Citations du moment :
«L'accouchement est douloureux. Heureusement, la femme tient la main de l'homme. Ainsi, il souffre moins.»
[ Pierre Desproges ]
Imagine

le passé recomposé : Chapitre 4

-Fantastique  n’est pas le mot que j’emploierais, perturbant plutôt dit Jack avec ironie. Continuez Carter.
            -Vous savez il n’y avait pas grand-chose juste JON Irak  Market 211191.
            -Et c’est avec ça que vous avez conclu que j’ai tué Paul Markett, c’est un peu léger, non ?
Sam lui expliqua l’ensemble des découvertes qu’elle avait faites. Elle lui parla des différentes missions et des articles dans les journaux corroborant les faits et surtout la photo de Jack tout à fait reconnaissable au moment de son arrestation.  Elle en avait fait un tirage et elle lui montra la feuille.
Il examina  distraitement la photo et tout à coup se troubla. Elle avait fouiné dans son passé, maintenant les souvenirs revenaient en foule. Oui il se souvenait de cette époque, une époque terrible où il accomplissait son devoir comme un automate, sans se poser de questions. Il était rentré dans les Blaks Ops suite à un coup de tête. Sa carrière dans armée lui semblait trop droite, trop rectiligne, trop programmée. Ce n’était pas du tout dans sa nature. Il avait été séduit au début par le côté clandestin et dangereux des missions. La première fois qu’il avait dû tuer un homme de sang froid, il n’avait hésité qu’un quart de seconde, c’était un pourri qui ne méritait pas sa place au soleil. Puis  les missions s’étaient enchaînées, les caches, la vie dangereuse, le flot d’adrénaline, les moments où tout pouvait basculer, où il pouvait se faire prendre. Cela lui était arrivé une fois. Heureusement que les hommes qui l’accompagnaient l’avaient trouvé. Car dans les Black Ops il n’y avait aucune mission de secours, les hommes travaillaient sans aucune couverture officielle. Il avait ainsi perdu plusieurs de ses compagnons.  Il se souvint d’une autre fois où il s’était fait capturer par des résistants guatémaltèques, il l’avait torturé et n’avait dû sa survie qu’à son esprit toujours en éveil. Il était sorti de cette période de plusieurs années dans un état psychique et physique lamentable, les nerfs usés et au bord de la dépression. Il avait été un an en arrêt et avait subi de longs  traitements de déprogrammation, afin de se reconstruire.
  Vraiment maligne la petite Carter, elle avait réussi à décrypter toutes ces informations confidentielles, pensa t-il.
 
Mais choses étranges  certains souvenirs se refusaient à lui, Paul Market, justement ! Pourquoi ? Qu’ était cet homme pour lui, il savait juste qu’il était sous ses ordres en Irak. Mais pourquoi l’aurait-il tué ?
Tout à ses pensées il ne  remarqua pas Sam qui le regardait. Elle voyait les émotions défiler sur son visage, bien que celui-ci restât impassible pour un observateur étranger.  Mais elle,  elle savait interpréter un léger froncement de sourcil,  le plus petit mouvement de la tête, le regard qui se durcissait, un frémissement de la bouche.  Oui Jack O’Neill se protégeait moins depuis qu’il était amnésique. Pour elle il relâchait sa garde. Mais elle était la seule à s’en apercevoir.
Son regard était si insistant qu’il leva les yeux sur elle. Lui aussi pouvait lire en elle, mais c’était beaucoup plus facile, son regard était si expressif !
            -Carter ? 
            -Excusez moi mon général, j’étais perdue dans mes pensées.
            -Et vous pensiez à quoi ?
            -Je réfléchissais. Je souhaiterais étudier plus attentivement la vie de Paul Market et essayer de trouver les relations que vous aviez avec lui.
            -Et vous comptez faire comment ?
            -Dans le dossier de Paul Market j’ai l’adresse de sa famille à Chicago. Je compte leur rendre une petite visite. Je pense y aller avec Daniel et Teal’c.
