur se scindait en deux. Un petit être en sortait. Il allait mourir.

 

"Colonel…" murmura Sam d'une voix étranglée. Il la regarda un instant tenter muettement de le convaincre, mais sa décision était déjà prise.

 

"Daniel, vous êtes la sage femme de l'équipe, venez faire quelque chose" ordonna-t-il.

 

Trois personnes répondirent au nom de Daniel, dont Jack qui s'obéit à lui-même. Jonas et Teal'c restèrent un peu en retrait pour ne pas gêner, tout de même vigilants comme à leur habitude.

 

Il est condamné, humains. Vous le sauverez maintenant, mais pas éternellement.

 

"On verra ça" grogna Jack en se débarrassant de son manteau fourré, immédiatement surpris par le froid piquant de la planète.

 

Daniel grimaça à peine lorsqu'il dut extraire tant bien que mal le petit être des viscères visqueuses de la bête. Il le confia ensuite à la jeune femme qui l'enroula immédiatement dans le vêtement de Jack, avec l'aide de celui-ci.

 

Il observa pendant plusieurs secondes la minuscule chose quasiment inerte, puis un frisson le sortit de sa contemplation. Il leva les yeux sur Sam, tout aussi silencieuse, tout aussi contemplative. Ils tenaient le fardeau ensemble, dans un entremêlement de bras et… de mains.

 

Les doigts de sa main droite étaient entrelacés avec les siens, et tous deux tenaient un bébé. La dernière fois qu'il s'était retrouvé dans cette situation était à la maternité, pour la naissance de Charlie.

 

 

Génial, comme s'il avait besoin de faire le parallèle.

 

"Euh… Il ne devrait pas pleurer ?" lança Jonas qui épiait la scène.

 

Sam leva enfin la tête vers lui et une expression horrifiée se peignit sur son visage.

 

"Non" déclara simplement Daniel.

"Non ?"

 

 

"Non, regardez sa nuque"

 

Et ils regardèrent sa nuque, se débattant pour ce faire avec la fourrure du manteau. Une minuscule paire de branchies s'ouvrait et se fermait doucement. L'enfant bougea dans son sommeil en resserrant ses poings.

 

 

Jack sourit et se mit à caresser imperceptiblement la main de la jeune femme de son pouce. Il se rétracta bientôt. Il devait arrêter ce genre de choses.

 

~*~

 

"Hey, miss Connaissance Infuse, éclairez-moi sur un point. Ces pommes de douche sont faites de glace et il en coule de l'eau brûlante… comment vous expliquez ça ?"

 

Jack versa au creux de sa main une goutte de ce produit qu'on lui avait donné en guise de savon, la renifla suspicieusement et finit par se l'étaler sur le torse avec une légère grimace.

 

"Carter ?" appela-t-il, ne recevant point de réponse.

 

Il fronça les sourcils. Plus aucun bruit n'émanait de la cabine qui se trouvait à sa droite. Presque inquiet, il envisagea de passer sa tête hors de sa cabine (dénuée de porte… certaines choses ici laissaient à désirer) et de jeter un coup d'œil à côté. Pour la trouver vide, ou bien occupée par 'quelque chose' qui allait hanter ses rêves pour le restant de ses jours. Il réitéra son appel, cette fois sérieusement inquiet, et après une longue délibération intérieure fit ce qu'il avait prévu.

Ses rêves allaient être alimentés pour les trois décennies à venir.

 

Il se racla la gorge lorsqu'il la découvrit les yeux grands ouverts, acquiesçant de temps à autres. Une fois, deux fois. Puis il étendit le bras pour toucher le sien. "Major ! Ca va ?"

 

"Une seconde" dit-elle en posant sa main sur la sienne en un geste apaisant. Pas si apaisant du point de vue de Jack quoique. Puis elle sembla se réveiller d'un songe et lui sourit. "On me donnait la réponse à votre question. C'est fascinant, il semblerait que le liquide qu'on extrait des buissons ait de multiples propriétés, dont celle, justement, de…"

 

Elle s'interrompit, ses yeux s'arrondirent et ses lèvres remuèrent silencieusement. Et puis un peu moins silencieusement.

 

"Oh mon dieu !" s'écria-t-elle en se cachant du mieux qu'elle put et décidant que le meilleur moyen d'y parvenir était de reculer dans le coin de la cabine qu'il pouvait difficilement voir, à moins de se tordre le cou. "Mais vous auriez pu me le dire !"