Comme jack ne répondait pas :
            -Vous trouvez que ce n’est pas une bonne idée,  monsieur ?
            -je ne sais pas  Carter, je doute que vous trouviez quelque chose d’intéressant !
            -laissez-moi essayer monsieur.
Quelque chose avait changé chez Jack, il avait un air plus assuré, plus autoritaire. 
            -Vous vous rappelez de tout monsieur ? demanda t-elle.
            -Non, pas de tout. Des Balck Ops, oui, le reste c’est encore flou.
            -Et Paul Market ?
            -Justement ça fait parti des choses floues. 
            -j’ai l’impression, mon général, que vous ne souhaitez pas que l’on poursuive cette enquête ?
            -Je crois franchement Carter que ça n’en vaut pas la peine. Je peux très bien me débrouiller tout seul.
Sam était déçue, elle aurait tant voulu aider Jack, mais elle ne pouvait aller contre sa volonté.
            -Cette lettre anonyme ne vous tracasse pas ?
            -Non.
            -Alors on arrête tout ?
            -Oui je préférerais.
            -A vos ordres mon général.
Ils se levèrent ensembles, Sam ramassa ses papiers et sortit la première d’un pas décidé. Elle était peinée, car elle avait l’impression que le général ne lui faisait plus confiance. Elle avait l’intuition qu’il était en danger, mais qu’il ne prenait aucune précaution. Comme s’il avait vraiment retrouvé la mémoire et qu’il ne voulait pas qu’elle s’embarque sur une fausse piste. C’est vrai qu’il savait se défendre tout seul, mais quelqu’un avait quand même failli le tuer.
            Sam revint dans son labo où elle passa les heures suivantes à rédiger des rapports de mission qu’elle avait laissés de côté.
Le soir elle s’arrêta devant les ascenseurs prête à remonter, puis elle se ravisa et redescendit jusqu’au bureau  du général Carrey. Celui-ci était encore là.
            -Je peux faire quelque chose pour vous colonel ?
            -Oui mon général. J’ai eu une longue conversation avec le général o’Neill. Il ne souhaite pas que l’on poursuive les recherches sur Paul Market.
            -Ah ! je suis étonné, je croyais  qu’il était d’accord. Il vous a donné une raison ?
            -Pas vraiment il pense que c’est inutile et qu’il peut se débrouiller tout seul.
            -C’est un homme plein de ressources vous savez, il a peut être raison.
            -Permettez moi d’insister mon général dit Sam, il a beaucoup changé depuis son agression, je pense qu’il a besoin d’aide.
Carrey observa attentivement la jeune femme et lui trouva un air inquiet ,tendu, et un petit quelque chose en plus qu’il n’arrivait pas à déterminer.
            -Colonel quelles sont vos motivations ?
Sam se troubla légèrement sous le regard de Carrey
            -Que voulez –vous dire mon général ?
            -Et bien  voyez vous colonel , et je pense que vous savez exactement de quoi je veux parler. Il y a un tas de bruits qui courent dans cette base sur la relation que vous avez avec le général O’Neill.
Sam rougit violemment :
            -Je vous assure ….
Mais Carrey la coupa :
            -Attention colonel, je ne vous accuse de rien, mais j’ai lu tous les rapports de mission, et un certain rapport est très explicite.
            -Tous les rapports mon général ? dit-elle en avalant difficilement sa salive, je peux vous assurer, qu’il ne s’est absolument rien passé entre le général O’Neill et moi, quand bien même je l’aurais voulu  ajouta t-elle d’une voix si basse que Carrey n’entendit qu’un bredouillement.
            -Pardon ? vous disiez colonel ?
            -Je disais que l’intérêt que je porte au général O’Neill est strictement professionnel. Nous avons travaillé plusieurs années ensemble, nous nous  sommes sauvés mutuellement le vie de nombreuses fois, cela crée des liens , mon général, mais qui n’ont strictement rien à voir….