 

Levant les yeux au ciel, celui-ci rentra complètement dans la sienne et s'adossa au mur du fond, laissant l'eau brûlante courir sur son corps. L'eau froide aurait été plus efficace pour traiter son cas, mais on ne pouvait pas tout avoir.

 

"Je n'en ai pas eu l'occasion Carter ! Quand vous commencez à parler en utilisant les mots 'fascinant' ou 'incroyable', je mets quiconque au défi de vous arrêter !"

 

"Oh je vous en prie colonel, depuis quand vous soumettez-vous de la sorte à mon débit de paroles… ?"

 

Un point pour elle.

 

"Quoi qu'il en soit, si vous ne pouvez pas réaliser par vous-même que vous êtes nue, c'est pas moi qui vais vous apprendre !"

 

"Mouais… Je suis persuadée que si l'occasion se présentait vous ne diriez pas non"

 

"Serait-ce des avances, Carter ?"

 

"A vous de juger…"

 

Chacun éclata de rire dans sa cabine. C'était un parfait exemple de ce jeu de séduction auquel ils se prêtaient ces derniers temps. Une personne extérieure aurait parié sur les meilleurs amis du monde plaisantant sur le sujet d'une improbable relation amoureuse, pourtant tous deux savaient que chaque parole prononcée était on ne peut plus sérieuse.

 

Sam aimait ça. S'ils ne pouvaient avoir plus, elle espérait de tout son cœur que rien ne change. Jamais. Elle garda son sourire en se savonnant à son tour, mais Jack avait apparemment décidé d'engager une discussion plus sérieuse.

 

"Je suis dans le flou pour l'enfant… "

 

"Vous vous demandez ce qu'il va devenir maintenant qu'il est sous la responsabilité de gens qui n'appartiennent même pas à sa planète ?"

 

"Il y a de ça, oui. Mais il y a aussi le fait que je me demande si ma décision de sauver cet enfant n'était pas un acte insensé de ma part, et cette pensée me…"

 

"Dégoûte ?"

 

"Vous lisez dans mes pensées major."

 

"Comme toujours colonel, et puis je ressens la même chose."

 

Jack soupira, un nœud dans le creux du ventre. Il éteignit la douche et attrapa une serviette. A côté, Sam en faisait autant.

 

 

~*~

 

"Donnez le moi Jonas Quinn." exigea Teal'c en tendant les bras.

 

Le jeune homme hésita, mais la perspective de s'opposer aux volontés du Jaffa n'était pas très réjouissante, et il lui tendit son fardeau sans poser de question.

 

"Et maintenant ?" demanda-t-il en observant son amis faire des gouzi-gouzi avec un sourire plus grand que la superficie de l'Australie.

 

Jack et Sam, une serviette autour du coup et les cheveux encore humides dans lesquels perlaient des petites gouttes glacées, firent leur entrée à cet instant. Le premier se chargea de répondre à sa question.

 

"Et maintenant on a un enfant sur les bras qui mourra si jamais on l'abandonne, aussi sûrement qu'il serait mort si on ne s'était pas occupé de lui." résuma-t-il.

 

"Ca nous avance pas beaucoup Jack…" protesta Daniel, paresseusement allongée sur sa couche.

 

 

"Non, il a raison, il faut commencer par résumer puis procéder par élimination." intervint Sam.

 

 

"Merci Carter."

 

"De rien." répondit-elle en souriant.

 

 

Daniel roula des yeux. Si Sam commençait à prendre la défense de Jack, il n'était pas sortit de l'auberge. Mais celle-ci reprenait déjà.

 

"Je suppose qu'il n'est question pour personne de l'abandonner…"

 

Les quatre autres firent 'non' de la tête.

 

"Donc de deux choses l'une. Soit on reste ici avec lui, soit il part avec nous."

 

"On peut d'ores et déjà oublier la première solution" coupa Jack.

 

"En effet. Mais pensez-y, la deuxième peut être dangereuse pour lui… Après tout ce n'est pas parce que nous supportons relativement bien les conditions de cette planète qu'il en sera de même pour lui sur la nôtre… Et cette supposition est renforcée par le fait que ce n'est encore qu'un nourrisson, son organisme est d'autant plus fragile…"

 

"Votre logique est exaspérante, major"

 

"Il n'en reste pas moins que Sam est dans le vrai… Et quand bien même, que deviendrait-il ?" médita Daniel.

 

 

"Le doc ?"

 

"Allons, ce n'est pas une famille d'accueil à elle toute seule !" protesta-t-il devant l'air innocent de Jack.

 

 

"Et puis il faut voir à long terme…" intervint Jonas d'un air songeur. Tous les regards se tournèrent vers lui. "Je me trompe peut-être, mais regardez-le ! Les terriens n'ont certainement pas l'habitude de voir des enfants à branchies courir les rues…"

 

Tout le monde resta silencieux, songeant à ces problèmes qui s'accumulaient. Sam s'assit aux côtés de Teal'c qui, malgré quelques réticences, lui permit de le prendre à son tour.

 

"Faut voir le bon côté des choses" murmura-t-elle, "Si ce petit bout de chou n'arrive pas à s'en sortir avec quatre pères et une mère, c'est qu'il y a vraiment un problème…"

 

Les quatre pères en questions mirent quelques temps à digérer ce qu'elle venait de dire. Daniel sortit de sa digestion avec une illumination.

 

"Qu'est-ce qu'on sait de ses géniteurs déjà ?"

 

"Qu'ils ont disparu dans le nord du continent peu après l'avoir fait concevoir" récita Jonas en puisant dans sa mémoire infaillible.

 

"Disparu…" répéta Teal'c.

 

"Oh vous n'y pensez pas sérieusement…" s'alarma Jack.

 

Le bébé choisit cet instant pour émettre ce qu'ils qualifiaient de vagissements mentaux, et il fallut lui donner à boire le liquide que leur avaient indiqué les autochtones.

 

~*~

 

"Alors vous y pensiez sérieusement…"

 

 

"Que voulez-vous faire… ? Il a une petite chance pour qu'ils soient toujours vivants, après tout ils étaient ethnologues et non kamikazes, les gens de la profession ne prennent pas tellement de risques insensés…"

 

"Vous savez quoi Daniel ? Je vais me retenir de tout commentaire simplement parce que je veux croire qu'il y a une chance de sauver Bébé, mais je vous la ressortirai cette histoire d'ethnologues raisonnables."

 

Jack resserra les bretelles de son sac tout en maintenant Daniel d'une main. Sam s'occupait de Jonas malgré le fait qu'il avait fait des progrès considérables en patinage et Teal'c trottinait derrière.

 

"Vous savez que convaincre Hammond ne va pas être chose facile… ?" reprit-il.

 

"On verra ça."

 

Les Esthekians avaient accepté de prendre Bébé en charge pendant une révolution de leur planète autour des deux soleils, ce qui correspondait à11 heures et 23 minutes exactement. Passé ce délai, si les Terriens ne revenaient pas, ils l'abandonneraient à son sort.

 

Sur cette pensée, ils composèrent les coordonnées de la porte, envoyèrent leur signal et passèrent le vortex.

 

~*~

 

Le briefing fut long.

 

 

Très long.

 

Trop long.

 

Sur les 11 heures et 23 minutes, il ne leur en restait déjà que 8.

 

 

"On a donc participé à plusieurs conférences, visité les installations, jeté un œil sur leurs technologies qu'ils ne veulent pas partager… Et puis Daniel, alors qu'il se baladait tranquillement -ou plutôt essayait vainement de rester stable sur ses patins- a heurté un de ces incubateurs dont on vous a parlé. C'est là qu'il a accouché devant nous, et vous connaissez la suite."

 

Daniel lui jeta un regard noir, mais se garda bien de tout commentaire. Jack avait beau en profiter, il construisait avec succès une histoire de substitution excluant le hockey, et s'ils voulaient que Hammond leur donne le feu vert pour leur petite expédition, il valait mieux taire cette histoire.

 

"Vous vous êtes mis dans un beau pétrin…" conclut le général. "Ramener l'enfant sur Terre peut être extrêmement dangereux pour lui comme pour nous."

 

"C'est ce que nous nous sommes dit. Et puis on a pensé à autre chose…" commença Jack dont le cœur accélérait légèrement. Tout allait tenir dans ses prochains mots et dans ceux du général.

 

"Allez-y."

 

"Retrouver ses parents."

 

"Mais vous ne venez pas de me dire qu'ils…"

 

"Avaient disparu lors d'une expédition ? Si. Mais personne n'est jamais parti à leur recherche."

 

"Et ça fait combien de temps ?"