Elle ne finit pas sa phrase,  furieuse  que Carrey ait pu penser une seule seconde qu’elle et Jack aient pu enfreindre le règlement de non fraternisation. Elle tourna la tête pour que le général Carrey ne puisse voir son visage.
            -Colonel ! dit-il
            -Oui mon général dit-elle en se tournant à nouveau vers lui et lui offrant un visage lisse et sans expression.
            -Je pense que vous avez raison, O’Neill n’est pas toujours raisonnable quand il s’agit de sa sécurité, je vous donne le feu vert.
Le visage de Sam s’éclaira aussitôt. Cela aurait été la mort dans l’âme qu’elle aurait laissé cette enquête.
            -A vos ordre mon général.
            -Comment comptez-vous poursuivre ?
            -Je vais aller à Chicago, j’ai trouvé l’adresse de la famille  Market, je ne sais pas s’il a encore des parents, mais peut être des frères ou des sœurs. Et j’ai constaté que c’est la maison voisine de celle  qu’habitait le général O’Neill étant enfant. Je pensais me faire accompagner de Daniel et de Teal’c.
            -Vous avez des congés à prendre je pense ? Je crois que vous avez enchaîné beaucoup de missions ces derniers temps, n’est ce pas ?
            -En effet mon général, cela fait plusieurs mois que nous n’avons pas eu de vacances.
            -Entendu colonel, vous êtes donc en vacances à partir de maintenant ainsi que le docteur Jackson et Teal’c. Vous comprenez bien qu’en tant que commandant du SGC je ne pouvais pas vous donner l’ordre de poursuivre cette enquête, encore plus longtemps.  Maintenant ce que vous faites de vos vacances ….
            -Merci mon général dit Sam en souriant.
**********
O’Neill avant de rentrer chez lui était repassé par ses quartiers il avait des choses à prendre. Il prit un sac et rassembla quelques vêtements et alla dans le petit cabinet de toilette attenant à la chambre. Ouvrant la porte de l’armoire de toilette il vit fixé à l’intérieur de la porte la photo de Sam. pourquoi avait-il une photo de Carter cachée dans sa salle de bain alors qu’il la voyait tous les jours ?
Il prit la photo et la regarda plus attentivement. Elle était magnifique sur ce cliché,  en treillis avec une casquette sur la tête, souriante, le regard légèrement tourné sur le côté comme si elle écoutait quelqu’un et qu’elle aurait ri de ses paroles.
Trop belle !  Il ne la remit pas à sa place mais dans sa poche. Il voulait réfléchir. Peut être qu’en la regardant longtemps il trouverait. Cette impression qu’il y avait quelque chose entre eux ne le quittait pas. Sinon pourquoi aurait-il mis la photo à un endroit où il pouvait la voir matin et soir.
Sortant de ses quartiers il se heurta à elle justement. Elle était en civil, avec une veste de cuir et son casque de moto.
            -Vous rentrez chez vous mon général ?
            -Oui, je vais demander qu’on me raccompagne, je n’ai pas encore le droit de conduire ma voiture.
            -C’est peut être plus prudent en effet, dit-elle. Mais je peux vous emmener ? si un petit voyage en moto vous tente ? J’ai un deuxième casque  vous savez.
            -Pourquoi pas ?  Allons-y.
Sur le parking en surface Sam lui tendit un casque. Il prit place derrière elle, se tenant au porte-bagages. Elle fit un démarrage sur les chapeaux de roue et il dut s’accrocher de toutes ses forces pour ne pas tomber.
            -Cramponnez vous à moi, mon général hurla t-elle en se tournant vers l’arrière, ça va décoiffer !
            -Ok Carter.
Elle sentit les deux mains de Jack se tenir à sa taille, mais après un virage particulièrement penché, il passa ses deux bras autour de sa taille et colla son corps contre son dos.
Elle le sentit, ils ne faisaient plus qu’ un avec la machine, Elle se laissa griser par la vitesse, et la présence de Jack dans son dos et ne ralentit qu’ à proximité de la rue de Jack.  Déjà pensa t-il, je crois que je serais aller au bout du monde avec elle !
            -Vous conduisez toujours aussi vite Carter ? demanda t-il.
            -Non mon général, mais là j’avais envie d’un peu de vitesse.
            -Et les contrôles vous connaissez  ?
            -Oh mon général, pour une fois que je m’ amuse  un peu !
            -N’en faites pas une habitude Carter, je n’ai pas envie de vous retrouver à l’hôpital, ou pire encore.
Il était vraiment inquiet pour elle. Elle le sentit et en  fut émue.
2ème partie
Le métro aérien dominait la ville de Chicago. D’un côté le lac Michigan  immense se perdait à l’ horizon, et de l’autre côté la ville tentaculaire avec ses gratte-ciels et ses rues grouillantes de monde.
Dans un bruit d’enfer le métro plongea dans les entrailles de la ville.
            -C’est le prochain arrêt je crois dit Daniel en consultant  son plan.
Il se retrouvèrent dans un quartier populaire et bruyant pas loin de l’hôpital du Cook County.  Deux rues plus loin ils étaient arrivés. C’était un quartier calme, une rue un peu à l’écart avec quelques maisons  ouvrières entourées de jardinets, plus loin  de grands immeubles. Un anachronisme ces petites maisons dans un tel  quartier.
            -N° 1532 nous y sommes dit Teal’c.
La maison familiale des Market avait été vendue après le décès de Paul, les parents qui venaient de perdre leur fils unique avaient préféré changer de quartier. Ils s’étaient retirés dans une petite ville à quelques kilomètres de Chicago.         
            -Que cherchons-nous Sam , puisque nous savons que ni les Market, ni les O’Neill n’habitent plus ici depuis longtemps ?
            -J’ai fait une recherche approfondie des habitants du quartier. Il y a une voisine qui habite toujours ici. Elle avait un fils du même âge que Paul et le général. Je vais  rendre une petite visite à cette dame.
Daniel et Teal’c se jetèrent un coup d’œil surpris.
            -Sam, vous avez dit « je vais » ?
            -En effet Daniel, je voudrais que vous et Teal’c fassiez une petite enquête de voisinage auprès des gens du quartier qui auraient pu connaître les  Market.
            -Que se passe t-il ? Jack vous a demandé quelque chose en particulier interrogea Daniel un peu surpris.
Le regard de Sam se fit plus dur.
            -Non, mais je suis en mission Daniel, et pas sous les ordres du général O’Neill, mais sous ceux du général Carrey.
Daniel trouvait que le comportement de Sam était étrange, mais quand elle faisait ces yeux là, il valait mieux ne pas insister.
            -Venez Teal’c dit-il, allons visiter le quartier.
La sonnette résonna longuement dans la maison. Une dame aux cheveux blancs ouvrit la porte. Elle devait avoir plus de 75 ans. Après que Sam lui eut expliqué le but de leur visite, elle la fit entrer.
Elles traversèrent un couloir sombre et débouchèrent dans une petite salle à manger au papier peint fleuri et délavé, aux meubles surchargés de bibelots et de cadres. Un gros matou gris dormait  dans un fauteuil. Une porte fenêtre donnait sur un jardinet où les mauvaises herbes et les fleurs sauvages s’étaient taillées la part du lion.
            -Vous regardez mon pauvre jardin, dit-elle avec tristesse, mais maintenant avec mes rhumatismes…
La vieille femme avait les yeux dans le vague.
            -Madame Naymith ?
            -Oh excusez moi qu’est que ce que vous voulez savoir ?
            -Vous avez connu les Market et les O’Neill autrefois, n’est ce pas ? demanda t-elle doucement.
            -Oui, mais avant puis-je vous offrir du thé ? dit-elle. De toute façon, je m’en fais une tasse.
 -Volontiers, merci.