 

"J'ai calculé que la période de gestation d'un incubateur est de cinq mois…" informa Sam.

 

"Très bien. Proposition rejetée. Survivre cinq mois dans les conditions que vous m'avez décrites est impossible."

 

"Pour nous oui, mais pour eux…"

 

"J'ai dit proposition rejetée colonel, croyez bien que ça me désole d'avoir à vous dire ça, mais ce n'est pas discutable. Sur ce, j'ai cru comprendre que nous n'avions rien d'autre à nous dire, rompez."

 

Ce n'était pas discutable et il leur restait 7 heures et 49 minutes.

 

~*~

 

H -5 heures et 32 minutes.

 

Jack avait besoin de parler à quelqu'un qui n'était ni Daniel, ni Jonas, encore moins Teal'c. Il avait besoin d'un avis féminin, tenta-t-il de se convaincre. En réalité, il avait besoin de parler à la personne avec qui il avait partagé cet étrange sentiment la première fois que tous deux avaient tenu l'enfant dans leurs bras.

 

Il frappa à la porte. Quatre rapides, puis trois plus lents, un lent et un rapide, un rapide, un lent un rapide et deux lents. Objectivement, ils auraient pu trouver plus simple comme méthode de reconnaissance, mais il appréciait le fait que cette série de coups était en fait le morse du mot 'honey', la traduction anglaise de 'chéri'. Il avaient bien ri avant d'en arriver là… De ce rire sincère et faux à la fois qui les rapprochait tout en les éloignant.

 

Elle ne l'autorisa pas à entrer mais vint lui ouvrir. Il lui tendit un dossier, elle le feuilleta rapidement, fronça les sourcils et rentra dans ses quartiers en lui indiquant de la suivre.

 

 

Le vigile ou toute autre personne derrière les caméras de sécurité aurait vu un colonel venant discuter un point de son rapport avec son major.

 

Pourtant, une fois que Jack eut refermé la porte derrière lui, Sam jeta sur son lit le rapport de cette ancienne mission qu'ils utilisaient chaque fois qu'ils voulaient être seuls sans éveiller les soupçons.

 

Elle-même se jeta ensuite au même endroit et avec à peu près autant de délicatesse, se laissant observer durant de longues minutes.

 

 

"On ne peut pas le laisser…" dit-il finalement.

 

"Non."

 

"Dites-moi ce que vous souhaitez faire et je vous suivrai."

 

"Qu'ont répondu les autres ?"

 

"Je ne leur ai pas demandé."

 

"Alors pourquoi moi ?"

 

Il ne répondit pas et elle secoua doucement la tête pour s'excuser. Ce genre de questions stupides lui échappaient de temps à autres : pourquoi faisait-il ceci ou cela… Elle savait si pertinemment qu'elle était la cause de la moitié des choses qu'il pouvait faire !

 

"Je veux le faire… Mais je sais ce que ça implique et je sais aussi que vous serez tenu pour responsable."

 

"Sam…" murmura-t-il. Il la sentit se raidir à l'usage de son prénom, car même dans leur relative intimité ils évitaient ce genre de choses. "Quand Charlie est mort, je suis mort avec lui. Vous ne pouvez pas imaginer ce que perdre mon enfant a été pour moi. Bien sûr, vous me direz que ce n'est pas la même chose, ce n'est pas mon fils, c'est quasiment un amphibien, mais…". Il chercha longtemps ses mots et ne les trouva pas, ce qui eut pour effet de le décourager au point qu'il se laissa lourdement tomber sur le bord du lit.

 

La jeune femme attendit d'avoir fini de rebondir pour les trouver à sa place.

 

"Mais pour une raison inconnue vous ressentez quelque chose de fort pour lui. Comme s'il vous était tombé du ciel à l'instant où vous l'espériez le plus tout en l'attendant le moins."

 

Jack s'accorda un moment pour réfléchir à ses paroles. Elle n'avait qu'à moitié raison. S'il espérait un enfant, c'était inconscient. Pour l'instant elle représentait tout ce qu'il espérait. D'un autre côté, il espérait tout ce qu'elle espérait, alors…

 

"On va le faire." déclara-t-il.

 

"On risque beaucoup…"

 

"Bien moins que lui."

 

~*~

 

Fin de la première partie.

 

Suite dans l'Age d'Eau, déjà préparation. Ca risque de prendre du temps, peut-être un peu moins si vous me dites ce que vous en pensez… J

 
 
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