Madame Naymith s’affaira en cuisine et revint quelques minutes avec le plateau du thé. Elle fit le service  en silence. Elle prenait tout son temps et Sam ne voulait pas la brusquer. Madame Naymith était une vieille femme seule, qui ne devait pas avoir beaucoup de visite.
Elle but quelque gorgée de sa boisson chaude et elle commença son récit.
            -Nous sommes arrivés mon mari  et moi en 1956, nous venions de nous marier. Les maisons étaient neuves et tous les occupants du lotissement arrivaient en même temps. Nous avons donc fait connaissance  des O’Neill qui occupaient la maison à gauche de la notre, et des Market qui occupaient la droite.
Je me suis tout de suite liée avec Clara O’Neill, c’était une jeune femme très gaie, elle travaillait comme vendeuse dans un magasin de vêtements, et son mari, un homme massif et plus rude  était métallurgiste. Il n’était pas d’un abord très agréable, mais gagnait à être connu. John Market et Lisbeth étaient tous les deux instituteurs.
Entre 1957 et 1965 nous avons eu  trois enfants, trois également chez les O’Neill, et un seul chez les Market. Les aînés de chaque famille étaient à peu près tous du même âge, et jouaient souvent ensemble. Les jardins  à l’arrière étaient fermés juste par une petite clôture que les enfants escaladaient. Ils se retrouvaient ainsi souvent chez moi et venaient jouer le soir après l’école, le week-end  ou pendant les vacances.  Mme Naymith s’arrêta un instant pour boire une gorgée de thé.
            -Et les enfants s’entendaient bien ?
            -Oui très bien, en fait ils étaient très différents tous les trois. L’aîné de la bande était Jon, ou Jack, il préférait qu’on l’appelle Jack. C’était lui qui dirigeait tous les jeux, Adrian et Paul suivaient. Paul était un enfant très doux et il admirait Jack. Même quand il était plus âgé il l’a toujours admiré.  Adrian lui suivait mais n’était pas le dernier à faire des bêtises.
            -Vous semblez regretter cette époque Mme Naymith.
            -C’était le temps de ma jeunesse ! que voulez vous ! dit-elle en souriant.
            -Que s’est –il passé ensuite demanda t-elle, que sont-ils devenus ?
Madame Naymith  se rembrunit :
            -C’était la fin des jours heureux. Il y a eu un drame chez les O’Neill quand Jack a eu dix ans. Il avait la garde de son petit frère Jimmy.  Le petit était sorti sans que personne ne le voie. Quand Jack a  commencé à le chercher, l’enfant était déjà au bord du trottoir et s’apprêtait  à traverser.
Jack a  hurlé, mais il  ne l’ a pas entendu. Je suis sortie de ma maison  quand j’ai entendu le bruit de la voiture. C’était trop tard, Jack  tenait dans ses bras son petit frère couvert  de sang. Il était mort sur le coup.
            -Oh mon dieu ! dit Sam d’une voix étouffée.
La vieille dame s’arrêta de parler, les sanglots l’étouffaient. Sam vint s’asseoir à côté d’elle et lui prit la main, des larmes aussi brillaient à ses yeux. Madame Naymith continua d’une voix tremblante :
            -La police est arrivée, le chauffard s’était enfui. Ils  ont appelé à leur travail les O’Neill, qui sont venus très vite.  Tout le quartier était sous le choc, nous formions une grande famille, avec les O’Neill, les Market et les autres voisins.
Jack est resté longtemps immobile au bord du trottoir en état de choc. Il avait tout vu, mais n’avait pas pu courir assez vite pour empêcher son frère de se jeter sous la voiture.
Personne ne s’occupait de lui, je me souviens l’avoir pris par le bras, et je l’ai conduit chez moi. Il ne disait pas un mot. Je l’ai lavé, il était  couvert de sang, je lui ai donné des vêtements d’Adrian qui était un peu plus petit que lui. Je le reverrais toute ma vie, cet enfant planté  dans mon salon avec un pantalon trop court. Figé, raidi, les yeux grands ouverts qui ne cillaient pas, le regard dans le vide. Alors j’ai fait la seule chose que je pouvais, le prendre contre moi et le serrer bien fort. Tous ses muscles étaient tétanisés par la douleur, c’était comme un corps sans vie que je tenais dans mes bras. Finalement il a passé ses bras autour de mon cou, s’est cramponné à moi, comme à une bouée de sauvetage, et les larmes sont venues lui apportant un bref soulagement.
Madame Naymith parlait lentement, s’arrêtant souvent dans un récit hachuré l’émotion la submergeant par instant.
 -Quand il a recommencé à parler ce fut simplement pour dire : « C’est ma faute, j’ai tué mon petit frère ».  Puis il est sorti de chez moi et au lieu de rentrer chez ses parents , il est parti. Il a erré dans toute la ville pendant plusieurs jours. Quand on l’a ramené chez lui, j’ai cru que son père allait le tuer. Il l’a violement frappé, personne ne pouvait le calmer. Monsieur O’Neill était un homme très grand et très fort physiquement. L’enfant a supporté la raclée sans rien dire, sans une plainte. Mais depuis ce jour le malheur s’est acharné sur cette famille.
Son père qui travaillait dans une usine automobile a été licencié. Le bruit a couru que c’était pour faute et  qu’il s’ était présenté ivre sur son lieu de travail, et qu’il aurait agressé un des contremaîtres,  il est passé en jugement et a écopé d’une très grosse amende qui a mis la famille sur la paille. Monsieur O’Neill s’est mis à boire de plus en plus, il devenait violent avec sa femme et ses enfants. Clara venait souvent s’abattre chez moi, en larmes et le visage et le corps marqués de coups. Les enfants aussi en ont beaucoup souffert. Ils ont grandi dans la peur. Que de fois je les ai recueillis chez moi car les parents ne s’en occupaient plus. Clara pour faire bouillir la marmite avait pris un deuxième emploi tandis que son mari continuait à sombrer dans l’alcool et à violenter sa famille. Les  résultats scolaires des enfants sont tombés en chute libre. La petite Kathy a mieux négocié sa scolarité que Jack qui s’est fait renvoyé de plusieurs collèges et prenait la raclée à chaque fois. Son père le frappait violement avec un ceinturon. A chaque fois j’appelai la police, les enfants me faisaient pitié. Les services sociaux sont passés plusieurs fois, mais personne n’a jamais rien fait pour retirer les enfants à ce père violent.
Madame Naymith fit une pause dans son récit, elle se servit une autre tasse de thé et en proposa à Sam qui refusa.
            -En quelques mois monsieur O’Neill était devenu une épave, poursuivit madame Naymith.  Il a fait une cure de désintoxication et les choses ont paru aller un peu  mieux mais malheureusement cela n’a pas duré.
Sam bouleversée par le récit de la vieille dame en avait oublié son objectif premier, enquêter sur la mort de Paul  Market.
Le passé douloureux de Jack se dévoilait devant elle. Elle avait l’impression de faire quelque chose de mal, de violer son intimité à son insu. Mais tout ce qui touchait Jack l’atteignait profondément. Elle faisait cette plongée dans le passé douloureux  de son chef , les larmes aux yeux, sans pouvoir se retenir.
Malgré tout, elle revint à sa mission et aiguilla la conversation sur Paul.
            -Et que faisait Paul, il voyait toujours Jack ? demanda  t-elle.
            -Oui ils se voyaient toujours tous les trois, mais Jack était devenu un garçon violent, il avait beaucoup changé et il a commencé à faire des bêtises. Il devenait un mauvais exemple pour les autres enfants. Il s’est fait arrêté  plusieurs fois et fut présenté devant le juge pour enfants. Mais vu son jeune âge il était relâché à chaque fois.
            -Qu’est devenu Paul Market, il a  fait des études ?
            -Oui il est rentré à l’armée comme Jack et Adrian. En fait Jack a été obligé, c’était l’armée ou la prison. Le juge lui avait laissé le choix lassé de le voir si souvent dans son tribunal. Il a choisi l’Air Force.  Je me souviens comme si c’était hier du jour où il est venu me dire au revoir dit Madame Naymith avec un sourire. C’était un si beau jeune homme !  Comme mon Adrian.
            -Et votre fils ? il a fait carrière dans l’armée ?
            -Il n’en a pas eu le temps, il est décédé d’un cancer  le jour de ses vingt huit ans sanglota Madame Naymith dans son mouchoir.
            - Je suis désolée dit Sam, émue.
Elle lui laissa  le temps de reprendre ses esprits  et lui demanda si elle savait quelque chose sur la mort de Paul Market.
            -Non, j’ai su que son avion avait été descendu au dessus de l’Irak. Il laissait une femme et un adolescent de quatorze ans. C’est à ce moment là que ses parents ont vendu leur maison, ils avaient trop de souvenirs dans ce quartier.
            -Et qu’est devenue la famille O’Neill ?
            -Kathy a fait comme son frère, elle est partie   le jour de ses dix huit ans. Depuis j’ai su qu’elle s’était mariée et qu’elle avait eu deux enfants. Mais elle n’ habite plus Chicago, et je ne l’ai pas revue. Les parents se sont séparés et ont vendu la maison. Voilà tout ce que je peux vous dire, ce n’est pas beaucoup, hélas ! ajouta t-elle.
            -Détrompez vous madame Naymith , vous m’ avez appris beaucoup de choses.
Les yeux de la vieille femme se mirent à briller.
            -Dites moi, Vous m’avez dit tout à l’heure que vous êtes dans  l’armée ?  vous devez savoir ce qu’est devenu Jack, j’aimerai tant le revoir, c’est un peu comme mon fils.
Le cœur de Sam se serra en entendant ces paroles, Le général, était amnésique et ne se souvenait plus d’elle certainement.
            -Oui, je le sais dit-elle en souriant, il est général !
            -Général ! Oh ! Je suis si contente pour lui !  Si vous pouviez le joindre, vous lui direz que je pense toujours à lui ?
            -Je vous  le promets madame  Naymith, dit Sam gravement. 
Daniel l’aperçut comme elle sortait de chez Madame Naymith. Elle marchait lentement et venait vers eux, perdue dans ses pensées.
Elle avait les yeux rouges de quelqu’un qui a pleuré, et était blanche comme un linge.
            -Sam ? dit Daniel,  ça va ?
            -Oui, je vais bien .
            -Que s’est-il passé vous êtes toute pâle ?
            -Je vous dis que je vais bien dit-elle en raffermissant sa voix.
Sam ne voulait rien dire. Elle pensait qu’elle n’en avait pas le droit. L’enfance torturée de jack n’appartenait qu’à lui. C’était son secret et avec elle, il serait bien gardé.
Daniel l’observait attentivement :
            -Vous avez trouvé quelque chose ?
            -Non pas vraiment. Madame Naymith ne sait rien d’autre que la version officielle, et vous de votre côté enchaîna t-elle rapidement.
            -Nous avons fait chou blanc dit Daniel.
            -En effet colonel Carter, il n’y a plus personne dans ce quartier qui ait connu les Market.
Tout en se dirigeant vers le métro Daniel observa :
            -Vous êtes restée plus d’une heure chez elle, que vous a-t-elle raconté ?
Sam se sentait agacé de l’insistance de Daniel mais elle le cacha.
            -Vous savez, c’est une vieille dame très seule, elle m’a tout simplement raconté sa vie.
            -Oh je vois !  et elle vous a parlé de Jack ? dit-il avec curiosité.
            -Non, pas du tout, mais beaucoup de son fils. Figurez-vous qu’il était lui aussi dans l’Air Force et qu’il est mort d’un cancer à vingt huit ans.
 
 
Conçu par Océan spécialement pour Imagine.
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